Un nouveau jour, un nouveau soleil.

Un nouveau jour, un nouvel éveil.

Un nouveau jour, une nouvelle vie.

Dans une seconde infinie, l'obscurité des songes laissa la place au blanc éclatant du plafond d'une chambre d'hôpital. Immobile, le corps de Trisha contenait difficilement l'agitation de son âme. Petit à petit les souvenirs s'éclaircissaient dans son esprit comme les pièces d'un puzzle qu'elle parvenait à compléter. Venise, Tatsumi, la Sorcière, la Mission, la mort, la promesse de son Eden. Oui, tout était clair désormais. Elle avait retrouvé son chemin. Peut-être n'aurait-elle pas la force de l'arpenter de nouveau, mais il se dessinait enfin de nouveau devant elle.

"Sois fort, sois courageux, car l'Eternel, ton Dieu, est avec toi partout où tu iras."

Toujours immobile, seules ses lèvres se mouvaient pour laisser échapper sa prière. Ces mots étaient moins destinés au Seigneur qu'à son propre cœur, à ses doutes, ses peurs et ses chagrins. Trop longtemps elle avait errée, non pas loin du chemin mais loin d'elle même. Trop longtemps elle avait détourné le regard non pas de la faiblesse de ses bras, mais de celle de son coeur. Toujours elle avait été dévouée au Seigneur et toujours elle l'avait aimé, mais trop longtemps elle avait oublié de s'aimer elle même. Elle était une arme, le bras vengeur de l'Eternel, de son Fils, du Saint Esprit, mais même les armes peuvent être choyées, félicitées, remerciées. Même les armes doivent être entretenues, jugées à leur juste valeur.

Trop longtemps elle avait négligée tout cela.

"Je devrais remercier la Sœur Rumena."

Une pensée volatile, symbole de l'éveil de son esprit après l'éveil de ses sens. Oui, elle trouverait le temps de corriger les torts de sa rencontre avec la sœur. Trisha n'était peut-être pas d'accord avec chacune de ses pensées, mais l'amour qui enflammait son cœur était le sentiment le plus pur qu'elle avait rencontré depuis bien longtemps. Ses mots n'avaient peut-être pas atteint l'exécutrice lors de leur entrevue, mais désormais elle comprenait tout leur poids.

D'une main lente elle caressa son abdomen. Elle pouvait sentir la morsure de la douleur résiduelle, l'épaisseur molletonnée des bandages qui couvraient son corps. Quelle ironie que la blessure qui la gangrenait depuis des jours, qui sapait ses forces et qu'elle avait porté comme un fardeau dans son face à face avec les chevaliers de l'ordre du Temple et contre la Sorcière, avait été infligée par un simple humain. Tatsumi. Leur rencontre avait été providentielle et après avoir manqué de mourir des mains de l'exécutrice voilà qu'il avait sauvé sa vie.

Elle ne le comprenait pas entièrement. A vrai dire, elle ne souhaitait pas le comprendre. Elle éprouvait uniquement un profond sentiment de gratitude envers lui, envers le Seigneur qui avait fait croiser leurs chemins, et une grande admiration pour la force de corps et d'esprit qu'il avait su cultiver. Elle avait enfin entendu sa demande. Il souhaitait l'affronter d'âme nue à âme nue ? Peut-être s'autoriserait-elle une telle entorse à la Mission le jour ou elle jugerait qu'il ne risquerait plus de mourir d'un tel face à face. Elle voulait voir jusqu'où il pourrait aller. Jusqu'où ils pourraient aller.

"Ca fait longtemps que je t'ai pas vu sourire comme ça gamine."

La voix est familière, rugueuse, presque sardonique. La douce odeur du tabac froid, de l'alcool éventé accompagne la présence menaçante qui siège à côté du lit. La surprise pousse Trisha à retenir sa respiration quelques instant avant qu'elle ne comprenne de qui il s'agit.

"Frank, qu'est-ce que tu fais là ?
- T'es pas croyable tu sais, je peux pas te laisser deux semaines sans que tu décides de te laisser crever sur un suceur de sang quelconque."

