Guerre, Peste et Famine

Le soleil se couche enfin. Cet astre de feu si éloigné du royaume des hommes et imposant pourtant son règne. Son ardent regard régit la vie et la façon d’être de tous sur cette terre. Et dès que ce dernier se détourne, plongeant une autre partie du monde sous sa domination, la vie nocturne s’éveille et avec elle les pires engeances. Il était l’une d’entre elles, de ses créatures qui ne peuvent se baigner dans l’ardente étreinte d’Helios et subsistent dans les ténèbres. Et dès que les derniers rayons de feu n’aient terminé leur parcours à travers un ce ciel pourpre, dès que le tyran radieux ait quitté la scène céleste, dès que Venise devint enfin la proie de Sélène et de ses enfants, il s’éveille.

Il est là, dans les restes d’une geôle détruite, Sa geôle. Il profite quelques instants du confort qu’une simple paillasse de paille lui offre dans ce lieu perdu dans les profondeurs de la cité italienne. Une crypte à moitié engloutie, complètement détruite. La roche et un béton plus récent avaient été fracassés, des morceaux gisant de-ci de-là dans l’obscurité et l’humidité de ce lieu impie. L’homme, si on peut encore le définir ainsi, réfléchit dans ce terrier de fortune. Il cherche à deviner l’identité, la nature même, de ce qui a brisé ce qui a été il y a quelques mois encore la prison de son Maître. Force monumentale, magie ou autre procédé obscur, le guerrier ne saurait dire quelle fut la méthode employée. Le résultat demeurait le même et lui siégeait en son milieu. Il avait espéré, naïvement, que sa Proie viendrait d’elle-même ici. Qu’Il aurait oublié quelque chose ou bien souhaitait retrouver la trace de son protégé l’ayant trahie. Des raisons qui expliqueraient son retour dans cette cité rongée par le temps et les eaux après ses terribles carnages dans les villages reculés de la région. Que cherche-t-il à Venise ? Cette question taraude l’esprit du mongol, une épine en son flanc dont il n’arrive pas à se débarrasser. Sa réponse l’aiderait dans sa traque, sans elle, il ne peut agir qu’à tâtons et de façon diablement peu efficace.

Ses bras croisés quittent son torse. Ses mains glissent à travers la paille l’ayant accueilli en cette journée. Il s’élève, inspire l’air vicié et humide de ce caveau, de sa demeure. La nuit commence et avec elle sa traque continuait. La seule piste qu’Uul possédait était un fait assez simple, sa Proie était affamée. Plusieurs décennies de privation l'avaient plongé dans une faim que même le sang d’une centaine de paysans ne saurait rassasier. Mais cette cité, ce terrain de chasse, était différent des hameaux dans lesquels Il avait laissé libre cours à sa faim. Il ne pouvait tuer sans réfléchir, dévorer sans crainte. Le troupeau ici était étroitement surveillé par ses bergers et leurs chiens. Sans compter les autres bêtes déguisant ou se pensant brebis. Son Maître devait agir dans les ombres et laisser le moins de traces derrière lui… Chose impossible au cœur du troupeau. Chacun veille sur l’autre, par pure empathie ou simple instinct de survie, si bien que les disparitions finissent toujours par se faire ressentir. Il avance dans les ténèbres, sa main s’accroche à une tenue simple et datant d’une autre époque, posée sur l’un des plus larges bouts de roche. Une tenue qui avait sa place dans un musée, de façon plus que littérale. Son empire avait disparu, mais sa fierté l’empêchait de laisser ses vestiges exposés aux yeux de tous comme des artefacts d’un autre temps. Puis, une fois prêt, il quitte cette geôle souffrant de l’absence de son prisonnier.

