Concept.

Voilà, si je devais me résumer en une phrase, c’est sans aucun doute celle-ci que j’utiliserai. Une vérité absolue et constante qui définit l'entièreté de mon comportement, et ce, depuis de longues années. Je ne me qualifie pas par ma thaumaturgie, mon physique ou mes origines, simplement par le manque d’engouement dont je fais preuve envers chaque jour qui passe. J’en veux profondément à mes parents pour ça, du moins, ce qu’il en reste. J’ai conscience d’être chanceuse parmi les héritiers de thaumaturges. Mon obtention du blason familial s’est faite sans lutte politique, je suis en bonne santé, je n’ai jamais subi d'expériences horribles et j’ai même le droit de garder un semblant de vie normale, mais cette prédisposition à l’ennui, c’est également de leur faute.

Hypermnésie, nom féminin : fonctionnement incontrôlé et anormalement intense de la mémoire.



Voilà l’un des deux grands drames de ma vie. Un syndrome rarissime, ne touchant qu’une poignée d’être humains sur terre leur octroyant une mémoire défiant les limites de la raison. Depuis mes cinq ans, je n’oublie rien. Je n’oublie pas la huitième page de l’annuaire d’Oxford, je n’oublie pas les thèses mathématiques que je lis pour passer le temps, je n’oublie pas l’odeur de la bougie rouge sur mon septième gâteau d’anniversaire, je n’oublie rien. Tout ce que je sens, entend, touche, goûte ou vois est encré dans ma tête et rangé soigneusement. Bons comme mauvais souvenir, je peux tout revivre comme si j’y étais, que je le veuille ou non. Si on ajoute à ça, de grandes prédispositions génétiques et une éducation millimétrée depuis que je suis capable de marcher, ça donne ça… Une personne qui n’éprouve ni envie et ni difficulté au fait d’apprendre, qui à un rapport boulimique à la connaissance. J’assimile, j’avale, je dévore livres, articles et recherches jusqu’à me dégoûter d’un sujet ou d’un autre. Puis je recommence sur un autre, puis un autre, puis un autre…

À l’instar de mon prénom, tout ce qui fait de moi ce que je suis n’est en réalité que le fait de mes parents ou de leurs parents avant eux. Le destin, la chance, la providence ou même dieu n’a eu aucune emprise sur ce que je suis aujourd’hui. Je suis simplement la conclusion logique de siècles de décisions et d’eugénisme thaumaturgique. Chacune de mes prédispositions est celle qu’un de mes ancêtres a sacrifiée et a transmise aux générations futures. À l’instar de mon prénom, tout ce qui fait de moi ce que je suis n’est en réalité que le fait de mes parents ou de leurs parents avant eux.

Génie… Au fil des années, j’ai développé une certaine aversion pour ce terme et ses synonymes. Il me fait l’effet d’une médaille remise après avoir triché, d’un pardon reçu après avoir menti. C’est comme féliciter un stylo d’écrire, et un homonculus pour être serviable. C’est stupide.






Si je pouvais disposer d’un souhait, un seul, ce serait de pouvoir disposer d’une vie normale. Celle d’une adolescente qui à des amies, se dispute avec ses parents, à un petit ami et stresse à l’approche des examens. Celle d’une fille qui à des loisirs et aucune responsabilité, d’une jeune adulte qui n’est pas un problème sur pattes.

Malheureusement, je n’ai pas de souhait à disposition, alors je m’isole simplement de ces sentiments et de ces remarques qui provoquent chez moi un grand inconfort, et une douloureuse mélancolie. Je veille scrupuleusement à dissimuler mon avidité pour le savoir. Je m’assois toujours au fond pendant les cours ou dans la bibliothèque, me contentant de jeter un simple regard pour lire les formules avant d’enfoncer mon visage entre mes bras. Je saborde mes examens, veillant à toujours obtenir la note moyenne qui ne me vaudrait aucun renvoi, je ne pose aucune question à mes professeurs et me contente de chercher la réponse moi-même pendant de longues veillées dans la bibliothèque de la tour de l’horloge, tout ceci à l’exception du professeur Fersen <3 et du professeur Aftalion que je côtoie dans un cercle différent et plus intime.