La critique est acerbe. Justifiée. Pourtant la jeune femme ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire.

"La pour me faire la leçon à ce que je vois.
- Exactement gamine. Te faire la leçon que t'es pas capable de te rentrer dans le crane depuis que je t'ai récupéré sur le trottoir.
- Je...
- Parce que tu crois que te battre jusqu'à la mort c'est le meilleur moyen d'utiliser ta chienne de vie, que tu refuses de bouffer correctement, de dormir dans un putain de lit, d'aller voir un doc quand tu te fais éventrer.
- Frank je...
- Cette même leçon qui fait que je passe pour te livrer un message de ton paternel et que je te retrouve aux portes de la mort dans un hôpital de mes deux.
- Quoi ?"

La voix s'étrangle dans sa gorge alors qu'elle attendait de trouver la force de lui dire qu'elle avait compris, qu'elle avait enfin compris. Le choc est trop soudain, trop vif. Un message de son père ? Pourquoi ? Maintenant ? Non. C'était trop tôt. Elle venait à peine de retrouver son chemin. Elle n'avait pas encore pu lui montrer sa force. Sa foi.

"Laisse tomber. Je compte pas livrer un message à un mort de toute manière. T'as toujours mon numéro si t'as pas paumé ton tel dans les canaux, tu me sonneras quand tu voudras vivre gamine. Ok ?"

La douleur engourdissait tout son corps, elle n'avait pas encore regagné le contrôle de son propre être. Simplement tourner la tête était long et fastidieux mais l'adrénaline faisait bien des miracles. Dans un éclair déchirant elle se redressa pour faire face à Frank. Trop tard. Elle ne pu qu'apercevoir la porte se fermer derrière lui, incapable de le poursuivre. La mâchoire serrée, les larmes aux bords des yeux, elle se retint de lui hurler de revenir. C'était inutile. Il ne l'écouterait pas. Elle ne le savait que trop bien.

Ravalant sa colère soudaine, elle entreprit de se libérer des cathéters plantés dans son corps et de s'habiller. Ses habits étaient juste là. Usés, sales, certains même déchirés par endroit. Elle devait s'en acheter de nouveaux.

"Non."

Elle s'en achèterait de nouveaux.

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Après une longue lutte contre les infirmières et les docteurs, Trisha goûtait de nouveau à la liberté. Un agent de la Sainte Eglise était venu la chercher, probablement inquiet de la présence d'un exécuteur étranger sur le territoire de Venise, afin de lui faire réintégrer les rangs du Père Boréal. C'était un membre de l'assemblée du Huitième Sacrement, qui devait avoir quelques années de plus que l'exécutrice, son air neutre trahissait sa grande indifférence pour le chien fou qui avait établis son nid dans sa ville.

Cette réputation... Trisha l'avait méritée. Son comportement avait été indigne d'un agent du Seigneur, ses actions déraisonnées et sauvages. Les yeux baissés elle emboitait le pas de l'homme qui ne devait souhaiter que son trépas, elle ne pouvait pas lever la tête, être fier de son combat mené, elle n'avait pas gagné, la Sorcière rodait toujours et les vies que Trisha avait prise pour seulement la repousser ne pourraient jamais être récupérées. Elle ne pouvait que prier pour leur salut face au jugement du Seigneur.

Trisha releva la tête. Son expression incertaine n'était pas celle d'une guerrière déterminée, elle n'était qu'une enfant qui cherchait encore ses marques, qui cherchait encore le courage de faire face aux regards de ses paires. Elle n'avait pas vaincu le mal. Elle n'avait pu que repousser la nuit. Mais cette femme, cet être, cette chose. C'était désormais sa mission de purifier Venise de sa présence pour éviter d'autres tragédies. Non. De purifier le jardin du Seigneur.

"Vous apprendrez à rentrer dans les rangs. C'est une question de temps."