La nuit noire, éclairée par les lumières artificielles des Hommes, l'accueille. Il marche, sans honte ou crainte, dans les rues de Venise. Il fend la foule nocturne, indifférent des regards surpris et curieux qu’on lui porte. Il avait pris dans une de ces petites bornes métalliques le journal du jour. Il lisait cet ouvrage, sans s'arrêter, son attention portée complètement sur cette quête d’informations. La presse locale faisait état de quelques étrangers introuvables, disparus il y a de ça une poignée de jours. Une enquête était ouverte, mais sans piste, cette dernière ne mènera nulle part. Le journal partageait ses théories, certaines plus farfelues que d’autres. Amateurs de tourisme extrême ayant connu une fin terrible dans les entrailles de la cité ? Malentendu avec la pègre locale ou autres criminels et parias de la société ? Le journal se perdait dans des diatribes à l’encontre de l'inefficacité des forces de l’ordre et de la dangerosité d’une certaine partie de sa population. Le torchon journalistique fut réduit à l’état de boule et jeté dans la poubelle la plus proche. Sa destination était claire dans son esprit. Le quartier du dos dur, Dorsoduro. Un lieu touristique où les gens vont et viennent sans cesse. L’un des six sestiere de la ville où les disparitions ne sont pas évidentes à être perçues, et pourtant cela avait été le cas. Un quartier dans lequel un prédateur peut facilement se tapir pour se nourrir dans cette ville, pour peu qu’il ne laisse pas sa faim prendre le dessus. Ce qui n’est visiblement pas le cas ici. Uul n’avait aucun doute sur le fait que ces disparus n’aient tous connu une triste fin, et que cette dernière est le fruit de sa Proie. Une morbide entreprise, grossière et indiscrète, qui saurait attirer l’attention d’autres chasseurs. Espérons que pour l’heure seul lui soit sur ses traces.

Perché sur les terres les plus dures de la région, Dorsodouro n’était pas en peine de cachettes et autres recoins obscurs. Tant d'endroits où sa traque le mènera pour cette nuit. Ivrognes, miséreux, le début de la nuit n'annonçait rien de bon dans la quête du mongol. Jusqu’à ce que l’odeur du sang et de la charogne l'accueille dans une sombre ruelle serpentant entre deux bâtisses biscornues. Seul et accroupi, sa main passe sur les pavés centenaires tâchés de sang encore frais. Les restes de ce qui avait été un rat gît au milieu de cette flaque vermeille. Est-ce que sa soif de sang avait rendu sa Proie folle à ce point ? Était-Il devenu une bête férale s’engorgeant du sang de la vermine de la cité ? L’idée lui plaisait, mais était peu probable. Vu la traînée de victime qu’Il avait laissée derrière lui autour de Venise, Il a probablement retrouvé suffisamment de force et d’esprit pour ne pas s’abaisser à cela. Une nouvelle créature de la nuit alors ? Plausible. Son Maître n’avait plus de serviteurs à sa disposition, en crée de nouveau était déjà quelque chose qu’Uul imaginait sans mal. Ce Monstre ne pouvait vivre sans être le centre de l’attention, sans avoir Sa propre parodie de cour royale. Un sourire carnassier se dessine sur ce visage qui n’est pas vraiment le sien. S’Il avait enfanté un nouvel enfant, nul doute que ce dernier sait où se trouve son funeste Géniteur. La cible de sa traque nocturne change donc, ce n’est pas le Maître qu’il cherchera, mais cette nouvelle chose à l’appétit terrible. Il s’enfonce dans cette ruelle, descend dans les entrailles du sestiere, dans les profondeurs de Venise, certain de retrouver le prédateur tapis ici.

Le courant marin, une mère aimante qui te dorlote, te poussant à intervalles réguliers au rythme des vagues. Un va-et-vient qui te déplace sans effort, permettant au liquide de passer à travers tes branchies pour te donner le droit de respirer à nouveau. Un va-et-vient qui déplace la masse du banc de poissons en un seul bloc, reflétant les rayons de la lune, un va-et-vient qui s'enfuits, amenant le banc la direction ordonnée par le prince.

