Cette étrange impression de jamais vu | Priscilla
Porteuse d'incertitude, véritable anomalie, elle se révèle et se transforme au fil de sa descente aux enfers. Appréciant chaque instant de nouveauté.
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Priscilla
Vous êtes-vous déjà réveillé avec l'impression que ce monde n'est pas le vôtre ? Que ses couleurs vous trompent, comme les paroles de ses apôtres ? Je ne saurai l'expliquer avec des mots, mais cette vie m'a toujours semblé n'être qu'un enclos. Une prison, un voile factice, rien d'autre qu'une contrefaçon. Je me lève chaque matin en espérant faire face à autre chose que ma chambre, comme si nous n'étions pas des insectes prisonniers de l'ambre. Pourtant chaque fois que j'ouvre les yeux le soleil occupe toujours la même place dans les cieux, spectateur impassible de notre présent comme il l'était pour nos aïeux.
Je suis une fille sérieuse et j'ai toujours voulu me garder de mes tendances malicieuses. Mes études sont des plus brillantes et jamais je n'ai laissé de place au hasard en bonne âme prévoyante. Pourtant, tous les jours je sens en moi s'agiter cette envie, comme une voix qui susurre à mes oreilles le doux son d'une nouvelle vie. Prendre la décision que chacun stigmatise, voir de mes propres yeux la fin d'un choix empli de sottise. Mais non, mon esprit m'empêche de suivre mon cœur peu importe ses raisons. Et peut-être qu'un jour, entendez-moi bien, je me laisserai aller à l'inconstance face à un grand carrefour.
Ce jour là le soleil se teintera d'une nouvelle essence, et ma vie se peindra d'un tout autre sens.
Qu'est-ce que le chaos ? Une question compliquée qui demande de s'inquiéter du référentiel dans laquelle elle s'inscrit, après tout difficile de définir un mot qui peut être un état primordial, un comportement statistique, un archétype social ou tant d'autres choses. Je me serai probablement posé la question avec plus d'attention si j'avais conscience du concept d'Origine et de son importance pour moi. Mais faisons avec ce qu'on a.
La théorie du chaos nous indique qu'un système dynamique (tout ensemble sujet à évolution) est dit "chaotique" s'il est soumis à ses conditions initiales (tout facteur pouvant apporter une variance à son résultat). Des mots bien compliqués pour décrire ce que l'on connait plus souvent sous le nom d'Effet Papillon. Le moindre changement, la moindre intervention peu entrainer un changement irréversible et imprévisible.
C'est ça, le chaos. Le changement. La différence entre deux états qui devraient être similaires mais qui pourtant ne le sont pas, l'inconstance des résultats, du déroulement des phénomène, l'incertitude éternelle face à une vérité inexistante. Voilà le chaos. Du moins je crois. Mais cela expliquerait pourquoi je serai si prête à me laisser aller aux décisions les plus incompréhensibles pour tous, même pour moi.
Mais s'il y une chose dont je suis sûr c'est que même si je change et que je me laisse aller, si je devais me changer en homme, en fumée, en animal, en verre ou en cauchemar, je ne serai jamais autre chose que moi. Et ça, il faut encore que je l'accepte car peut importe ce qui se reflètera dans mon miroir, ce ne sera toujours que Priscilla.
Voilà un don dormant, une capacité étrange qui m'est encore inconnu et qui pourtant a peut-être déjà influencé mon histoire. Si le monde est un grand ensemble de rouages inégaux et imparfait, je suis le grain de sable qui vient perturber plus encore leur éternelle révolution. Le chaos ne serait pas si notable s'il n'influençait pas le monde et je pense que ce n'est que naturel que d'une manière ou d'une autre je ne sois qu'un aléas, pas le résultat.
En prêtant un peu de ma nature je peux pousser à les gens ou les choses dans l'océan de l'incertain mais acceptable, sans jamais avoir de contrôle sur le résultat. Ce ne sont jamais des changements de grande ampleur, en effet comme en nature, je ne suis pas si exceptionnelle que ça, mais comme le battement de l'aile d'un papillon, parfois la moindre différence change le cours des choses.
L'encre de ce stylo était-elle rouge ou bleue ? Cette horloge avait-elle une minute d'avance ou de retard ? Cet homme a-t-il rangé ses clefs dans sa poche gauche ou sa poche droite ? A-t-il dit "c'est l'heure de manger" ou "c'est l'heure du repas" ? Ce couteau est en acier, oui, mais inoxydable ou non ?
Une variance que l'on pourrait oublier, des goutes d'eaux qui s'accumulent sans jamais faire déborder le verre, n'est-ce pas ? Mais le jour ou votre professeur n'acceptera que les stylos bleu, que vous aurez une minute de retard pour votre train, que le pickpocket tentera sa chance à droit plutôt qu'au gauche, que vous utiliserez le mauvais mot face à vos enfants adolescent ou que vous aurez oublié un couteau dans un tiroir, vous verrez la différence.
"Les hommes sont ainsi fait" m'expliquaient mon père, mais pourtant je n'ai jamais réussi à accepter cet état de fait comme une réponse acceptable. Si notre vie est une jardin, pendant longtemps j'y faisais uniquement pousser des "Pourquoi ?" et je récolte les réponses de mes innombrables question sur notre histoire.
Qui sommes nous ? Vraiment ? L'histoire des politiques m'intéresse moins que l'histoire de cultures qui ont parsemé les temps et les terres. Après tout c'est grâce à elles que nous pouvons aujourd'hui comprendre les gouffres qui nous séparent, les ficelles de haines tirées par ceux qui décident et pourquoi le rouge est une si belle couleur.
Je ne pense pas être une génie, je suis simplement passionnée et, à vrai dire, notre passé m'aide aussi à sécuriser mon futur. Ne dis-t-on pas que la folie des hommes est de ne pas apprendre des erreurs de leurs ancêtres ? Je pense que j'ai longtemps espéré trouver des réponses à mes questions à mon propos dans notre passé, mais j'en suis simplement arrivé à la conclusion que chaque vie est différente.