Non. Il se trompait. Jamais Trisha ne rentrerait dans un rang. Ce n'était pas en respectant l'ordre corrompu de la Sainte Eglise qu'elle accomplirait sa destinée. L'église n'était qu'une organisation factice, faite pour fédérer des esprits unis dans un but commun... initialement. Aujourd'hui elle servait surtout à conserver cette unité en ruine, à donner un cap aux âmes égarées. Mais Trisha n'avait besoin de rien de tout cela. Sur les pavés de Venise, un pas après l'autre elle pouvait voir la lumière nimber ses empreintes, droit devant elle s'illuminait l'objectif de son existence.

"Ma lame est émoussée, avec votre aide je lui rendrait son tranchant. Mais après... après je l'élèverai bien au delà de vos limites et vous serez obligé de suivre mes pas."

Les mots sortaient de façon fluide et pourtant son cœur se serrait à chaque syllabe. Avait-elle le droit de prononcer ces mots ? N'était-il pas un ainé ? Un égal ? Un individu qui avait mené plus de bataille, endurés plus de sacrifice, obtenu plus de victoire qu'elle ?

Avait-elle le droit d'emprunter ainsi les mots de son père ? De s'exprimer avec assurance, de prédire un futur qui ne reposait qu'entre les mains du Seigneur ? D'avoir ainsi confiance en son propre être ?

Le silence serait sa seule réponse. Le missionnaire ne répondit pas, préférant se concentrer sur l'itinéraire menant jusqu'à la Basilique depuis cet hôpital sur les rives de la lagune. Ainsi soit-il. Elle ne faisait que de s'éveiller, il ne pouvait pas voir ses flammes briller mais bientôt elle leur montrerait. Elle se montrerait. A tous.

Le cœur de San Marco Polo se dévoilait sous ses yeux depuis la gondole qui avançait sur les eaux des canaux. Elle avait beau ne pas souvent arpenter la ville depuis les voies aquatique, elle la connaissait désormais par cœur. Ses moindres recoins étaient peut-être encore un mystère, mais ses bâtiments étaient familiers, ses ponts, ses échoppes, son air doux. Ses habitants. Le sang sur ses mains ne sècherait jamais mais pourtant la Mission continuait. Tant que la vie prospérait, elle aurait besoin d'un gardien.

Venise... puis le reste.

"Nous descendons."

La place s'étendait face aux deux agents de Dieu et au delà, la Basilique. Magnifique monument à la gloire du Seigneur, témoignage du savoir faire et de l'amour de ses enfants. C'était de telles prouesses, qu'elles soient architecturales, artistiques, scientifique ou industrielles que devait être fait le futur. Pas de sang, de guerre, des cauchemars de la nuit, rien de tout cela n'était nécessaire. Des héros portaient les armes et les mots pour faire taire les conflits entre les agneaux, ces combats fratricides qui n'avaient pas de sens. D'autres se lançaient dans les ombres pour y purifier les créatures maléfiques qui s'y cachaient.

Les vies abandonnées au Malin étaient autant de cicatrices laissées sur l'histoire de l'humanité mais un homme s'était un jour dressé avec une vision. La vision d'un monde ou le sang des justes n'aurait plus à être versé. Ou l'église manierait une arme telle que plus aucun héros n'aurait à offrir sa vie pour arracher la victoire le temps d'une décennie. Il avait forgé cette arme. Battu le fer. Fait hurler les forges du paradis et dans un grand triomphe, avait remis la lame entre les mains de la Sainte Eglise.

La lame... et un calice.

"Que se passe-t-il ? La basilique semble agitée ?"

L'agent de la Huitième Assemblée se précipita vers le bâtiment saint, visiblement perturbé par un évènement quelconque. Trisha, elle, resta en retrait au milieu de la place. Incapable de se sentir concernée par les affres de cette organisation qu'elle n'appréciait pas. Elle se battrait au nom du Seigneur mais elle n'avait pas été faite pour servir le Vatican, seuls les hommes. Elle mènerait son combat en ses termes, selon Sa volonté, accompagné par les forces prête à épouser ses idéaux et sa Foi. De grands mots pour une fillette incapable de vivre par elle même.

Elle devait grandir.