Ils cherchent, de leurs yeux de poissons, ils se placent entre les canaux espérant à chaque remontée à la surface apercevoir celle qui les dévore. La prédatrice se déplace dans les ruelles, parfois de jour, parfois de nuit, gobant les membres de la colonie en une symphonie de craquement avant le vide absolu… Un sentiment bien étrange que le vide des liens coupés de l'existence, ne passant pas par la douce caresse de la mort…

Cyne est en pleine réflexion sur sa gondole, avançant apparemment seul, mais en réalité tirée par un étrange nuisible de la ville. Au fond de l'eau, se cachant habituellement dans les souterrains et les ruines, une bête écailleuse de plus de deux mètres de long nage, ses crocs agrippant fortement les cordages du petit navire avant de les embarquer, utilisant ensuite sa queue couplée à un mouvement serpentin pour permettre au crocodile de transporter le Magus. Ils passent sous les différents ponts, baissant par moments la tête dans un éclat de fatigue pour passer sous l'un des nombreux ponts qui les mènent vers le quartier de Dorsoduro. On entendait d'ici le bruit des étudiants qui festoient dans les bars, riant entre les boutiques se voulant "anciennes et branchées", dans lesquelles l'alcool et la luxure coulent à flots… Un monde bien étrange… C'est cocasse que la petite créature qui dévore les rats, les chats et les pigeons de sa colonie erre dans cet endroit de vices.

"Je me demande ce que tu peux bien être…"

Un sourire doux se dessine sur son visage. La créature est toujours debout, malgré les petits cadeaux qui lui ont été préparés… N'importe quel prédateur aurait renoncé à avaler ce rat, et dans le cas où un aurait osé y planter des crocs, nul doute que les spores qu'il contenait auraient paralysé à vie la bete… Mais au lieu de cela, il n'a pu voir que du néant à l'intérieur de l'estomac, entre deux spasmes de douleurs provoqué par les sucs gastrics… Or, un tel néant attise forcément la curiosité. Comment cela est possible ? Quelle est la nature de ce phénomène ? Comment l'exploiter dans ses recherches ? Est-ce dangereux pour Venise ? Bref, autant de possibilités qui font trembler d'excitation Cyne, poussé par sa mère qui ne cesse de l'urger à aller voir ce que c'est… Et on ne refuse rien à sa mère, après tout.

Cette fois-ci, il s'était préparé. La dernière fois, son rendez-vous galant avait été quelque peu interrompu par des événements dont il n'avait pas vraiment le contrôle, le genre de mésaventure qui prouve qu'un lien plus fort qu'une simple rencontre venait de se créer. Cyne en rougit quelque peu avant de secouer négativement la tête. Il doit rester concentré. Sortant son sac, il regarde un peu naïvement les fioles en sa possession. De quoi soigner, renforcer, se volatiliser, enivrer, tuer… et ressucité dans un état "second", dirait-on. Il n'y a pas de raison que cela soit utile, mais la prudence est mère de sûreté…

"On ferait donc mieux de voir ce qu'il se passe."

Quatre corneilles posées sur la gondole s'envolent, filant sur les vagues, passant entre les sauts réguliers des bancs de poissons argentés, fermant leurs ailes pour filer dans les interstices laissés par un pont, prenant de l'altitude pour voir de leurs vues imposantes les ruelles crasseuses qui entourent l'endroit… Rien ne semble sortir de l'ordinaire, des gens alcoolisés, des personnes qui travaillent tard, tous sauf une présence… Deux oiseaux noirs se posent sur les gouttières d'un toit, trois rats se retournent simultanément en direction d'un homme…. Leurs yeux rouges le scrutent, et Cyne ressent le danger qui s'éveille dans les instincts animaux des bêtes, un sentiment de prédation, de forces étrangères… Debout, marchant résolument, regardant le cadavre d'un confrère rat, il est grand, même arc-bouté, impressionnant, imposant, dangereux, cela l'instinct animal lui dit clairement. Qui est-il, un humain particulièrement fort ? Un exécuteur ? Un Magus ? Ou bien un altéré ?... Et il n'y a pas qu'une seule chose, hormis son aura qui rend singulière cette créature, sa tenue. Habillé de manière peu adapté, mais dont les souvenirs enfouis dans la mémoire d'héritages du Crest lui rappellent des images anciennes, qui se perdent dans les brumes… Des envahisseurs ?