J'entame aujourd'hui ma fin de Licence, il est vrai que c'est un peu tôt mais je me projette déjà sur la suite de mes études, avec un peu de chance je finirai ma thèse avant de m'être lassé de tout cela, mais je n'y crois pas. Non, je ne crois pas pouvoir me lasser d'histoires qui se renouvelles à chaque page tournée des livres et dont je peux aujourd'hui trouver les échos dans notre paysage.
Ne sommes nous pas si distrayant ?
S'il y a bien une chose dont je suis fier, c'est ma mémoire. Dans les multitudes de reflexes, d'alarmes et de reflexes que je me suis construit afin de maintenir mon quotidien dans un ordre acceptable, j'ai appris à trier et ranger mes souvenirs de façon à toujours pouvoir avoir une référence pour mon propre comportement.
Grande bibliothèque silencieuse ou je suis à la fois lectrice et solitaire archiviste, il s'agit d'une hygiène mentale qui demande une concentration conséquence, une routine bien huilé, et la clarté mentale de fixer les images de nos vies dans des motifs facilement reconnaissable. Je ne suis pas hypermnésique, il ne s'agit pas d'une mémoire à laquelle je peux accéder librement comme un gigantesque disque dur numérique.
Non, il me faut du temps, du calme et l'envie d'accéder à mon palais de songe et de fragment du passé pour pouvoir les consulter. Heureusement durant les examens se sont des circonstances bien souvent réunies alors j'ai trouvé une utilité pratique immédiate à ce talent que j'ai su me construire.
Malgré tous mes efforts je suppose que je ne peux pas complètement occulter ma nature et il y a bien un aspect sur laquelle elle m'est utile. J'avoue avoir beaucoup de mal avec les gens qui espère avoir un quelconque contrôle sur moi. Je suis partisane que la seule servitude acceptable est celle ou l'on décide soi même de se mettre les fers, alors les fringants aux regards acérés qui pensent lire le passé, le présent et le futur en moi pour mieux capturer mon précieux libre arbitre sous des charmes factices, je suis toujours heureuse de pouvoir les envoyer balader.
Voyez vous je suis notoirement dure à lire. Difficile de savoir ce qui me passe par la tête, difficile de décrypter mes réactions, difficile à lire. Cela n'a rien à voir avec un air de glace ou une habitude de rediriger l'attention vers de fausses pistes mais plus une tendance naturelle a envoyer des signaux contradictoire par ces multiples gestes inconscient qui trahissent habituellement l'historique de nos vies. Evidemment cela ne marche pas toujours, et je suis suffisamment propre sur moi pour être identifié ne serait-ce qu'à la façon dont je porte mon uniforme.
Cependant les jours ou j'abandonne un peu ma vie d'étudiante j'ai l'impression d'être une toute nouvelle personne au yeux du reste du monde et je trouve cela assez exaltant.
Ce que je suis et ce que je serai
Ces mots sont ma certitude, la seule vérité dont je sois persuadée. Je le sais non pas parce que ce nom est inscrit sur ma carte d'identité, mon dossier universitaire ou même parce que ma famille et mes amis m'appellent comme ça, mais parce que chaque jour je fais l'effort de l'être. Je me lève à la même heure chaque jour, prend le même transport en commun, idéalement à la même place. Me maquille des mêmes marques et mange équilibré selon un planning que j'établis chaque semaine. Je poursuis mes études dans le domaine que j'avais choisi très tôt, fidèle à l'idée que je me faisais de moi et qui est devenue la vérité de ma vie.
Vous me trouvez fausse ? Vous me trouvez superficielle ? Peut être est-ce vrai, mais peu importe votre jugement je suis fière de la vie que je mène. Je suis fière d'entendre ma famille dire, "Priscilla est une fille bien élevée, une fille que l'on aimerait marier," mes camarades répéter "Priscilla est une bonne amie, chez qui tous nos secrets sont à l'abris". Avez vous la moindre idée de l'effort que cela me demande de rester fidèle à moi-même ? De ne pas décider sur un coup de tête de changer d'itinéraire, de repas prévus, de rendez-vous ou de cours ? Je sais que vous ne savez pas. Ce n'est pas grave. Je n'ai encore jamais rencontré personne qui est habité de la même peur de voir son monde s'effondrer si elle abandonne sa route.
Vous trouvez ça ridicule ? Vous avez raison, je suis ridicule. Certains docteurs parlent de manies, de troubles, mes parents parlaient de perfectionnisme, mais ils se trompent tous. Ce n'est pas quelque chose que je peux prouver. Ce n'est pas quelque chose que je peux expliquer avec des mots, mais je l'ai vu, ma vie autrement. Je la vois dans mes rêves. Je la vois dans les décisions que je ne prends pas. Dans celles que j'aurai pu prendre. Je la vois tous les jours, tout le temps, comme si chaque geste, chaque mot, chaque respiration aurait pu être différente et ouvrir seule une porte inédite, interdite. Je me suis vu devenir riche, malade, aimée, tuée, despote, excommuniée, mère, sans abris et tant d'autres choses, parfois sans même un mot pour les décrire.
Alors c'est ainsi que je vis, accrochée à mon quotidien comme un pendu à sa corde. Je ne me dis peut-être pas pleinement heureuse mais en tout cas clairement pas à plaindre. Je suis une étudiante modèle considérée comme brillante par mes professeurs et mes camarades, j'étudie un domaine à la fois intriguant et épanouissant, j'ai une vie sociale remplie avec des amies et des amis, pas encore d'amour en vue mais ce n'est qu'une question d'un peu de tolérance, je ne me l'accorde pas pour l'instant. Mon sérieux et ma rigueur dans la vie de tous les jours m'ont appris à développer des réflexes sains pour garder un corps et un esprit en bonne santé et j'espère pouvoir un jour décrocher un diplôme qui fera de moi une figure emblématique de la recherche anthropologique culturelle européenne.