Mais d'abord, elle devait s'approcher de cette étrangère. Celle qui saluait le Père Boréal de si loin. Celle qui savait. Celle qui quittait une Basilique en désarrois. Le visage drapé de fatigue, un œil couvert par un cache de cuir, ses habits usés et son corps couvert de bandage elle s'approcha.

"Que peut faire l'Eglise pour vous ? Que nous voulez vous ?"

Un pas après l'autre. Regarde moi.

"C'est moi l'Eglise."

Quelle souffrance d'entendre ces mots de nouveaux... et si tôt. Chaque fois que de tels mots parvenait à ses oreilles elle perdait un peu plus foi en la Sainte Eglise. Ces pensées qui la tourmentaient... ces ressentiments qui bouillonnaient au fond de son cœur à l'encontre de toutes les âmes corrompues de la Sainte Eglise surgissaient tel un volcan en éruption. Tout ces doutes pourraient n'être que le fruit de son esprit faible mais malheureusement ils étaient la vérité. Ou du moins une partie de celle ci.

"A vous entendre, vous aussi vous faites partie de l'Eglise, je ne savais pas qu'ils recrutaient chez les sans-abris."

Trisha ferma les yeux quelques instants avant de commencer à se rapprocher de l'inconnue. Ses mots, son expression, tout en cette femme lui rappelait le comportement du mage qui avait rendu au Père Boréal quelques jours plus tôt. Quelle ironie que de voir un soldat de la Sainte Eglise être ainsi réduit au même niveau que ce genre de vermine. La rousse ne comprenait pas la racine de leurs préjugés à vrai dire. Elle n'avait jamais cherché à les comprendre mais, pour ainsi dire, être face à une supposée sœur de Mission avec le même discours, elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger. En quoi être bien vêtu l'aiderait-elle dans son combat ? En quoi les "sans-abris" comme la plupart des humains aimaient appeler leurs frères et sœurs démunis seraient-ils moins capables que ceux ayant un toit sous lequel dormir ?

"Je te déconseille de faire un pas de plus vers moi."

L'exécutrice s'immobilisa. Elle avait bel et bien à faire à une guerrière de la Sainte Eglise après tout. Dans une posture si bégnine sa garde semblait bien solide et elle semblait prête à sortir une arme, probablement une clef noire.

Quelle idiote.

Un tel comportement, un tel bellicisme en plein jour au milieu de l'une des places les plus peuplées de la cité de Venise. C'était à cause d'enfant comme elle que des innocents agneaux se retrouvaient injustement pris dans les feux de la Mission.

Après de longues secondes de silence Trisha inspira longuement. Ses épaules s'élevant de plusieurs centimètres d'une façon particulièrement exagérée. Elle pourrait l'ignorer. Elle pourrait se contenter de vivre pour sa Mission. Elle devrait en rester là, ignorer les fous et les incapables et se concentrer sur ce que son existence pourrait contribuer. Mais... elle avait vu la douleur de Venise. Elle avait vu les scènes de crime, le visage des familles des disparus. Elle avait vu la violence des Templiers, la présence des Apôtres et de créatures plus dangereuses encore.

Elle savait qu'elle devait prendre la sécurité de cette ville entre ces mains, ces pensées occupaient tout son esprit depuis son éveil. Mais maintenant qu'elle se trouvait face à la première confrontation qui lui permettrait de marquer la renaissance de sa volonté, elle ne pouvait s'empêcher de sentir un malaise l'envahir. Elle avait beau avoir tenu un discours vaniteux au missionnaire de la Huitième Assemblée plus tôt, les mots qu'elle avait prononcé n'étaient qu'une illusion, des phrases empruntées à son père.

Que devait-elle faire ? Que devait-elle dire ?

L'incertitude pouvait se lire sur son visage creusé par la fatigue, tant et si bien que l'inconnue prétentieuse qui avait abandonnée son attitude désinvolte pour un visage de glace, recommençait à afficher un air suffisant. L'absence de répartie de la démunie semblait de nouveau l'amuser. Bientôt elle reprendrait son chemin et disparaitrait dans les canaux de Venise. Bientôt elle retournerait faire son œuvre dans les rues de la Sérénissime. Bientôt elle reprendrait la Mission et la chasse des créatures de la nuit. Mais comment savoir si ses actes seront véritablement au profit des habitants de cette ville ?