D’ailleurs, j’avoue avoir du mal à digérer le fait que la moyenne d’âge des gens que je côtoie avoisine les cinquante-cinq ans et ne se résume qu’aux membres du Département XIII de la tour de l’horloge. Je n’ai ni amie, ni connaissance amicale et je ne parviens pas à faire en sorte que mon promis s’éprenne de moi, du moins, pour autre chose que mes yeux. On m’a souvent fait comprendre qu’aux regards des autres, je ne suis qu’une personne invisible et acariâtre, rejetant toute proposition de socialiser d’un revers de la main ou d’une réplique particulièrement blessante. Même si j’ai conscience de tout ça, je ne le fais pas de mauvaise foi. La vérité est simple, je suis profondément mal à l’aise avec les autres. Je me sens vulnérable et ai le sentiment constant de mettre les autres en danger. Alors, à force de temps, j’ai développé un profond manque d’empathie. J’ignore quand les gens sont tristes, heureux, amoureux, en colère, et je ne pense pas être bien meilleure pour déceler ce genre de sensations chez moi. Je ne ressens que de la fascination, de l'intérêt, du dégoût, de l’ennui… Mais au fond de moi, j’aimerais profondément rencontrer quelqu’un qui forcera une amitié, au moins une, avant de devoir rejoindre la racine ou d’être tuée par un thaumaturge mécontent.






Si je tente autant d’avoir un contrôle absolu sur ma vie, ce n’est pas par respect pour l’héritage administratif familial. Pour toute cette tradition consistant à tout noter, tout contrôler, et veiller à ce que chaque aspect de nos interactions avec l'extérieur soit soumis à un contrat. Non, c’est parce que c’est rassurant de sentir que quelque chose ou quelqu’un à de l’emprise sur moi, qu’il y a un filet de sécurité entre mes yeux et le monde extérieur. Pourquoi mes yeux ? Et bien, si ma famille considère que je suis capable d’atteindre la racine, ce n’est pas pour mon hypermnésie, mon savoir, mes circuits magiques de bonne qualité, ma peau douce et mes cheveux soyeux. Non, ce sont mes yeux. Des yeux mystiques uniques et possédant un pouvoir de destruction alléchant, que je refuse d’utiliser. Je refuse de prendre des vies et… ce serait dommage de donner des raisons à l’association pour utiliser ma désignation sous scellé. D’un côté, je suis même reconnaissante envers la tour d’exercer une telle menace sur moi. En plus d’une hygiène de vie stricte, de la possibilité de me forcer des Geis sur moi-même, et d’un entourage compétent, je sens que je ne ferais de mal à personne.

Malheureusement, tout le monde n’est pas aussi prompt à l’ordre et aux recherches sans danger. C’est l’une des quatre raisons qui m’a poussée à rejoindre le département XIII. La première raison est celle-ci. Je considère depuis toute petite que l’ordre est le seul moyen d’avancer et de préserver l’humanité des menaces terrifiantes qui rôde. Alors, autant mettre mes compétences à profit dans autre chose qu’une armée d’enforcers. La seconde est l’attrait addictif que me procure la résolution d’un mystère humain. La recherche, l’apprentissage, tout cela ne sont qu’un ensemble de connaissances froides, alors que l’enquête. Il faut se projeter dans la psyché humaine que je comprends mal, prévoir les actions des autres, et analyser. Une sorte de partie d’échecs à plusieurs niveaux où l’on affronte que des gens profondément savants. Quand je fouille, j’ai la sincère impression que la volonté qui m’anime m’appartient, et n’est pas le fait de l’eugénisme dont je suis issue. La troisième, c’est le respect et la reconnaissance que j’ai pour le directeur et Wizard Marshall Aftalion. C’est lui qui m’a appris à appréhender mes yeux quand j’étais jeune et à retirer une partie de l’angoisse qu’ils m'inspirent. La quatrième raison s’explique en deux mots : Leland Fersen. Un professeur élégant, charismatique, profondément passionné et que je n’effraie pas. Certes, il est un peu envahissant et parfois effrayant, mais l’énergie qui le guide me fascine et je me sens vivante à ses côtés. Personne avant lui n’avait véritablement touché ma peau ou ne s’était intéressé à moi, et bien que je ne soit probablement qu’un cobaye pour lui, je vis avec la sincère conviction que je suis un peu plus que ça a ses yeux.

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