Un peu d'égo de temps à autre, cela ne fait pas de mal.
Alors oui, je suis peut être terrifiée de l'idée que ma vie peut changer, dérailler complètement et s'écraser hors des sentiers battus, mais je ne reste pas inactive pour autant, au contraire. C'est en allant de l'avant, en gardant les pieds sur les pédales de ce vélo quotidien que je parviens à garder le cap. Les yeux rivés vers le futur, mes œillères d'organisation pour m'éviter d'observer la myriades de chemins aux arabesques étrangères qui s'étiolent autour de moi.
Même si au fond, quand les rêves s'éteignent et que mon esprit cherche lentement ses repères en sortant de sa torpeur chaque matin.
J'espère que le soleil sera d'une couleur différente.
La seule. La vraie. L'unique. Celle qui se lève le matin lorsque l'envie lui en prend et qui parfois même ne se lève pas du tout. Parfois parce qu'elle n'a pas envie, parfois parce qu'elle ne s'est pas couchée. Celle qui embrasse la vie comme une femme française et qui mord la chaire des désirs comme ces étranges oiseaux charognards des pôles. Qu'il est bizarre de n'avoir en ce monde qu'une seule certitude et de lui faire si confiance que jamais on ne la remettrait en doute. Peut-être que je me trompe, que je ne suis plus Priscilla, que je ne l'ai jamais été, que je le serai de nouveau demain ou que seulement hier j'aurai pu l'être ? Quelle importance, la question ne se pose pas, ce n'est pas un nom qui sera mon masque mais c'est mon être qui porte ce nom.
Et je l'aime.
J'aime quand je décide qu'aujourd'hui sera une journée de mensonge, d'honnêteté, de demi- secrets. J'aime quand je décide de n'aller qu'à gauche, de parler à chaque personne que je croise, d'éviter le moindre regard, de manger avec des inconnus ou même de rester enfermée chez moi. C'est étrange non ? Il y a tant de monde ou je prend chacune de ces décisions mais lorsque je souhaite faire tout en même temps leurs yeux sont pleins de surprise, de moquerie, de consternation, d'amusement, d'intérêt, de déception. Alors ? Vous êtes abasourdis ? Vous ne savez plus quoi faire ? Quelqu'un dérègle votre quotidien et vos rouages déraillent ? Qu'ils sont hypocrites, tous autant qu'ils sont, à décider d'une vie pour les autres, imaginer ce qui leur semble juste et l'imposer sans se demander ce qui peut bien se passer dans la tête de celle qui doit vivre leurs décisions, mais vous savez quoi ?
Je vous avais prévenu.
Je leur en avais parlé de cette peur indicible qui me paralysait au seuil de chaque choix, que j'avais peur de me perdre, moi et la vie que je protégeais, si je me laissais aller. Que tous mes plans, toutes mes notes, tous mes rappels, avaient un sens, qu'ils étaient là pour eux, pour moi, pour tout le monde. Que de l'autre côté de la porte l'histoire dévalait en cascade la pente de l'irrationnel, des aléas imprévisibles et des événements incompréhensibles. Personne ne me croyait et voyez où nous en sommes aujourd'hui ? Heureusement que plus rien de tout ça n'a d'importance, la famille, les professeurs, les amis, les docteurs, je ne crois pas me souvenir de leur visage et j'espère qu'ils ont souffert en perdant celle que j'étais car seule celle que je suis importe et vous voulez un autre secret ?
J'ai toujours été ainsi.
Je le savais au plus profond de moi et je ne sais pas trop pourquoi j'en avais peur, probablement l'irrépressible envie de comprendre l'inconnu et refuser d'avancer sans la certitude que tout se passera bien. Plus aujourd'hui, plus maintenant. Qu'arrivera-t-il demain ? dans une heure ? dans une seconde à peine ? Je ne sais pas, personne ne peut savoir. On peut croire savoir. On peut imaginer ce qui va se passer. Mais personne ne sera jamais sûr avant de l'avoir vu de ses propres yeux et c'est ça que je veux voir. Le présent. Le passé n'a plus d'importance et le futur peut attendre, la seule chose qui importe maintenant c'est justement cet instant, cette respiration, cette sensation des muscles qui s'agitent et ce spectacle juste devant moi qui n'était jamais arrivé et qui n'arrivera plus jamais.
Mais Priscilla ! Vous entend-je scander depuis les cercueils de ma conscience. Et ta vie ? Celle que tu as construit ? Celle dont tu étais fière ? Je n'ai aucune fierté à tirer d'une vie qui n'était pas la mienne. Priscilla n'était pas la vie que je souhaitais vivre et Priscilla sera la seule voie que je suivrai désormais. Avez vous la moindre idée d'à quel point il est dur de faire tous ces efforts pour des individus qui ne vous comprennent pas ? Qui ne vous ont jamais compris et qui ne vous comprendront jamais ? Bien sûr que vous pouvez le savoir et c'est parce que vous êtes arrivés à la même conclusion que moi. Sur cette planète peuplée de centaines de millions d'habitants il n'y a qu'une seule chose qui compte. Une seule et unique.
Moi.
Enfin, vous, moi, vous n'avez compris. Notre vie, peu importe, car tout ça n'est qu'une question de point de vue et pour moi vous êtes tous d'amusantes poupées dans un grand château sphérique et irrégulier. Certains sont grands, certains sont petits, certains sont vivants, d'autres sont morts, certains sont sportifs, d'autres intelligents, certains même savent faire des chose tirées des films et il y a en a paraît-il qui seraient capable de briser le palais en deux pour ne laisser qu'une coquille vide. Oh que je m'amuse depuis que je sais que ce monde n'a pas de limites et que ses habitants sont pleins de ressources inestimables.
