Alors … Je résume. Tout le monde paye un loyer. Le loyer se paye avec de l’argent. L’argent se gagne avec un travail. Le travail se trouve avec des études. Et moi …. J’ai pas fait d’études. Mphf.

J’observe avec un contentement certain le schéma explicatif dessiné à même le mur d’une ruelle déserte, à l’aide d’un marqueur trouvé sur le sol quelques jours auparavant. Le monde extérieur me semble bien complexe et je compte bien y trouver ma place. Après tout, si je n’y parviens pas celà voudra dire que Papa avait raison et que je devrais retourner dans le bunker pour le restant de mes jours. La vie à beau être plus rude à Venise, le sentiment de liberté qui en découle à une valeur immense à mes yeux. Je peux me lever quand je le souhaite, me promener ou je veux à condition d’être prudente et je me suis même fait des amies, ce qui était mon rêve le plus cher ! Trisha s’occupe de moi et je tente de faire de même, et j’ai même Gale qui est là pour moi au cas où ! Du coup, j’aimerais pouvoir leur rendre la pareille et vu que je ne suis pas douée en grand chose, je dois trouver un moyen de gagner de l’argent. Heureusement pour moi, je sais où en trouver. La ville regorge de gens terriblement riches, je l’ai bien vu lors de la réception. De ce que j’en ai compris, la ville n’est pas vraiment gérée par le gouvernement, mais par un mélange de grandes familles. Comme dans Roméo et Juliette quoi.

Les noms d’ici sont compliqués et se ressemblent et personne ne crie haut et fort à quelle famille il appartient, et quel rôle il remplit au sein de celle-ci. Tout ce que j’ai compris, c’est que les Remedi font office de police. Et autre information que j’ai, c’est qu’il y à un tueur en série qui sévit dans les rues de la ville. Mon plan est donc déjà totalement rodé. Je vais aller les voir, leur dire que je suis prête à faire un travail de chasseuse de primes vu que je commence à connaître la ville comme ma poche. Attraper le criminel et demander de l’argent pour payer un bon repas pour Trisha et étoffer un peu sa garde robe. Je suis sûre que ça lui fera plaisir. C’est donc en ricanant face à l’idée de pouvoir offrir des choses à ma meilleure amie, que je décide de me diriger vers le centre de la ville.

J’ai beau ne pas être un puit de connaissance, je retiens tout un tas d’informations entendues ça et là, et ce, même si je ne les comprends pas. Par exemple, je sais que la mitochondrie est une partie de la cellule qui produit l’énergie humaine sous forme d’une molécule. Mais je ne comprends pas vraiment ce que c’est. Mais je le sais ! Par contre, je sais que les Remedi habitent non loin des jardins royaux qui sont remplis de délicieux rongeurs et pigeons qui n’attendent que de finir dans mon estomac. Cuits, ça fait un super casse-dalle entre les repas. Aaaah, je me remets à penser à la nourriture. Les toasts de la réception ne sont qu’un lointain souvenir, tout comme les sangliers Suisses. Vraiment, je suis triste que Venise ne dispose pas de gros gibier. Même un ours à la limite ! Mais depuis quelque temps, j’ai l’impression d’être plus insatiable qu’a l’accoutumée. Peut être que je devrais aller voir Gale pour lui demander un bon repas … Nan, même pas un bon repas, juste un gros repas. Une quantité suffisante comme ce à quoi j’avais le droit à la maison. Je commence à croire que mon régime alimentaire n’a rien de normal ici. Personne ne mange autant que moi, ni les même choses que moi. Je commence à sentir une forme d’inquiétude.

Nan dis-je en agitant la tête.

Je suis malade, c’est pour ça que je mange autant. Après tout, c’est pour celà que j’ai dû subir autant d’opérations, ça me semble être l’explication la plus probable. Si un jour je rencontre un professeur ou un étudiant, je lui demanderais. Je refuse d’aller voir un docteur, car après tout, je vais bien ! Je mange juste beaucoup, c’est peut être seulement une question de croissance ?

Quoiqu’il en soit, j’arrive doucement vers les beaux quartiers, et on ne peut pas dire que je suis mal habillée aujourd’hui. J’ai mis ma tenue de soirée étant donné que c’est la meilleure dont je dispose. J’y ai même rajouté des lunettes de soleil, elles vont super bien avec ma fausse montre. J’ai l’air d’une agent de la C.I.A comme ça. Agent Spéciale Lize… ça claque sec ! Je traverse les rues bondées en pleine journée pour me diriger vers le grand palais des Remedi, du moins, si j’ai bien retenue la leçon. Ce n’est pas un bâtiment difficile à rater. Sérieusement, qui peut se permettre de vivre dans un endroit aussi … grand ?

Je m’avance vers les arches que je contemple avec des yeux pétillants derrière mes lunettes. L’architecture Italienne est incroyable et me transporte dans mes lectures d’enfant ! Vraiment, qu’est ce que je ne donnerais pas pour être au balcon d’un bâtiment pareil et être appelée au creux de la nuit par l’élu de mon cœur ? Je ne sais pas ce que ça fait d’être amoureuse, mais ça doit être si bien ! Et encore plus quand on est riche. J’évolue en cherchant du regard une porte d'entrée avant de m’arrêter non loin d’une fenêtre ouverte ou des voix s’élèvent au loin. Probablement une discussion de couloir. Ce ne serait pas convenable d’écouter aux portes comme ça, on me dirait probablement que ma mère m’a mal élevée. Mais heureusement, pour cette situation, je n’ai pas de maman. Alors tant pis.