Réfléchir. Trouver les mots. Considérer son ton. Exprimer sa volonté.

"Vous avec donc aussi des pulsions suicidaires."

La voix était acide, grinçante entre les dents serrées de l'exécutrice, exprimant tout son ressentiment pour ce que ce genre d'individu représente. Elle ne la connaissait pas plus que par ces trois phrases mais Trisha n'était pas de celle qui pardonnait les premières impressions. Il n'y avait qu'à voir l'état de Tatsumi le soir de leur rencontre.

"Commence par retirer tes mots et rappelle toi que l'orgueil d'un homme l'abaisse. N'es-tu pas capable de saisir la main que l'on te tend sans la mordre ?"

Pleine de dépit, Trisha recula de quelques pas avant de détourner le regard de son interlocutrice. Elle n'avait pas de raison de s'attarder avec cette personne à moins que... l'agitation de la Basilique semblait se concentrer aux niveaux des portes et plusieurs regards se concentraient dans leur direction. La rousse n'était pas assez stupide pour se croire au centre de l'attention d'un trouble dont elle ne savait rien. Il ne pouvait donc y avoir qu'une seule explication.

"Qu'as tu fais ? Pèse tes mots... mes dernières journées n'ont pas été les plus agréables."

Les menaces n'étaient qu'à peine voilées. Trisha avait beau être couverte de bandage, demandez aux chevaliers si le tissu n'a jamais rendu plus doux la morsure d'une lame. Une fois sortie de son fourreau, une arme reste une arme.

“Je suis une arme à moi seule.”

L’inconnue venait véritablement de prononcer ces mots. Devant elle. Elle venait de clamer à Trisha Easu Katherine qu’elle était une arme, à elle seule. Sans faux semblant et sans outillage. Avait-elle la moindre idée qui était l’enfant rousse, vêtue de haillons et couverte de blessure qui se tenait face à elle ? Evidemment que non. Elle ne savait pas qu’elle se trouvait face à celle qui de ses mains nues pouvait arracher la gorge des suceurs de sang pour les mettre au repos éternel. A celle qui avait fait face aux monstres de la nuit, aux mages noirs et même aux sectes de les moins acceptées de la Sainte Eglise.

Lorsqu’elle s’était réveillée ce matin, Trisha avait changé. Elle le savait. La défaite, la réalisation de ses propres limites, avait forcé son esprit à prendre conscience qu’elle devait emprunter une nouvelle route. Ce serait un chemin long et ardu, elle ne serait pas capable de retrouver le chemin de l’eden en quelques semaines seulement, c’était un travail de longue haleine qui l’attendait. Mais au fond de son cœur les bûches calcinées de sa passion s'étaient de nouveau mises à rougeoyer, le chemin lumineux à ses pieds s’était illuminé de nouveau. Jamais elle ne l’avait perdu. Elle deviendrait cette arme providentielle des visions de son père, pour lui, pour sa mère, pour sa soeur, pour leur Seigneur et tous ses agneaux.

C’était avec cette résolution qu’elle tentait de saisir fébrilement qu’elle s’était réveillée.

Les mots de l’inconnue avait soufflé sur les bûches de sa résolution comme une bourrasque glaciale et n’avait fait qu’a attiser les flammes dans un sentiment qui n’avait pas effleuré son cœur depuis des années. Cette femme, qui qu’elle fut, venait de narguer l’existence même de Trisha en s’attribuant son exacte nature. Ce n’était pas de la colère qui parcourait l’expression de Trisha, ce sentiment là lui était bien connu. Il s’agissait de frustration, celle de voir sa fierté être ainsi piétinée par une femme qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adama et qui venait insulter les agents de Dieu devant Sa maison.

Quelle fierté ?