Tout ce que j'espère c'est danser, danser encore et aussi longtemps que possible. Prendre votre main et celle des autres poupées dans une farandole endiablée vers les abysses de nos raisons et mourir d'une façon si incroyable que même moi, dans mes rêves et mes absences, je ne l'aurai pas vu venir.
Toujours sous le soleil kaléidoscope qui nous observe depuis la fenêtre de ma chambre.
Gregory et Marianne. C'était leurs noms. Deux enfants de France qui avaient voyagé à travers l'Europe dans leurs folles jeunes années avant de s'installer non loin de l'océan, à Bordeaux. Les vents marins, les été chaux, les montagnes non loin, c'était un petit lieu de paradis ou ils avaient l'impression de tout avoir... puis je suis née et c'était d'autant plus vrai.
Je ne dirai pas que je n'ai pas de mauvais souvenir de mes parents, tous les enfants se doivent d'en avoir, mais je ne vois pas l'intérêt d'en parler. Ils m'aimaient sans condition et l'inverse était tout aussi vrai, leur nom n'est ni un poids ni un memento sordide alors je ne tacherai pas leurs noms de mauvais mots.
Mon père était un artiste peintre, l'un des gens qu'on exposait dans des petites galeries que personne ne visite, qui peignait des choses abstraites, des décors impossibles, des mélanges de couleur qui faisaient battre mon coeur et des personnages qui toujours me regardait comme s'ils étaient prêt à dire : "Oui. C'est moi."
Il était rieur, bruyant, et conduisait très mal, il était celui qui avait les idées et le cœur, c'est lui qui m'a fait comprendre que les études avaient beau être importantes, elles ne l'étaient que si je le souhaitais. C'est lui qui m'a aidé à comprendre les phrases les plus étranges de mes livres d'histoire, les décisions les plus obscures et les retournements de situation inattendu.
"Les humains sont ainsi."
Ma mère menait une vie plus simple et plus compliquée. Elle travaillait à la mairie et s'occupait de la relation aux écoles, s'assurer que la grande machine tourne comme il le fallait. Elle faisait constamment face aux limites de l'administration et des papiers, des gens coincés dans leur routine d'acier et leurs recours imperméables à l'amabilité mais jamais elle ne désespérait. Après tout elle ne faisait pas ça que pour elle, mais pour tous les enfants dans les cycles primaires et secondaires.
Et pour moi.
Elle était notre ange gardien, celle qui faisait tourner la maison comme son travail. Elle était notre moteur, nous étions son essence. Évidemment il lui arrivait d'être fatigué de nos errances mais elle trouvait dans nos libertés une raison de se lever le matin, et chaque soir nous lui rendions ses attentions au centuple. C'est elle qui m'aidait lorsque l'école se faisait pesante, que le regard des autres m'accablait et que mon cœur ne savait pas répondre à la méchanceté des enfants comme celle des adultes.
"Les gens sont comme ça, mais ce n'est pas pour ça que tu dois les accepter."
Bat toi, Priscilla.
Je ne sais pas trop pourquoi mais ils ne m'ont jamais rien demandé, jamais rien attendu, jamais ils n'ont décidé de placer un objectif à atteindre, jamais ils n'ont décidé de me priver car mes actes ne s'alignaient pas avec leur vision. Ils étaient deux âmes libres et c'est ainsi qu'ils voulaient me voir grandir, libre.
Je me souviens encore très bien de la première fois ou je leur ai parlé de ma peur du choix, de ce qui pouvait arriver si je ne prenais pas la bonne décision et que je me perdais dans l'océan de la vie. Ils se sont regardés, soucieux et plein d'incompréhension et ils ont dit :
"Priscilla, mon coeur, c'est normal d'avoir peur, personne ne sait de quoi demain sera fait. Mais tu n'as pas à t'inquiéter pour ça, tu sais ? Peu importe la décision que tu prends, si c'est toi qui décide de quelque chose, ça ne te changera pas, au contraire, ça viendra s'ajouter à toi comme une brique sur une maison, ou un coup de pinceau sur une toile. C'est comme ça que l'on grandit et jamais on ne s'arrête."
"Mais tu peux vouloir grandir avec une idée en tête, décider de comment devrait être ton futur, et prendre des décisions en fonction. Si tu veux envoyer des fusées dans l'espace il faudra décider de travailler tes maths un peu plus ! Mais tu sais, Priscilla, même si tu as envie d'imaginer ton futur et d'aller dans ce sens, il ne faut vivre que pour ça. Peut-être que tu changeras d'avis entre temps, peut-être pas, mais à la fin tu finiras toujours par construire ton futur avec les briques que tu as accumulées dans ton passé, essaye juste d'aimer celles que tu choisis aujourd'hui pour ne pas le regretter plus tard."
Merci papa, merci maman.
Le 21 octobre 2016, 15h47.
Je crois que jamais je n'oublierai ce jour, ces quatorze secondes. Il ne faut pas beaucoup plus pour faire basculer l'existence et je suis sur que pour certain c'était allé encore plus vite que ça. Nous marchions avec mes parents le long de la grande rue marchande de notre Bordeaux adorée afin d'acheter quelques babioles pour amuser la galerie lorsque nous nous ennuyions à la maison, une après midi comme une autre pour une famille comme une autre.
Nos bras étaient déjà chargés de quelques sacs et l'heure du retour approchait à grand pas lorsque soudainement je me suis tourné vers une enseigne un peu plus loin pour m'en rapprocher avec enthousiasme. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je ne crois pas avoir eut de véritable motif, de désir profond d'y aller. Je me suis simplement dit : "Pourquoi pas ?".