J’épie discrètement, collée au mur pour essayer de capter ce qu’il se passe à l’étage ou plus loin dans le palais. Malheureusement pour moi, la seule chose que je parviens à entendre est un nom. Albrecht ? C’est de chez moi ça, c’est probablement pour ça d’ailleurs que c’est la seule chose que je parviens à entendre parfaitement. Ensuite, pas grand chose. Je crois qu’ils le cherchent ou du moins qu’ils l’ont perdu. Oui ! J’ai entendu le mot disparaître, ça doit être ça. Peut-être un enfant fugueur ? Quoi qu'il en soit, je reprends ma quête d’une porte. Chose que je trouve au bout d’un moment. Je me tiens droite, cravate resserrée, Jordans bien lacées. Et au moment où la porte s’ouvre je dit d’un air assuré :

Bonjour, je suis Lize, j’ai ouï dire que vous aviez perdu un certain Albrecht ? C’est votre jour de chance, je peux vous aider a le retrouver en un rien de temps !

Ah bah euuuh … Désolée dis-je en balbutiant avant que la porte ne se ferme devant moi.

Bonne journée !dis-je d’une voix un peu plus forte, espérant que mes paroles traversent l’épaisse porte.

…

Il me faut quelques secondes pour que mon cerveau traite ce qui s’est passé et surtout, analyse ce qui ne s’est pas passé. Mon plan était rodé, j’étais confiante ! Assurée ! Je me suis même bien habillée pour l’occasion. Alors pourquoi est-ce que je me suis faite refoulée par le shérif de Nottingham ? Je commence à m’agiter dans tous les sens, observant sous toutes les coutures mon accoutrement, reniflant mes aisselles et mes cheveux. Je sens bon, je suis propre et … mon haleine à une odeur convenable ! Je crois que cette courte interaction m’a un peu vexée. J’y peux rien si je ne suis pas majeure ! Je serre les dents et m’éloigne d’un pas rapide pour aller bouder sur un toit. Les murs ne manquent pas de prise à Venise, c’est une chose plutôt simple de les grimper et j’ai suffisamment de force dans les jambes pour ne pas avoir besoin d’assurance. Au pire, si je tombe … je me cogne la tête, et ?

Les bras enroulés autour des jambes, j’observe avec les sourcils froncés quelques pigeons qui roucoulent autour de moi. Je machouille de manière énergique le bonbon à la menthe qui m’a été offert comme lot de compensation. Il est plutôt bon d’ailleurs … c’est au moins ça de gagné. Mais, une fois que les petits cristaux de sucre disparaissent dans mon œsophage, je sens mon moral retomber dans mes chaussettes, et je n’aime pas ça. Après tout, ce n’est pas comme si j’avais été réprimandée et frappée, le shérif à même été courtois avec moi et doux. Mais sa réaction à réduit en pièces mon précieux plan, ça doit être ça qui me vexe, ou simplement le fait de ne pas être prise au sérieux … ou juste le fait qu’on me dise non ?

Pffffffffffffffffffffffffffff je vais quand même pas fouiller tout Venise à la recherche d’un Suisse ou d’un Allemand ? dis-je en marmonnant entre mes genoux

Je redresse la tête d’un coup. Et pourquoi pas ? Après tout, cette entrée en matière était peut être un test ? Et seule sa réussite me permettra de participer à la traque du tueur en série ? Mais oui ! C’est évident maintenant que j’y pense ! De toute façon, test ou pas, je n’ai pas envie de m’arrêter au premier échec. Si j’avais fait demi tour à ma première péripétie en quittant ma maison, je ne serais pas là ici. Je suis Lize la battante, et je compte bien retrouver cet homme disparu. Mais avant ! Repas !

Je me redresse et m’étire bruyamment avant de me diriger sur le rebord de l’un des toits, que j’enjambe sans difficulté pour en rejoindre un autre. Je cherche du regard un animal, un sac de restes ou d’invendus qui pourrait me rassasier. J’ai déjà mangé des pigeons avant de venir alors j’aimerais bien autre chose car en plus, les plumes ça reste dans les dents et je n’ai pas ma brosse à dents sur moi ! … Un chien errant ce serait bien ! Ça fait longtemps et la frustration m’a rendue affamée, du gros gibier fera office d’un très bon casse-dalle. Je continue donc ma course aérienne, observant rues et ruelles d’un regard amusé, m’éloignant le plus possible des endroits trop peuplés. Ça tombe bien, la ville est remplie de culs de sac à moitié délabrés ou dorment les animaux abandonnés, loin du bruit des axes principaux.

Cible en vue capitaine ! m’exclame-je avec un grand sourire carnassier.