“Très peu nombreuses sont les personnes encore en vie après m’avoir parlé de la sorte. Et je me ferais un malin plaisir de m’occuper de ton cas. Cependant je ne suis pas ici pour me mettre à dos l’Eglise malgré mon passage éclair avec le Père Boréal, rassure toi. Je suis à Venise pour une mission bien précise et ni toi, ni l’Eglise ne se mettra en travers de ma route.”

Trisha ne l’écoutait qu’à moitié, plongée dans une nostalgie étrange qui la ramenait à l’époque bénie où son père lui annonçait pour la première la grandeur des attentes qu’il avait pour elle. Nouvelle pièce du puzzle qu’elle avait égaré le long de sa route et qu’elle ne récupérait qu’aujourd’hui. Son coeur se serrait en se rendant compte qu’en se laissant aveuglé par une bienveillance indésirée elle avait décidé d’oublier le regard de celui qui avait fait d’elle ce qu’elle devait être. Quelle tragédie.

“Alors maintenant, laisse-moi passer où ce sera ma lame qui créera mon passage. Et ce n’est pas le monde qu’il y a autour de nous qui m’empêchera de l’utiliser.”

Deux femmes au milieu de la foule, deux monstres perdus dans l’océan du commun. Aucun passant ne s’était arrêté pour les observer mais Trisha pouvait sentir des regards éphémères se poser sur elle. Que faire ? Elle ne souhaitait pas laisser passer cette femme qui ne demandait qu’à souffrir, face contre terre, incapable de tenir debout, les jambes détruites par le poids de son égo, mais elle ne devait pas non plus oublier que la Mission n’avait de sens que pour les humains qui étaient sauvés par ses actes.

“Vous seriez donc prête à tuer chaque âme sur cette place pour avoir le droit de tirer les armes sans briser le secret de notre monde. A moins que vous n’ayez aucune considération pour celui-ci et les vies humaines. Quelle tristesse.”

Trisha soupira un temps avant de mettre ses mains dans les poches.

“Je ne compte pas vous empêcher de passer. Je ne souhaite pas mettre en danger tant d’innocents mais sachez une chose cependant. Si vous me donnez une bonne raison de le faire, j’enverrai votre âme face à Saint Pierre afin que vous puissiez méditer sur vos mots et vos actions. Que vous soyez l’héritière d’une grande famille de mage, un nom influent des templiers ou une mage noire sortie de sa tanière, je vous retrouverai et c’est sans hésitation que je vous tuerai. Vous pouvez médire sur mon nom ou mon apparence tant que vous le souhaitez, vous pouvez juger mes compétences sans avoir la moindre idée de celle qui vous fait face, mais bouffée d'orgueil et parée de fastes et des mots, si vous êtes une arme, vous n’êtes faites que pour les mariages et les enterrements.”

Son seul oeil azuré se planta profondément dans le regard émeraude de l’inconnue avant que Trisha ne fasse un pas sur le côté.

“Maintenant partez, et priez pour que jamais nos chemins ne se croisent à nouveau.”

L’inconnue frissonnait, Trisha pouvait voir ses muscles se tendre et ses lèvres se plisser. Elle était prête à se battre, l'exécutrice pouvait le sentir. Allait-elle vraiment avoir recours à la violence ? Alors même que Trisha s’était écartée de son chemin ? Était-elle si butée que ça ? Malheureusement pour la templière Trisha n’était pas capable de mesurer l’impact de ses mots sur son état, trop peu habituée à comprendre les sentiments des autres, préparée à ignorer les maux de cœur de ses ennemis, elle ne se posait même pas la question. Pour elle, tout ce qu’elle avait prononcé étaient des faits. Une mise en garde. Une menace.

Aramintha s’approcha enfin, prête à passer son chemin mais pas sans s’arrêter une ultime fois au niveau de Trisha, brisant les limites qui les séparaient, qui les protégeaient l’une de l’autre. L'exécutrice ne réagit pas, ses muscles épuisés par ses blessures, elle ne cherchait pas l’affrontement et se refuserait à mettre en danger les civils, d’une certaine manière elle acceptait l’ultime affront de l’inconnue dans un aveux d’échec. Mais peu importe, tout ce qui comptait à ses yeux était que ses paroles avaient été entendues et comprises.