Distancé de quelques mètres, prêt à emboîter le pas à mon humeur délicate, mes parents ont forcé un peu l'allure pour me rattraper. Un courant d'air malicieux, un peu de poussière et le nez de mon père était devenu le point le plus sensible de son corps. Prêt à éternuer, les bras encombrés, il se contenta de fermer les yeux, froncer les sourcils et d'éternuer de tout son saoul comme il savait si bien le faire.
Un comportement peu civil qui n'échappa pas à la mère qui déplaçait son enfant en poussette en contresens. Une femme probablement chargée d'une vie difficile car elle s'arrêta pour fustiger mon père d'une vague d'insultes et de commentaires désobligeants. Mon père, se confondant d'excuses, n'arrêta pas ma mère pour autant qui s'interposa dans la futile altercation.
Je ne m'étais pas arrêtée, je n'avais même pas remarqué l'échange, trop occupé par l'irrésistible envie de suivre les aléas de mon cœur. Ce qui arrêta ma marche désinvolte et recentra mon attention sur le vrai cœur de ma vie fut le crissement des pneus sur la route. Un conducteur un peu trop zélé avait du freiner en urgence lorsqu'un homme et une femme s'étaient retrouvé sur la route. Bousculé par une mère épuisée, déséquilibrés par le poids au bout de leurs bras, noyés dans les bruits de la ville, précipités par l'envie de rattraper leur fille.
Un accident comme un autre. Comme il y en avait eu, comme il y en aurai de nouveau.
Mon sourire avait disparu, le regard figé sur les deux corps étendus sur le bitume. Une série de hasard malencontreux, une accumulation de petites choses sans importance. Une fin comme une autre derrière la porte des choix infinis. Les larmes me sont montées au yeux comme la lave du volcan et ma voix a éclaté comme son nuage de cendre. Une entracte de quelques secondes à peine sans que l'univers ne daigne donner d'explications pour mieux tracer la distinction entre l'avant et l'après.
Mais au fond de mon cœur, je sais la vérité.
Désolé papa, désolé maman.
Porteuse d'incertitude, véritable anomalie, elle se révèle et se transforme au fil de sa descente aux enfers. Appréciant chaque instant de nouveauté.
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Cette étrange impression de jamais vu
Les hommes ne s'y trompent pas et cherchent à te capturer pour s'approprier cette lumière.
Parce qu'ils croient, à tort, qu'elle les éclairera.
Parce qu'ils sont incapables de la trouver en eux et ne supportent pas l'idée de vivre dans l'ombre.
Parce que le réflexe de celui qui est cloué au sol a toujours été de tuer celui qui sait voler."
C'est une citation de l'un de mes livres favoris, le deuxième tome d'une trilogie de littérature jeunesse ancré dans un monde fantastique parallèle au notre ou l'imagination devient réalité et ou les voleurs sont des poètes amoureux de la liberté. C'est un moment important pour le personnage principal qui tombe amoureuse pour la première fois d'un homme, fort, loyal, il semble la comprendre, mais son maître la met en garde car les émotions sont fugaces, surtout celles aussi intense que l'amour. Comme un grand feu qui consume tout sur son passage au risque de s'étouffer lui même précipitamment.
Au final elle ne s'est pas trompée, elle l'aimait, lui aussi, il avait beau être loyal et enchainé a sa famille, elle avait beau avoir peur de l'engagement et de ce que cela représentait, lorsque le moment est venu d'accomplir leur missions, ils ont tous les deux pris les armes sans hésitation et se sont battu ensemble contre le destin. Finalement leur histoire s'est terminé sur ce dernier acte, lui est mort dans ses bras, heureux d'avoir fini sa vie fidèle à ses valeurs et près de la femme qu'il aimait, elle a survécu et a décidé de vivre pour eux deux, sans jamais s'enchainer de leur histoire inachevée, sans jamais nier qu'elle l'aimait.
J'aime cette histoire, j'aimerai un jour trouver une âme qui m'aime comme ils se sont aimé. Après tout, je ne me suis jamais donné l'occasion d'aimer de peur me perdre dans l'autre, mais je sais que je brille, moi aussi. Je ne suis pas vraiment libre, je porte mes propres chaines, mais j'ai les qualités d'une fille désirable et je le vois, comme un poids supplémentaire à porter sur la vie que l'on attend de Priscilla.
Heureusement depuis que je suis arrivé à Venise, les choses vont un peu mieux de ce côté. Je n'ai plus à me soucier de ma famille et de leur regard, je n'ai plus à me soucier des professeurs qui dressaient mes résultats comme leur propre fierté, tout ce que j'ai à faire c'est ignorer le mal du pays et finir d'apprendre la langue.
Mais la ville est belle, c'est une certitude, ses monuments, ses canaux, la lagune, et depuis Venise je peux imaginer explorer le reste de l'Italie mais aussi les autres pays non loin. Les gens sont avenants malgré mon statut d'étrangère mais je suppose que dans un ville aussi touristique ce n'est pas surprenant. L'université est magnifique, véritable bâtiment historique, et les professeurs de ma filière sont presque tous des références dans leur domaine. Grace à ma première année en France et le programme d'été j'ai pu demander l'équivalence pour passer immédiatement en troisième année, ce n'était pas très dur mais au moins j'évite les bases ennuyantes que j'ai déjà travaillé par moi même.
J'espère que vous êtes fier de moi, ou que vous soyez. Que vous ne m'en voulez pas d'avoir quitté la maison, mais je ne pouvais plus supporter tante Aude, je sais que tu ne l'aimais pas non plus papa, désolé maman. J'ai continué comme vous me l'avez appris, j'ai essayé de prendre les décisions qui me rendait heureuse et me voilà loin, nimbée de réussite et avec un avenir radieux sous mes pieds. Je n'aurai fait ni de l'art, ni du public, mais je pense que ce n'est qu'un début.