A quelques mètres en dessous moi, au creux d’un chemin désert, un animal particulièrement maigre est en train de boire dans une vieille assiette qui traine. C’est exactement ce que je cherchais ! Faisons ça vite, je meurs de faim.

En quelques mouvements, je glisse le long des volets fermés et des murs lézardés par les fissures et me laisse tomber d’un coup sur le pauvre animal qui à peine le temps de comprendre ce qui lui arrive. Ma main se place sur sa tête et serre d’un coup, ce qui l’a fait craquer comme une sorte de noix, chose qui me rappelle que je n’ai pas mangé de fruits à coque depuis longtemps. C’est dommage pourtant ! Ca croustille !

Désolée monsieur chien, je peux au moins te promettre que tu seras au chaud dans mon estomac ! dis-je à la carcasse, d’un ton respectueux.

Avant de me nourrir, je ramène mon sac devant moi et en sort, après avoir bien fouillé, quelques sachets de sucre, récupérés sur les tables des cafés. Tout en sifflotant, je dépose leur contenu ça et là sur la fourrure crasseuse de l’animal. Ce n’est pas McDo, mais au moins j’aurais l’estomac bien rempli ! J'ammène le canidé à ma bouche comme un gros sandwich plein de poils et commence à l’enfourner dans ma gorge, n’offrant que quelques coups de mâchoire pour mieux faire passer le tout. Le repas est rapide et sans cérémonie mais, malgré la saleté et les poils, c’est un bon quatre heures. Après tout, je ne peux pas me permettre de prendre mon temps, on risquerait de me voir et de toute façon, c’était trop appétissant pour prendre mon temps.

Je soupire ensuite en me tapotant le ventre et en m’essuyant la bouche avec le chiffon présent dans mes affaires. C’est une bonne chose de faite ! Je me redresse en vérifiant qu’aucune goutte de sang n’est venue entâcher mes beaux vêtements mais non, je sais manger proprement.

C’est l’heure de partir au travail ! dis-je avant de regrimper par le même chemin par lequel je suis descendue.

Les minutes passent alors que je déambule de toits en toits, réfléchissant à la meilleure manière d’approcher la situation. C’est quelqu’un sur qui j’ignore tout mis à part son nom. Je ne sais rien de ses activités et n’ai aucune idée de quelle zone de la ville à déjà été fouillée. En plus …. ?

Je me retourne d’un coup, persuadée que quelqu’un marche juste dans mon dos. Mais il n’y à personne. Personne à gauche, personne à droite. En contrebas, bien sur des gens marchent mais ils sont loin.

Ce ne serait pas eux quand même ? me dis-je à moi même

Je continue d’observer autour de moi et de balancer mes poings dans le vide, à la recherche de l’homme invisible qui crapahute autour de moi mais, si homme invisible il y à, homme totalement intouchable il est. Puis, les pas se multiplient comme si une dizaine de personnes marchaient autour de moi tandis que leur parfum vient me titiller les narines. Je recule, craintive et dans une totale incompréhension, le long de l’eau ou aucun bruit ne viendra me perturber. C’est à quelques mètres au dessus de l’eau que je tente de réfléchir sur cet événement étrange qui est en train de m’arriver. Je sens pleins d’odeurs lointaines comme celle de l’eau et entends des bruits précis. Alors, pour être sûre qu’il ne s’agit pas d’un fantôme qui me joue une blague, hissée sur un toit, je crache dans l’eau.

… Plouf…

Plouf ?

Je suis étonnée, les yeux grands ouverts. Pourquoi est-ce que j’entends quelque chose comme ça ? C’est de la magie ? Une bénédiction ? Un level up ? UNE MALÉDICTION ? Je m’attrape la tête et réitère ce genre d'expériences plusieurs fois pour être sûre. J’ignore d'où ça vient, mais depuis quelques minutes, j’entends et sent de terriblement loin.

Faut que j’aille voir Trisha … c’est pas normal ça …

Je commence à avoir une boule au ventre, inquiète de ma condition et effrayée à l’idée de devoir aller me faire soigner. Les blouses blanches, l’odeur d’éthanol, les instruments acérés qui transpercent la peau … Mes dents et mes poings se serrent à cette idée désagréable tout comme ma respiration s’accélère. Soumise d’un coup à un crise de panique, je me laisse tomber sur les fesses et pose ma tête sur le sol chaud du toit tout en cherchant à me calmer. Ça va aller non ? C’est probablement normal ? Du à ma croissance ou quelque chose comme çà ? Ouais, ça doit être ça. Je deviens adulte c’est tout … pas de quoi s’inquiéter.

Les secondes s’écoulent sans que je n’ai la foi de me relever, perdue dans mes pensées et mes inquiétudes. Du moins, jusqu’à ce qu’un son étrange m’arrache à mes songes. J’entends des gens qui parlent dans la maison. Ils parlent de leur fille et du fait qu’elle n’est pas rentrée à l’heure hier. Ils sont visiblement en colère. Sans le vouloir, je m'immisce dans l’intimité de cette famille dont j’ignore tout mais apprends quelque chose d’incroyable : Je suis capable d’écouter aux murs plutôt qu’aux portes… c’est super pour enquêter ça non ? Ouais ! C’est super !