“Je prends tes menaces très au sérieux, mais vu ton état pathétique, tu ne serais qu’un vulgaire bout de viande pour moi. Alors soigne-toi bien, soigne-toi très bien. Car la prochaine fois, ce ne seront pas tes mots qui te feront t’écarter de mon chemin.”

Leurs regards ne se quittaient pas dans une défiance interminable. Trisha avait beau savoir son état déplorable, elle avait beau être renversée par le doute suite à sa défaite précédente, elle ne s’octroyait pas le droit de trembler. Elle serait une gène mineure pour cette femme ? Des mots. Toujours des mots. Les mages, les Apôtres, les templiers, les menaces pour le troupeau du Seigneur, tous s’enivraient de leur mot, de sens à moitié sussuré et de folie de fiction qui n’existaient que dans leur esprit égocentrique.

“Rend visite à ton cher Père Boréal, je suis sûre qu’il a de belles choses à te dire. J’ai laissé une belle surprise dans son bureau.”

Soudainement rigide, Trisha observa l’inconnue disparaître, brisant le statu quo par son absence, sa silhouette fine et bien parée se noyant dans la foule. Avait-elle bien fait ? Aurait-elle dû la retenir malgré les agneaux à proximité ? Était-elle une véritable menace pour la Sainte Eglise et ses protégés ? Aurait-elle mal jugé la situation ? Incapable de revenir en arrière, Trisha fit face à la Basilique et avança d’un pas sévère vers le siège de la Sainte Eglise de Venise. Cette journée était loin d’être finie.

La peau couvertes de blessures aux myriades d’origines, drapées des bandages qui font l’appanages des martyr modernes et de ses vêtements sales et usés qui ne sont que des haillons pour le commun des mortels, Trisha n’était ni une digne membre de la société des hommes, ni de la Sainte Eglise. Pourtant elle passait les portes de la Basiliques la tête haute sous les regards sévères des agents de l’église dérangés par le passage d’Aramintha Sol’Aryn.

Elle n’était pas à sa place, elle le savait et n’avait pas besoin de le lire dans leur yeux pour l’entendre, du moins c’était ce qu’elle pensait jusqu’à hier. Toujours elle avait regardé la Sainte Eglise et ses agents avec jugement et mépris, leur philosophie n’était pas si étrangère à celles des mages qu’ils fustigeaient si aisément, la plupart des exécuteurs de l’église suivaient un agenda personnel qui n’avait pas pour objectif de protéger et guider le troupeau du Seigneur.

Afin de se préserver de la malice qui courait dans les couloirs de la maison de Dieu, elle avait refusé de les parcourir. Si éloignée qu’elle n’était plus capable de s’imaginer mettre les pieds dans une église sans un haut le cœur, elle s’était perdue dans les ombres de l’abandon. Mais ces jours étaient révolue. Elle se devait d’être plus forte pour sa Mission, d’être une meilleure version d'elle-même, d’affuter de nouveau sa lame et d’être l’Arme que la Sainte Eglise abattra sur ses ennemis. Elle devait être le fer de lance qui illumine la nuit, telle était sa Mission et si son propre comportement était venu entraver son évolution, le regard de l’Eglise sur son symbole d’espoir aussi.

Les éclats de voix s’échappaient du bureau du Père Boréal, des ordres, des injures, la colère semblait être son péché tout comme l’acédie avait été celui de la jeune femme pendant six ans. Les accompagnants allaient et venaient du bureau l’air anxieux, incertains des nouvelles à apporter et de comment faire face à la colère de celui qui se trouvait à la tête de la Sainte Église de Venise, du moins pour le moment. Ignorant leur présence et les cris, Trisha bouscula un prêtre en bure pour tracer son chemin droit vers l’objectif qu’elle s’est fixé.

“Quoi encore ?”

La voix du Père Boréal, plus irritée que jamais, lui parvenait fort et clair même de dos alors qu’il rangeait désespérément le bureau ravagé par le passage de la Templière.

“Vous ? Après la Lame d’Argent je dois supporter le chien sauvage des Katherine ? Qu’on la fasse sortir, je n’ai pas le temps pour ça.”