Je pense écrire un livre, après ma thèse, me lancer dans la philosophie ou quelque chose comme ça, essayer de partager ma vision du monde, chercher si d'autres sont comme moi. Voyager aussi, j'aimerai bien voir le monde, l'Italie n'est qu'un début mais l'Europe cache tellement de chose, sans même parler des autres continents. Je n'ai pas oublié ma maison de rêve, une grande maison pleine de bibelot étranges, autant de memento de tout ce que j'aurai pu vivre.
Et... oui, je pense profiter de ce nouveau départ pour essayer de rencontrer des gens. C'est un peu tard, je sais papa, et je ferai attention maman, mais après que vous soyez parti j'ai mis... longtemps, avant d'être de nouveau capable de regarder les autres en face. Je me suis concentré sur les études, sur moi-même. Avec un peu de chance je ferai de belles rencontres ici, c'est une ville sacrément romantique Venise.
Bon, je vais devoir y aller, ça va être l'heure de faire chauffer l'eau pour le repas de ce soir, j'ai aussi le linge qui devrait bientôt être prêt. Demain sera une grosse journée et je vais rencontrer le reste de ma promo pour la première fois. Je dois être en forme et présentable.
A demain.
Je vous aime.
Porteuse d'incertitude, véritable anomalie, elle se révèle et se transforme au fil de sa descente aux enfers. Appréciant chaque instant de nouveauté.
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Cette étrange impression de jamais vu
C’est ce que je me dis en arrivant en trombe aux portes de l’Université de Venise ou j’ai commencé mes études pas plus tard que lundi de cette semaine. Vendredi 4 septembre, je n’ai pas eu le temps de souffler que Venise m’assaille déjà de ses incertitudes. Entre les plombs éteints au matin, empêchant le réveil de sonner, la plaque qui a refusé de s’embraser pour chauffer la bouilloire rustique, et les clefs tombées derrière la commode de l’entrée, je n’ai pas respecté mes horaires.
Pas du tout.
Au moment de quitter l’appartement, tellement pressée par le temps que j’ai dû sacrifier mon passage à la salle d’eau pour éviter d’accumuler plus de temps perdu, j’avais déjà trente-deux minutes de retard. Pas de retard sur mon planning habituel sécuritaire, non, trente-deux minutes par rapport au dernier départ autorisé. Je suis donc partie précipitamment, mais heureusement je n’ai rien oublié, clef, téléphone, notes, ordinateur, je m’en suis bien assurée.
Les imprévus sont une part importante de la vie, je le sais, je l’ai vécu plus d’une fois. Ces moments où rien ne va, ou l'inattention est couplée à l'amoncellement de circonstances extérieures hors de mon contrôle. Évidemment le monde ne répond pas à mes moindres désirs et je dois chaque jour faire face à ses caprices, c’est en ayant une plus grande maîtrise de ma propre existence que je me préviens de ses errances.
“En cas d’absence de réveil, prioriser le rattrapage des tâches censées être en cours plutôt que de suivre la routine habituelle.”
L’un des trois post-it collés aux murs derrière le boîtier électronique, aux côtés du “En cas de réveil anticipé” et “En cas de réveil ponctuel”. Une évidence pour certains, certes, mais pourquoi ne pas justifier d’aller visiter la ville, répondre à une envie passagère, ignorer l’engagement supposément en cours et accepter de décaler son emploi du temps ? Pourquoi ne pas rester sur place, profiter du temps gracieusement offert par le hasard, pourquoi ne pas décider d’aller suivre les transports jusqu’au bout de leur itinéraire, pourquoi ne pas marcher au hasard, entre les rues et les canaux, monter sur la première gondole et discuter avec le batelier de nos obligations oubliées ?
Non.
Priscilla ne ferait pas ça, elle accorde trop d’importance à ses études, son sérieux est démontré chaque jour. Elle ne négligerait pas leur importance sous prétexte qu’une opportunité d’excuse se présente. Certainement pas s’il s’agit d’une simple panne de réveil et ce même si le destin décidait d’en remettre une couche.
Tout le monde connaît les problèmes de transport en commun, je n’ai pas à expliquer en détail pourquoi c’est aussi rageant, mais peu de monde peut comprendre les problèmes de transport à Venise. Vous ne me croyez pas ? Très bien. Imaginez vous vivre dans une ville rustique pleine d’histoire ou la technologie et les routes n’ont pas encore fait leur entière percée. Les gens se déplacent à pied ou grâce aux canaux qui décorent la ville comme un damier aquatique.
Quels sont les transports en commun de cette ville ?
Les bus ? Non, il n’y a pas de route. Les métros ? Certainement pas, à moins de vouloir être immergé. Le tramway ? Je suis pratiquement sûr que Venise coulerait sous le poids de l’un de ces engins. Non, ce sont les gondoles et autres bateaux sur les canaux qui nous transportent. Aussi agréable cela soit-il de traverser les eaux de Venise, ce n’est pas la méthode la plus consistante. Imprévus et embouteillages sont étrangement fréquents, les ralentissement se comptent en poignées de secondes qui petit à petit s’accumulent pour ajouter treize minutes à notre retard déjà fort de plus d’une demie heure.
C’est tourmenté par la spirale incontrôlable de la journée que j’arrive à la Ca’Foscari, qui je le précise se trouve elle-même sur une île isolée du reste du territoire de Venise, forçant l’utilisation des voies navales pour l’atteindre. Je ne suis pas maquillée, pas douchée, même pas correctement coiffée, mes long cheveux décolorés tombant en cascades dans mon dos, prêt à s’accrocher au moindre obstacle ou s’envoler devant mon regard au moindre coup de vent.
Mais tout va bien, je n’ai pas encore trop de regard, quarante-cinq minutes cela ne me fait rater que la première moitié de mon cours magistral du matin. Je suis sûr qu’en passant discrètement les portes je serai capable de rattraper l’exposition en vol. Et puis, pourquoi est-ce que je m’inquiète ? Je suis pratiquement sûr d’avoir déjà avancé sur cette partie du programme de mon côté alors tout ça n’est pas aussi nécessaire que ce que j’essaye de me faire croire…
“Oh ? Tu es en retard toi.”