Je me jette sur mes jambes avec une énergie toute retrouvée. J’ai un nouveau plan en tête et travailler me fera oublier mes tracas qui n’ont d’ailleurs, probablement aucun fondement. Je vais longer l’eau, loin des rues et écouter aux murs des bâtiments qui me semblent les plus délabrés. Je me suis longtemps cachée dans des squats pendant ma fugue, si l’homme à fugué lui aussi, ses réflexions doivent être similaires non ? Personne n'irait se cacher dans un endroit riche.

Alors, portée par cette réflexion, je commence à sauter de toits en toits et poser mon oreille sur les épaisses structures de briques, pour tenter d’écouter ce qui se passe pour savoir si je pourrais trouver quelques indices.

J’écoute ça et là de nombreuses conversations et devient spectatrice de la vie de beaucoup de vénitiens. Je me perds dans leurs tracas quotidiens et me prête à un jeu consistant à comprendre la portée de leur conversation. Andréa est visiblement en échec scolaire à cause d’une étrangère, ce qui rends sa mère très malheureuse. Elle le voyait déjà medecin ou ingénieur, mais selon ses dires ils ne deviendra qu’un soldat dans une armée de terroristes au moyen orient. La relation entre Andréa et sa mère semble bien compliquée, un peu triste même. Je n’ai pas eu de mère, mais mon père n’a jamais haussé la voix sur moi, comme quoi, nous n’avons pas tous la même chance dans la vie.
Quelques maisons plus loin, ce sont deux personnes âgées, scotchées devant un programme qui vend des aspirateurs surpuissants. Développés aux états unis, ils permettraient de faire disparaître toute la poussière en quelques instants. Je me suis toujours demandée quel était l'intérêt de faire le ménage si c’était pour tout salir ensuite. Ennuyée par cette longue publicité débitée d’un ton monocorde, je m’éloigne vers une autre fenêtre.
Cette fois-ci, ce sont deux jeunes ayant à peu près l’âge de Trisha qui rigolent à gorge déployée. Ils semblent se chatouiller et ont l’air très heureux. Hissée sur mon toit, je profite de ce moment avec eux, laissant un doux sourire se dessiner sur mon visage recouvert de quelques poils canins. Trisha ne rigole pas comme ça, elle. Est-ce parce que je ne lui fais pas de chatouille ?

Je me redresse, pensive et m’appuie contre une cheminée. J’observe mes doigts, bien trop forts pour ne pas blesser quelqu’un d’autre et rejette cette idée de ma tête.

Je trouverais autre chose, pas de chatouilles. me dis-je à moi-même pour me convaincre.

Je me redresse et m’agite avant de repartir en quête d’information, étirant mes membres engourdis à force de mal me tenir, affalée contre le sol.


Puis, au milieu de ma route de tuiles rouges, j’entends une discussion. Des mots bas, chuchotés et qui transmettent une ambiance particulière, discernable entre milles : Une discussion de villains.

J’avance prudemment vers cet espace entre deux bâtiments, les yeux et les oreilles grandes ouvertes. Leur dégaine, leur vêtements, leur tronche, tout porte à croire que ce sont des sbires d’un énième mafieux tombé en disgrâce. J’ai toujours trouvé que la barbe et les lunettes étaient une manière simple de montrer que les gens étaient maléfiques dans les histoires. Ça et les chauves bien sûr.

Les sbires du mafieux sans cheveux murmurent d’un ton presque agressif. Ils parlent d’épingle, de Remedi et de souterrains. Je comprends difficilement la portée de leur discussion mais en saisi les informations les plus utiles. Ils cherchent la même personne que moi, ils veulent la prime ! C’est évident pourtant ?

Forte de ces informations, je me pose quelques minutes, concoctant un habile plan d’attaque. Ils ont parlés d’épingle, de souterrains et d’atelier. L’homme que je cherche est en fin de compte un artisan. Soit il s’agit d’un fabricant d’épingles à linges, soit il s’agit d’une manière détournée pour parler d’un gérant de laverie.

…

Laverie ! dis-je en tapant sur ma main avec mon autre poing


Heureusement pour moi, la recherche souterraine est dans mes cordes. Durant mon périple, j’ai été amenée à visiter égouts et antres d’animaux de la forêt, sans parler du fait que j’ai grandi dans un bunker. De plus, je dispose d’un sens de l’observation incroyable. J’ai déjà apperçu des grilles et autres passages qui peuvent mener vers les sousterrains. Ni une ni deux, je redescends des toits en quelques bons agiles pour me précipiter vers ces endroits reculés. Je cherche quelques instants, tentant de me remémorer quelles étaient les spécificités des ruelles qui menaient vers ces rares passages.

Au bout d’une trentaine de minutes, j’arrive devant l’une de ces grilles. Elle est épaisse, ancienne et décorée d’un épais cadenas.

Pfffh. Rien qui n’arrêtera les illustres talents de crochetage de l’agent Lize dis-je d’un air suffisant.

Mes mains se placent sur les barreaux et en un souffle, les étire dans un crissement strident. C’est étroit certes, mais suffisamment ouvert pour que je puisse m’y faufiler, ce que je fais sans réfléchir, s'engouffrant dans cette partie encore inconnue de la ville.