Intrigué, Cyne arrête la gondole au bord d'un passage menant à l'allée ténébreuse. D'un ample et lent mouvement de tête, il regarde l'homme s'enfoncer dans le sol… D'un coup d'œil, les rats le suivent, d'abord un, puis deux, et enfin une petite dizaine… Ils glissent sur les murs, dans les failles, dans les ombres… Seuls leurs yeux rouges s'illuminent sous les lumières diffuses de la ville. Il regarde, écume à la bouche, et Cyne observe à travers leurs yeux… Le Magus est sur ses gardes, il se tient pour l'instant éloigné de la scène qui se passe un peu plus bas, se contentant de mettre pied à terre pour l'instant… La créature qu'il cherche n'est pas loin, et une nouvelle bête fait son apparition… Vers quoi tout cela va-t-il mener ?

Sautille sautille petit rat ♫  

Aujourd’hui, Trisha travaille. Elle n’a pas été là de la journée et m’a prévenue qu’elle sera absente pendant la nuit. Je m’inquiète pour elle, j’espère sincèrement que tout ça n’est pas trop difficile pour elle. Le travail, s’occuper de moi, ce genre de choses. Depuis quelque temps elle semble particulièrement fatiguée … peut être est-ce une impression ou quelque chose de passager ? J’espère. Peut-être devrais-je demander à l’homme doré des égouts de l'ausculter ? Après tout, il s'agit d’un grand médecin bien qu’il soit un peu étrange.

Quoiqu’il en soit, ce soir Trisha m’a laissé de quoi manger dans le frigo mais je commence à la connaître. Si je mange cette assiette, elle n’aura pas l’énergie ou la volonté de se préparer à manger pour elle en rentrant, alors je lui laisse ! Je suis assez grande pour me nourrir toute seule et je commence même à maîtriser les diverses techniques de cuisson qui font de nous les créatures les plus évoluées du monde.

Agite toi dans l’huile petite souris ♪

Aujourd’hui, je mange du rat. Comme hier d’ailleurs. La ville regorge d’une immense quantité de viande qui n'attend que de se pencher pour être mangée. Pourquoi se prendre la tête à acheter de la viande chez le boucher alors que les égouts sont remplis de protéine ? Bon, depuis quelque temps, les rats ont un goût bizarre. Mon estomac fait des bulles en les avalant. Avide de réponse, je suis allée demander aux charcutiers du coin, qui m’ont gentiment expliqués que tout résidait dans la cuisson. Un peu d’huile d’olive achetée avec mes maigres économies, un peu de sel et de poivre récupérés sur des sachets qui trainent dans les restaurants et beaucoup d’amour. J’ignore ce que l’amour rajoute à la cuisson mais ça tombe bien, j’aime manger.

Ce soir, je me suis aménagée un petit coin cuisson le long du canal, dans un renfoncement qui mène vers les parties immergées des souterrains. Un petit briquet et une grande poêle trouvés dans les ordures, un peu de bois provenant de palettes attendant d’être jetées et un nid de pigeons pour allumer le tout et pouf ! Comme à la maison.

La salive aux lèvres, j’observe les rats danser dans l’huile qui crépite. Ils dégagent une odeur forte qui se noie dans les effluves du canal. J’ai beaucoup d’huile, beaucoup de sel et suffisamment de  rats pour me faire un véritable festin.

On tourne, on retourne et c’est prêt ♩ !

J’attrape le bout de la queue de l’animal qui dépasse de la poêle en veillant à ne pas trop me brûler avant d’en enfourner un dans ma bouche et de l’avaler d’un coup”

C’est vrai que la cuisson ça rend ça meilleur. Moi qui pensais que le gras de la queue suffisait, l’huile d’olive c’est vraiment meilleur me dis-je à moi même, imitant les savants qui parlent à des enregistreurs.

En quelques secondes, j'engloutis le plat que j’ai pris de nombreuses minutes à faire. C’était long mais c’était bon. Je sens mon estomac se rassasier quelque peu. Les rats sont gros, ils font de bons en cas mais je me sens prise d’une vague de gourmandise.