La voix s’élève, chaude, un peu fluette, dans un italien natif qui fait pâlir le mien. Je ne l’ai pas aperçu en arrivant mais un étudiant est installé tranquillement sur un banc, un feuillet à la main et une brique de lait vanillé dans l’autre. Il a un petit air moqueur probablement à cause de mon expression inquiète, propre aux étudiants qui sont en retard pour la première fois et qui ne savent pas faire face à l'imminence des conséquences de leur erreur.
“Mh. Oui, effectivement. Je suis censée avoir cours avec monsieur Moretti ce matin.”
Il arrête sa lecture et pose sa boisson enfantine pour réfléchir un instant. Je ne lui ai répondu que par usage et parce que l’impolitesse ne me connait pas, mais j’ai déjà suffisamment de retard pour perdre mon temps ici, échangeons encore quelques banalités avant que je ne reprenne ma route.
“Moretti ? Oui, il était censé donner cours dans le bâtiment à l'extrême sud. Mais je crois qu’il a annulé pour ce matin.”
La surprise se lit probablement sur mon visage car il sourit de plus bel, un peu gêné cette fois-ci, puis la frustration de m’être ainsi précipité. Trop pressée je n’ai pas pris le temps de vérifier mon emploi du temps et voilà ou cela m’a mené. Je me fige, passant en revue les options à ma disposition. Mon retard du matin serait donc sans conséquences ? Je ne peux pas me baser sur les ouïe-dire d’une seule personne, je dois aller vérifier par moi même afin d’être responsable de mes actions…
“Mais c’était un cours pour troisième année non ? Tu es sûre de ne pas t’être trompé de nom ? Tu es une étudiante internationale pas vrai ?”
Je n’ai pas le temps de penser avec quelqu’un qui s’adresse à moi, mais Priscilla ne laisserait pas quelqu’un sans réponse. Mal à l’aise, incertaine de la suite des évènements, je me concentre d’abord sur sa question.
“Non, je ne me suis pas trompé, je suis bien en troisième année. Merci pour l’information.”
J’incline légèrement la tête puis me retourne pour continuer ma route, pensant que cela suffirait mais…
“Pfiou… tu dois être super douée pour être en troisième année si jeune… Bon, je suppose que tu vas à la bibliothèque, je vais suivre ton exemple tiens. Autant être sérieux en début d’année.”
Mais c’est qu’il se lève et se met à me suivre en plus ? D’autant plus que je ne vais pas à la bibliothèque tout de suite. Je vais commencer par aller jusqu’à la salle de monsieur Moretti vérifier ses informations qui m’ont fait perdre quatre minutes supplémentaires, puis passer à l’administration afin de vérifier la situation en cas d’absence effective du professeur et m’assurer que je ne me suis pas trompé de salle ou que je n’ai pas une erreur dans mon emploi du temps avant de seulement à ce moment là me diriger vers la bibliothèque si aucun cours ne s’avère prendre place durant la matinée.
Je ne m’en formalise pas cependant, pas de façon visible, Priscilla ne serait pas dérangée pour si peu alors je continue ma route, pensant innocemment qu’il va finir par changer d’itinéraire lorsqu’il se rendra compte que je ne vais pas à la bibliothèque. Mais non. La bibliothèque se trouve à droit une fois le bâtiment des langues dépassés mais il me suit malgré tout se contentant d’un :
“Mince, tu ne vas pas à la Bibliothèque ?”
Je tique. Mais il ne le voit pas, évidemment, je garde quelques pas d’avance sur lui. Sa présence me ralentit, je ne veux pas lui donner l’impression de le semer alors je maintiens un rythme tranquille qui doit probablement me faire perdre deux à trois minutes face au pas pressé que j’aurai pris sans lui. Pourquoi est-ce qu’il me suit ? Est-ce que je devrais lui demander gentiment de me laisser tranquille ? Est-ce qu’il compte me suivre jusqu’au bout de ma route ? Est-ce que je devrai m’inquiéter qu’il ne tente de nouveau d’intervenir dans mon chemin déjà hors des sentiers battus ? Est-ce un tueur en série ?
“Non, je vais vérifier la salle de monsieur Moretti.
Ah, je comprends, mieux vaut être sûr c’est ça ?
Oui, je suis arrivée il y a peu, je ne suis pas encore très à l’aise alors j’en profite pour découvrir le campus.
Tu viens d'où ?
De France."
Mon ton est un peu trop sec ou sa curiosité se tarit, en tout cas la discussion cesse jusqu’à l’arrivée devant la porte fermée de l'amphithéâtre vide. Non. Mauvaise nouvelle. Il est toujours là, l’air malicieux comme si ses yeux me crient “je te l’avais dit” et sur le chemin j’ai eut bien du mal à me concentrer sur mon objectif en cours… mon esprit se perdant dans toutes les possibilités de mes interactions passé, présentes et futur avec ce garçon.
Encore, toujours, les incertitudes et les possibilités manquées se bousculent dans le flot de mes pensées. Je ne l’ai jamais vu. Du moins je crois ? Pourquoi il savait que je suis une étrangère. Est-ce que l’on a déjà discuté ? Dans quelles circonstances ? Je n’ai ni le temps, ni le calme nécessaire pour parcourir mes souvenirs, surtout pas en retard, surtout pas avec l’incertitude de mon cours annulé et surtout pas avec un inconnu qui me talonne.
Et pourquoi ? Je ne sais pas. Je ne peux pas savoir sans lui demander mais lui demander revient à m’exposer à plus d’incertitude alors je reste silencieuse, bouillonnant dans le propre tourbillons des scénarios tous aussi possibles qu’improbables. Et ensuite ? Impossible de savoir et c’est justement ça qui me paralyse lorsque j’ouvre la porte de l'amphithéâtre et que je le découvre vide à l’exception de quelques étudiants qui profitent du calme pour travailler. Ma vie rate une nouvelle occasion de retrouver son rythme normal et ses rails confortables.