CA PUE hurle-je en laissant échapper une puissante contrainte.

L’eau est stagnante, les murs et les rebords sont recouverts d’excréments de rongeurs et autres bestioles malodorantes. D’habitude ça ne me gène pas autant mais là ? Quelle horreur.

J’avance le nez pincé en faisant la grimace à la recherche d’une trace, d’un indice ou tout simplement de cette dite laverie perdue dans la pénombre. L’obscurité n’est pas aussi lourde que je ne l’aurais pensé dans cet endroit presque entièrement privé de lumière.

J’avance pendant de longues minutes alors que mon estomac se remet à gargouiller. Je le réprimande durement d’ailleurs. On à déjà mangé un gros sandwich il y a une heure et surtout, ce n’est pas le moment. Des sbires ou des monstres des égouts pourraient nous entendre et nous agresser, ça pourrait compromettre la mission.

Je me sens comme une exploratrice des temps modernes dans ces galeries inondées et m’amuse comme une folle. La nouveauté a quelque chose de profondément rigolo. Les minutes et peut être les heures s’écoulent sans que je ne trouve rien, du moins, jusqu’à maintenant. J’arrive devant un petit escalier qui monte vers une pièce qui semble être au sec vers laquelle je me dirige. Au bout de quelques marches, une épaisse porte de bois étrange me barre la route. Elle est là, physique, existante. Je peux la toucher mais, c’est comme si mon instinct tentait de me convaincre du contraire. Mon esprit tourne quelques instants, perturbée par ce simple amas de planches.

C’est un gaz russe, c’est sûr murmure-je en serrant les dents.

Puis, dans un élan de lucidité et de courage, je toque à la porte trois fois.

De mon côté de la porte, l'impatience s’installe rapidement. La tension de la rencontre grimpe en flèche alors que j’essuie mes chaussures crottées sur le rebord de la marche. Je suis attentive aux bruits de l’autre côté. Des bruits métalliques assez fins et un bruit de viande que l’on relâche précédent des pas calmes qui se dirigent enfin dans ma direction. Le moment de la révélation de mon enquête du moment est imminent ! Ma respiration s’arrête, mes jambes se bloquent et mon esprit s’embrume …

Quoi ? D’un coup d’oeil rapide, je vois les quelques poils sur mes bras qui se dressent, accompagnés d’un frisson lugubre. Celui-ci se diffuse sur ma peau jusque dans mon dos. Ma gorge se serre à mesure que la porte s’ouvre tandis que j’assiste, angoissée au dénouement de toute cette mission. Car oui, il me faut quelques secondes pour comprendre que j’ai peur. Peur comme lors de mes premières nuits dans les squats, peur comme après un cauchemar dont je ne me souviens pas. Pendant les quelques secondes qui suivent l’ouverture de la porte, je ne parviens pas à comprendre l’origine de cette crainte. Est-ce cet Homme qui m’effraie ? Le lieu ? Moi ?

Je déglutit bruyamment, manquant à la politesse de base qui consiste à ne pas montrer de rejet face à un inconnu. Mais c’est plus fort que moi, c’est comme si le chien que j’avais mangé tout à l’heure baissait les oreilles en couinant et me somait de faire de même.

B…bonjour dis-je en balbutiant

Les mots sortent avec difficulté certes, mais ils sortent quand même. Je respire calmement, renvoyant de l’air humide dans mes poumons en décidant de me raffermir. Mes mains se crispent à un point ou la douleur que je m’inflige inconsciemment me ramène à la réalité, m’arrachant peu à peu à cette panique passagère. Puisant dans ma grande force mentale, je viens claquer mes mains blanchies par le manque de sang sur mes joues parsemées de sueurs froides.

J’ai pas fait tout ça pour rien, j’ai des raisons d’être là” me dis-je à moi même, laissant ce dialogue plein de détermination balayer la paralysie de mon esprit.

Bonjour ! dis-je avec plus d’assurance, hochant la tête pour lui signifier que j’accepte sa proposition.

Je m’appelle Lize et j’essaie de résoudre l’enquête sur votre disparition ! C’est vous Albretch ?

Après lui avoir posée la question et l’avoir suivi de quelques pas dans son laboratoire, je l’observe calmement, le dévisageant avant de détourner le regard, consciente que ce genre de choses ne se font pas, surtout sur des personnes arborant des malformations génétiques.

En tout cas vous êtes vraiment beaucoup recherché dehors … dis-je en m’arrêtant.

Le stress et la curiosité avaient masqués les odeurs et le tableau monochrome qui se trouvait devant moi. Du blanc, éclairé par du blanc et meublé par du blanc le tout, embaumé par un mélange d’alcool et de sang. Tant de souvenirs s’emparent de moi tandis que je renifle bruyamment, cherchant à mettre le doigt sur ces odeurs.

Sang … Oxyde de diéthyle, glutaraldéhyde … m’exclame-je avec une grande candeur avant de me retourner vers l’homme inquiétant dont mon corps m’ordonne de m’éloigner.

Vous faites de la chirurgie ?