Allez, on y retourne ! dis-je en me remettant à chanter et cuisiner, de plus en plus fort

Guerre, Peste et Famine

Il est là. Sortant de la pénombre de ce coin perdu le long des canaux. Pleinement dans la lumière de cette cuisine de fortune aménagée à même le sol. Il est là, bras croisés, au-dessus de cette enfant cuisinant joyeusement. Il toise du regard celle qui dévore ce qui semble être des rats frits. Uul avait suivi sa piste macabre, sa “cueillette” de petits rongeurs à travers les ruelles du quartier. Ils sont là eux aussi, dans une caisse récupérée et sale, morts ou en bien mauvais état. Un sort peu enviable comparé à ceux qui ont subi la fringale de cette chose et furent dévorés à même le pavé, crus et gigotant. Il reste là, silencieux, observant cette jeune fille et essayant de comprendre. Était-elle un rejeton de son Maître ? Était-elle une sœur ? S’abaisser à souiller de la non-vie une si jeune existence ne serait pas trop dépravé pour Lui. C’était là même le genre d’action infâme qui l’amusait au plus haut point. Toutefois, là où il pensait tomber sur une goule rendue folle par sa nouvelle nature, une bête férale et stupide, il tombe ici sur un être en pleine possession de ses moyens. Elle cuisine, chante et commente ses actions. Certes, l’on peut se questionner sur sa santé mentale, ou même physique compte tenu de son régime alimentaire, mais elle n’est en rien un animal sauvage.

Il soupire. Cette nuit aussi serait vouée à l’échec ? Non. Il s’est peut-être mépris sur la nature de sa proie, mais il n’en reste que cette enfant n’est pas normale. Rien ne prouve qu’elle ne Le connaisse pas. Ce dernier aimant s’adonner à de nombreuses expériences sur ses enfants peut-être que cette chose si enfantine face au guerrier était bien une de ses engeances. Une vampire rendu folle par une existence éternelle mais puérile. Un être qui chante des comptines, au cœur de la nuit en préparant son odieux repas. Peut-être était-ce là même un moyen pour elle de chasser ? Attirer un humain imprudent dans cette scène surréaliste pour l'abattre brutalement et se repaître de son sang. Mais il n’est point humain. Il s’invite de lui-même autour du feu de palette, glisse sans dire mot pour faire bien face à cette créature et sa marmite du diable où dansent, malgré eux, souris et autres rats. Le mongol se laisse tomber, soulevant un nuage de poussière et s’allongeant de tout son flanc face à l’enfant, sa tête reposant sur son poing. Son autre main vient sans crainte empoigner l’un des rats, sa peau brûle un instant dans l’huile bouillante, mais ressort indemne avec sa prise. Il observe ce qu’il a dans la main un temps, ce petit corps velu, chaud, frit et dégoulinant d’huile. Un spectacle peu ragoûtant qui n'émouvait guère celui qui jadis avait été un soldat du grand Khan. Il ouvre sa propre gueule, laisse cette chose infâme s’y glisser avant que sa mâchoire ne se ferme avec force. Le craquement morbide des os de l’animal se brisant encore et encore résonne alors que le lion savoure cet humble repas. Trop d’huile. Trop de sel. Trop de fourrure. Et un arrière-goût rance trahissant que cette chose avait été malade de son vivant. En résumé, rien ne va dans ce “repas” et c’est sans la moindre gêne qu’Uul recrache l’amas de poil, chair et os dans l’eau si calme du canal. Il crache à nouveau les restes d’huile sale restés dans sa bouche, nettoyant ses lèvres de son pouce. Il fixe la jeune fille face à lui, lâchant enfin quelques mots. Une question posée plus comme un ordre qu’autre chose d’une voix grave et forte.

▬ Est-ce là véritablement ton dîner ou un leurre tendu pour d’autres proies, enfant ?

Il la fixe, sans ciller, au-dessus de la casserole et du feu. Il la fixe gisant tel un prince dans cette ruelle pouilleuse et reculée. Il la fixe, attendant patiemment sa réponse. Il la fixe, prêt à lui bondir dessus si elle trahissait une nature vampirique quelconque. Il la fixe, ignorant royalement les bruits qui se multiplient dans les ténèbres autour d’eux.