“Alors, on va à la bibliothèque ?”
Le je s’est transformé en on. Il parlait de lui, il parle de nous. Il n’a pas de raison de nous considérer de paires à moins que ça ne soit qu’une simple gentillesse venu d’un extraverti qui profite d’une rencontre fortuite avec une jolie jeune fille pour faire la conversation. Ou je suis en train de surinterpréter chaque situation à cause du stress et de la tension qui m’envahit à chaque étape de cette journée qui semble s’éloigner de ma normalité chérie.
“Non, je vais à l’administration pour comprendre la situation.
La situation ? Un prof est absent, c’est tout, ça arrive.
Ce n’était pas indiqué hier, j’aimerai savoir pourquoi.
Ok, ok, comme tu veux. Suis moi, je connais un raccourci d’ici.”
Un raccourci ? Non, certainement pas, pas maintenant que j’ai identifié une route simple et directe entre ce bâtiment et l’administration plus tôt dans la semaine. Il est agréable, ensoleillé la matiné et à l’ombre l’après midi, avec un passage moyen, plutôt faible le mercredi visiblement, je ne vais pas en changer.
“Non.”
Il s’arrête, un peu surpris.
“Euh… ok ? Je veux juste être sympa hein.”
Outre le fait qu’il peut vouloir me guider dans un chemin peu usité pour environ trente septs raisons qui se concrétisent comme des scénarios d’horreur et de feel good movie dans ma tête, le chemin en lui-même est incertain. S’il se révèle que je ne l’ai jamais arpenté, aujourd’hui où tout semble mal se passer, à quoi suis-je censé m’attendre ?
“Désolé, je…”
Une excuse, vite, une justification à mon comportement soudainement froid.
“Je…”
Je ne sais pas. Je ne suis là que depuis une semaine, je n’ai pas encore de repère, de lieux, de connaissances qui pourraient me servir de point d’ancrage. Je n’ai pas d’obligation, d’engagement à remplir, je ne saurai même pas en inventer un sur le moment. Je…
“Non mais c’est bon, laisse tomber.”
Ce sont vingt-trois secondes qui disparaissent dans mon hésitation mais sans cours ce matin le temps n’a plus d’importance. Je fais la moue, incertaine, alors qu’il se retourne un peu déçu. Finalement, portée par l’envie de maintenir qui Priscilla est malgré les circonstances de la journée, je reviens sur ma décision.
“Tu as raison, je veux bien savoir, ce sera utile pour la suite.”
Un peu de laché prise et voilà que les engrenages de la machine incompréhensible de ma vie se remettent à tourner après que je les ai forcé à rester en place si longtemps. Je suis obligé de temps en temps ! Je ne peux pas tenir éternellement, des fois ce sont des journées comme celles ci qui finissent par abattre ma détermination mais ce n’est pas grave, ce n’est qu’un chemin censé me faire gagner un temps inconséquent.
Pas vrai ?
En un sens j’ai raison et sur le chemin du batiment administratif l’on discute plus en profondeur, désormais au même niveau. Il s’appelle Andrea, je m’appelle Priscilla. Il est en deuxième année, je suis en troisième. Il est drôle et, visiblement, j’ai attiré son attention.
L’administration n’a pas de vraie réponse à me donner et le temps gagné grâce à ce raccourci qui n’en était pas vraiment un se perd dans des explications fumeuses. Dommage, mais au moins j’ai fait la chose juste et maintenant nous pouvons aller à la bibliothèque…
Fermée.
Evidemment.
Après quelques échanges et une petite réflexion sur le peu de chance que l’on a aujourd’hui, il décide de nous guider jusqu’à un carré de verdure dans le campus pour que l’on puisse travailler tranquillement pour le reste de la matinée. Il n’a pas l’air méchant finalement, juste peu studieux. Il n’est probablement ni un tueur en série ni un riche fils d’un patron d’entreprise de nouvelle technologie qui n’a rien à faire à l’université mais qui y va quand même dans l’espoir d’y établir une forme de règne pseudo-social à l’image de son père pour contester l’image paternelle qu’il rejette mais à laquelle il s’identifie tout de même en utilisant des méthodes moralement contestable.
Non, il est plutôt simple et c’est rafraichissant. La matinée s’écoule sans mal et avec elle tout un temps que j’aurai du passer à travailler, heureusement l’après midi a rattrapé un peu tout ça. En décidant d’abandonner la matinée au néant je peux reprendre ma vie correctement pour l’après midi sans conséquence durable car même mes engagements de la matinée n'étaient que factices.
Soulagement.
Priscilla est de retour et la journée touche doucement à sa fin. Plus de peur que de mal finalement, il faut peut-être que je sois un peu plus souple face aux imprévus, peut-être serai-je plus capable d’y faire face ?
Je ne sais pas.
La question est trop incertaines, la réponse me semble évidente après une journée de contre-exemple mais le reste de mon existence me prouve majoritairement que respecter mes plans reste le plus sécuritaire. A voir.
Sur le chemin retour j’ai le temps de brasser mes souvenir, de repenser un peu à cette matinée presque fictionnelle pour quotidien rigide et à Andrea. J’ai beau chercher à travers la semaine, je ne crois pas l’avoir déjà rencontré, il aura juste été perspicace.
A moins qu’il ne savait vraiment qui j’étais ce matin ?
Et puis quoi encore ? Le destin n’était pas si mesquin, il ne me ferait pas quelque chose comme ça, pas pour un réveil manqué.
Peut être pas.
Mais pour une plaque allumée de bon matin dans la précipitation pour chauffer une bouilloire rustique en vain il est capable de mettre le feu à mon appartement.
N’aurais-je pas oublier de couper le gaz ?
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