A cet instant, malgré l’enquête, l’angoisse, la peur, c’est un engouement excité qui s'empare de moi, profondément heureuse de revoir quelque chose me rappelant autant mon père qui me manque de plus en plus.

L’homme ne s’attendait pas à recevoir de la visite ? Je n’ai aucun mal à le croire. Je ne suis pas spécialiste en immobilier mais je comprends sans difficulté que les laboratoires cachés ont pour objectif d’être cachés. Malheureusement pour lui, j’ai grandi dans un endroit similaire toute ma vie alors je suis la plus grande experte de Venise à ce sujet ! Néanmoins, je ne vais pas crier sur les toits ou il se trouve, cet homme à probablement ses raisons pour se cacher, ainsi que de vider le corps de cet Homme là bas.

J’observe avec une certaine mélancolie les différents produits et autres installations médicales. Tout ça me rappelle mon père et tous les efforts qu’il à pu produire pour que je reste en bonne santé. Un sourire plus doux se dessine sur mon visage à mesure que je me remémore tous ces temps passés, criblée de tuyaux et maintenue en vie par divers procédés chimiques et médicaux. Bien que tout celà me rappelle mon enfance, mon corps lui, est parcourue d’un frisson douloureux. Après tout, les dernières opérations avaient été particulièrement pénibles …

Puis, agitant la tête pour revenir à l’instant présent, je me tourne vers l’homme doré.

Ne vous inquiétez pas ! Je peux rester debout ou assise dans un coin. J’ai même l’habitude de dormir sur le sol alors... lui dis-je avec le sourire

J’observe l’homme des souterrains quelques instants, ne pouvant m’empêcher d’être interpellée par les lignes dorées sur son visage. Est-ce de naissance ? Ou est-ce dû à une condition médicale particulière ? Ou bien de la chirurgie esthétique ? Difficile de se faire une idée. Tant pis, je trouverais bien un moment pour lui demander.

A la base je cherchais juste un moyen de rapporter de l’argent à la personne qui s’occupe de moi. Elle ne mange pas beaucoup car elle me laisse manger plus qu’elle et le frigo n’est jamais trop rempli. J’ai entendu dire que l’homme sur la table était recherché en échange d’une prime …

Alors que je parle, je trouve un endroit ou me poser, loin des espaces sains et des produits dangereux. Je n’ai pas envie de contaminer son espace de travail, celà risquerait de fausser ses résultats ou pire, de le mettre en danger.

J’ai suivi plusieurs personnes qui le cherchaient pour avoir des informations. Puis certains ont expliqué qu’il se cachait dans les souterrains alors … je suis venue ! Je pense qu'ils ne mettront pas les pieds ici avant plusieurs heures, je suis une meilleure enquêtrice qu'eux, c'est sûr. Mais si vous l’avez trouvé en premier tant pis, je trouverai bien un autre moyen !

Alors que je prends mes aises, des maux de ventre prennent la place de cette angoisse brutale d’il y à quelques minutes. Mon instinct me met en garde et me pousse à être prudente. J’aimerais bien rester ici dans ce cadre unique pour discuter avec un homme de médecine, mais le temps risque d’être long, surtout si j’ai mal au ventre.

Après … Je ne suis pas très adroite mais je peux peut être vous aider ?

L’homme doré refuse poliment ma proposition, ce que je comprends. Je ne m’attendais pas à tenir les outils ou à lui prodiguer une quelconque expertise médicale, mais peut-être aurait- il eu besoin d’une personne pour lui tendre le matériel. Néanmoins il me propose de récupérer le corps en un seul morceau. Probablement qu’il aura de la valeur quand même. Les Remédi pourront arrêter leur recherche. En plus, il m’invite à venir l’observer, chose que j’accepte en hochement vivement la tête. Je me redresse sur mes petites jambes en un bond avant de rentrer dans l’espace d’opération et de m'asseoir sur le bébé tabouret.

Je reste silencieuse, respectant le calme requis pour effectuer une opération. J’observe calmement ce processus étrange qui illumine les mains de l’homme doré. La lumière est douce bien qu’inquiétante, me renvoyant à des souvenirs anciens, amplifiés par l’odeur d’organes et de produits chimiques.

Je me revois au bloc, allongée sur mon siège, observant mon père à moitié consciente. Il agitait des outils étranges et murmurait des mots incompréhensibles. Les lumières dansaient au milieu des lampes halogènes, altérant l’ambiance usuelle de mes opérations. Mon ventre était parcouru de sensations nouvelles et uniques, bien loin de la souffrance aiguë habituelle. C’était douloureux comme souvent certes, mais lorsque je m’agitais trop malgré l'anesthésie, il venait poser une main sur mon front transpirant, m’accordant une attention rassurante qui me manque aujourd’hui.

C’est avec un mélange d’attention et de profonde tristesse que j’observe cet acte chirurgical que je ne comprends pas. Mais mes yeux ne captent rien, probablement gênés par les larmes qui montent ou par la fatigue, à moins que ça ne soit à cause de ce sentiment de malaise omniprésent. Je parviens néanmoins à sentir quelque chose dans l’air. Ce n’est pas une odeur ni une sensation, simplement quelque chose de plus … abstrait. L’opération est bien trop complexe pour l'éternelle patiente que je suis car après tout, c’était papa le chirurgien, pas moi.