Une main incertaines se posa sur le bras de Trisha pour la tirer hors de la pièce, autant pour appliquer les ordres donnés que pour la mettre hors de danger. Cependant, même abattue, revenant des portes de la mort et de la folie, Trisha Esau Katherine restait le pur produit de destruction qu’elle devait être. Ce n’était pas une simple main sur son membre meurtri qui la ferait vaciller. Immuable comme l’imposante stature du Père Boréal, son unique œil bleu fixait le prêtre avec insistance.

“J’ai croisé cette “Lame d’Argent” en arrivant. Je débarrasserai Venise de sa présence s’il le faut, tout comme j’ai bouté les précédents templiers.
- Vous ne ferez rien du tout. Vous disparaissez, plusieurs jours et l’on vous retrouve mourante après que vous ayez mis le feu à une rue et un bâtiment. Savez vous combien de temps cela a pris pour éteindre ces maudites flammes ? Combien de civils ont été blessés ou sont morts ? Considérez vous chanceuse de pouvoir encore mettre un pied ici. Maintenant, hors de ma vue.”

Ses mots étaient durs mais néanmoins justes. Trisha était coupable de tout cela mais dans un élan d’audace qui lui tordait les boyaux elle fit face, ne baissa pas les yeux, les lèvres crispées par la culpabilité, elle portait ce masque de résolution auquel elle s’était promis ce matin.

“Non.
- Pardon ?
- Vous ne me révoquerez pas de votre bureau, tout comme vous ne me ferez pas quitter cette ville. Si je dois agir hors de la Sainte Eglise je le ferai, mais je resterai aussi longtemps que le mal rodera ici.”

Enfin, le Père Boréal se retourna pour lui faire face, ses traits déformés par la colère qui ne se cachait même plus derrière le mur impénétrable qu’il dressait habituellement.

“Aux maux qui agitent cette ville, un nouveau s’ajoute.
- Vous…
- Une sorcière.”

La seconde de surprise laissa le temps à Trisha de continuer sa phrase.

“Pas une mage noire, pas un apôtre de la mort aux pouvoirs étranges, une Sorcière. Je ne connais pas les tours des mages mais je sais reconnaître la racine du mal lorsqu’elle se trouve sous mes yeux.”

L'œil bleu de l’exécutrice laissa se refléter une fraction de seconde le pourpre des flammes de l’enfer contenu dedans, agité dans son repos, empli lui aussi d’une peine immense d’avoir laissé la corruption échapper à son jugement.

“Je ne suis pas celle que je devrais être. Je n’ai pas été assez forte pour l’arrêter et le… l’incendie n’a été que la preuve de mon échec. Elle s’est enfuie. Blessée, mais en vie. Tout comme moi.”

La colère semblait être retombée, laissant place au silence et à la réflexion. Le Père Boréal la jugeait, décidant s’il devait ou non la croire et accorder du crédit à ses mots.

“Je suis à Venise pour protéger les humains qui l’habite mais aussi pour faire mes preuves face à la Sainte Eglise, comme mon père l’a voulu. Cela veut dire faire mes preuves face à vous avant tout. J’ai mené à bien l’une de vos missions mais aujourd’hui mes compétences sont trop amoindries, je me suis laissé aller en me complaisant dans la suffisance de mes forces. C’est terminé. Donnez moi quelques mois… quelques semaines, quelques jours et je retrouverai ce que j’ai perdu. J’éliminerai vos ennemis.
- Des beaux mots, je ne savais pas que vous étiez capable de parler ainsi. Mais nous n’avons pas ce temps. Les templiers sont à notre porte, ce tueur rôde toujours et qui sait quelles autres créatures profitent du chaos pour s’immiscer dans notre ville.
- Laissez moi être plus clair dans ce cas. Je ferai en sorte de recouvrer mes forces au mieux, en attendant, le temps que je serai à Venise je serai votre arme, à vous le visage de la Sainte Eglise. Utilisez-moi avec soin. Si ce n’est pas le cas, je trouverai un autre porteur.”