A mesure que les secondes silencieuses s’écoulent, je me sens écrasée par la mélancolie et presque blessée. Les quelques larmes qui coulent sans bruit menacent de se transformer en sanglots bruyants et dérangeants. La curiosité pourrait rompre ce sentiment désagréable noyé dans le silence.


Je ne veux pas déranger l’homme doré. Je patiente donc de longues minutes que sa concentration perde en intensité. J’attends qu’il se retourne pour attraper un outil ou saisir une boîte à organes pour prendre la parole, d’une voix claire et basse pour ne pas le déranger.

J’ai vu beaucoup de médecins depuis que je suis partie de chez moi, mais jamais de comme vous ou comme mon père. Je me demande vraiment ce que vous êtes en train de faire et pourquoi votre main s’illumine comme ça …

Merci beaucoup dis-je en attrapant le mouchoir

Puis je ne dis plus rien. Après tout, que puis-je rajouter ? Je suis assaillie sous un flot d’informations qui semblent pourtant si simples à comprendre, pourtant, mon cerveau n’arrive pas à assimiler.

Je suis bête. C’est un fait. J’ignore tout du monde. Chaque jour je tente de comprendre ce qui fait partie de la connaissance commune ou non. Le vocabulaire médical par exemple n’en fait pas partie, il est réservé à un personnel médical et qualifié, ce qui me fait éprouver une grande fierté. A l’inverse, savoir nager semble être une compétence commune dont je ne dispose pas vraiment. Ce n’est pas grave, j’apprends et m’amuse par la même occasion. Le monde est profondément gentil avec moi bien qu’il me rappelle sans cesse que je suis trop jeune pour lui. Ses habitants me sauvent, m’aident, m’écoutent et me réconfortent. Néanmoins, et ce pour la première fois depuis mon départ, j’ai la certitude d’avoir mis les pieds dans un endroit exclu du sens commun et hostile à ma candeur.

Je ne comprends pas vraiment les mots que prononce l’inconnu au visage doré. Evidemment, je comprends leur sens relatif, mais je les sens choisi d’une certaine manière, porteurs de nuances … Nuance que je ne comprends pas. Ses paroles ne sont pourtant pas méchantes ou cruelles ! Simplement … je ressens une forme de violence dissimulée derrière l’incompréhension. C’est comme si le fait de tout savoir sur ce qu’il se passe me plongerait moi aussi dans les fins fonds des égouts, loin du monde extérieur. Pourtant, bien que la révélation me terrifie, mon esprit s’emplit d’une volonté d’obtenir des réponses. “Pourquoi créateur ?”, “Pourquoi liberté ?”. Ces termes impliquent bien trop de choses pour le moment … et je commence à fatiguer.

D’un mouvement pénible je m’essuie le visage. Le tissu est doux, presque rassurant et pourtant il vient d’un corps sans vie à qui l’on a extrait sang et organes.

Je ne comprends pas tout ce que vous venez de dire … Depuis que je suis arrivée à Venise, tout le monde semble insinuer des choses. Gale, l’inconnu de l’autre fois. Ce n’est pas comme si on voulait me cacher quelque chose mais plutôt … dis-je en détournant le regard

... Comme si tout le monde partait du principe que je savais de quoi il était question. Vous savez, depuis que je suis ici, mon estomac me lance, mes poils se redressent, mon instinct me dit de courir et pourtant, vous êtes vraiment avenant avec moi. Vous répondez à mes questions sans m’en poser, m’offrez un mouchoir et même de refermer un corps pour m’aider. Mais …

Ma gorge se resserre devant cet élan de lucidité.

Si vous savez pourquoi je suis différente … Pourquoi je suis plus forte, pourquoi je cours plus vite ou pourquoi ma répartition organique est différente du corps devant moi, je préfère ne pas savoir. Je pense ne jamais avoir été aussi heureuse que depuis que je vis comme je l’entends … Je préfère en profiter … un peu

Je me redresse sur mes jambes doucement, veillant à ne pas froisser la bâche de plastique sous mes pas engourdis et maladroits.

Je vais vous laisser finir, récupérer le corps et … je repasserai vous voir pour vous remercier avec plus d’engouement plus tard !

Je tente d'arborer le sourire le plus éclatant possible, ne voulant absolument pas que l'inconnu ressente une quelconque culpabilité pour la franchise dont il à fait part.

Le temps passe alors que mon estomac se met à grogner. Chaque minute qui s’écoule m’éloigne peu à peu de mon dernier repas. L’odeur du sang poisseux mélangé aux produits chimiques alimente subtilement ce sentiment d’appétit. Mais je ne préfère pas y penser. Ces pensées sont anormales et dangereuses. J’essaie donc de me persuader qu’elles ne sont que des pensées intrusives, que tout le monde sous le coup de la faim ressens ce genre de choses.

J’ai peur. Tout me fait peur ici. Le gentil monsieur, ses sous entendus, mon ignorance, moi.
Je vais devoir être prudente visiblement. Cette ville si agréable semble cacher de noirs secrets, bien plus obscurs que tous les films que j’ai pu visionner. Après tout, dans les films, les gens saignent du jus de tomate, pas du vrai sang …

Je réfléchis longuement à tout ce qui se passe depuis que je suis arrivée à Venise, tentant au mieux de trouver des réponses convaincantes. J’en viens même à passer doucement une main sur ma nuque, désireuse de vérifier que je n’ai pas été mordue par un vampire pendant la nuit. Évidemment, rien ne transparaît face à mon examen. Le constant ne me surprend pas, après tout les vampires s'attaquent aux jeunes et jolies jeunes femmes, pas aux enfants. Un loup garou m’aurait dévorée lui, bien que je n’ai pas de grand-mère à manger non plus. De plus, la pleine lune ne me fait rien. Mon schéma de réflexion sautille d’idées en idées, de fables en contes, se heurtant à mon court apprentissage des histoires d’enfance.

Ça me rassure, si une sorcière ne m’a pas lancé de sort à ma naissance, ce n’est probablement pas ça murmure-je avec un sourire en demi-teinte.  

Au bout d’un moment, bercée par l’ambiance qui me rappelle ma maison et par les bruits d’opération, je m'assoupi, fatiguée. C’est agréable de dormir.


Les heures s’écoulent alors que je me repose. Je rêve de tout et de rien avant d’être réveillée par le bruit des outils que l’on range. Engourdie par ma sieste, je me redresse doucement, entendant l’homme doré s’approcher vers moi.

Il m’adresse la parole. M’offre le corps en plus du mouchoir. Sa voix est calme, implacable. Mon corps m’intime toujours de fuir mais sa voix, elle, me semble toujours rassurante. Elle est comme une pièce stérilisée. D’une seule couleur et sans nuance, elles ont cette chose qui crée un sentiment de sécurité, bien que remplies d’objets coupants et de produits dangereux.

L’homme me fait une proposition sortie d’un film de science fiction. D’habitude je m’en amuserait, j’en rigolerait et ne prendrais pas ça trop au sérieux mais là, l’ambiance me pousse à être mature. Je réfléchis à sa proposition, pesant le pour et le contre.

D’un côté, ces discussions m’inquiètent et ont induit dans ma tête des idées que je n’aime pas. Du doute, de la peur … une crainte invisible.

De l’autre, le processus sera probablement douloureux. Une lobotomie peut-être ? Je pose une main sur mon œil droit, grimaçant à l’idée d’avoir un pic à glace enfoncé dans l'œil. De plus, je perds la mémoire de cet instant, de cette rencontre, de la possibilité d’avoir des réponses plus tard. Avec du travail, ce genre d’endroit pourrait devenir comme une seconde maison et une porte ouverte à de nombreuses possibilités …

J’essaie de comprendre la portée de ces choix, de ce qu’ils impliquent me concernant mais aussi concernant les gens que j’aime. Serais-ce plus sage de retourner à l’ignorance ? Ou bien d’avoir conscience que le monde est plus dangereux que je le pensais pour pouvoir défendre Trisha … Vu comme ça, les choses deviennent plus simples.

Ça me fait peur. Beaucoup. Beaucoup beaucoup en vrai … mais je préfère me souvenir de vous. Je me suis incrustée chez vous, vous avez posé des questions, ai demandé à récupérer un cadavre et mon corps à peur de vous, mais vous avez été gentil … En plus, je sais bien que les médecins ne comprennent pas ce qu’il se passe avec mon corps. Je vais grandir, je risque d’avoir besoins de nouvelles vertèbres et … je m’arrête doucement.

Ça ne sert à rien de trop parler. Mes besoins viendront plus tard, pour le moment je dois me montrer reconnaissante.

Avant de partir avec le corps empaqueté sur le dos, je réitère plusieurs fois mes remerciements ainsi que ma décision de ne pas oublier, celle-ci s'affirmant dans mon esprit de plus en plus à mesure que je le répète. Puis, au bout d’un moment, je décide de laisser l’inconnu, le remerciant une dernière fois et lui annonçant que j’apprécie son prénom.

Comme à mon arrivée, je passe les portes du laboratoire, retournant dans les passages sinueux et inondés des souterrains de la ville. Bien que fatiguée et perturbée, je n’en reste pas moins une lumière hors père. Bien que chargée, je retrouve la sortie en un rien de temps, “crochetant” au passage une autre grille avant de me hisser sur les toits, consciente que je ne peux pas me trimballer avec un corps comme ça.

Après ma séance d’escalade, je me pose dans le creux d’un toit, attendant que la nuit ne tombe pour progresser en ville. Avec les histoires de tueur, les rues sont plutôt praticables une fois que le soleil est parti se coucher. Avec une grande agilité, je saute de toits en toits, devant par moment refixer l’homme sur mon dos. J’avance encore et encore, tel une livreuse des triades chinoises et arrive devant la porte qui ne m’avait laissée pour récompense qu’un délicieux et sucré bonbon à la menthe.

Sourire sur les lèvres, mains sur les hanches, housse mortuaire appuyée contre le mur. Je toque, tape, sonne avec la certitude que je ne dirais rien de ce qui s’est passé. Je vais mentir car après tout, je suis bonne pour raconter des histoires.