We made plans
and god laughed

14/08/2021

L’air était lourd, humide. Il était difficile de s’y entendre, mais personne ne venait ici pour taper la causette ; on y communiquait autrement. Dans une ruelle de San Marco, à l’étage au-dessus d’un tabac, se trouvait un endroit singulier - mais facile à rater. Cela n’était pas vraiment une position idéale pour une salle de sport, mais le propriétaire n’avait fait aucun effort pour l’afficher par-dessus le marché. Cela n’était pas nécessaire, paraissait-il, l’endroit avait étonnamment réussi à se maintenir une clientèle par le bouche à oreille seulement. La clientèle en question n’était peut-être pas des plus recommandables, mais ces derniers se retrouvaient régulièrement ici malgré tout.

Le bruit d’un corps frappant violemment le sol résonna dans la salle. Parler de salle de sport simplifiait peut-être un peu trop l’endroit, il s’agissait plus précisément d’une salle de combat. Il restait équipé de manière assez générique : on y trouvait quelques haltères, des cordes à sauter, des sacs de sable, ou un mannequin en bois. Rien de tout ça n'était en particulièrement bon état, même lorsque l’équipement était changé, ça n’était pas par du neuf. Quelques équipements de combat étaient disponibles également, principalement des gants et quelques protections, ils étaient usés mais toujours utilisable - il y avait également des serviettes à disposition pour essuyer la sueur. Des douches étaient disponibles dans une pièce séparée, il n’y avait pas d’eau chaude, mais elles restaient très utilisées.

Le combattant toujours debout tendit le bras pour aider son adversaire à se relever. Mais l’attraction principale restait tout de même les deux rings au centre de la pièce. La clientèle n’était pas des plus recommandables, et avaient du mal à se satisfaire dans d’autres salles. Si cet endroit mal entretenu arrivait à marcher sans publicité, c’était parce que c’était l’endroit le plus laxiste en termes de sécurité. Personne ne souhaitait se blesser trop gravement, évidemment, et les gants et protections restaient obligatoires lors des combats - mais en dehors des extrêmes, rien n’était bien réglementé. “Éviter la tête” était plus un conseil qu’une obligation, et il arrivait souvent que quelqu’un se retrouve en véritable besoin d’une attention médicale - heureusement qu’un employé était un ancien infirmier, mais il n’était pas non plus toujours présent.

“Laisses moi un peu de temps…Vas-y plus molo, Jacopo.” L’homme à terre était encore conscient, mais ses oreilles sifflaient encore. “J’ai pas l’impression d’en avoir trop fait pourtant ; je t'amène l’éponge.” Jacopo retira sa main tendue, son adversaire respirant bruyamment au sol tout en acquiesçant à la proposition faite. Le vainqueur du combat se dirigea vers l’extérieur du ring, attrapant une serviette au passage pour se laver le front. Si d’autres n’avaient pas trop de remords à viser la tête, Jacopo mettait un point d’honneur à éviter cela. Et pour bien le marquer, il combattait toujours en portant une paire de lunettes aux verres teintés - enfin, cela n’était pas la vraie raison. Il prétextait avoir une vision trop sensible à la lumière pour expliquer cela, mais c’était juste une excuse pour lui ; il voulait simplement éviter d’apercevoir le rouge du sang qui pouvait parfois couler. Bien sûr, même en faisant attention, des coups à la tête pouvaient arriver - alors l’italien se contentait de montures en plastique bas de gamme lorsqu’il venait ici.

Passant sous les cordes du ring, Jacopo se dirigea vers un seau d’eau posé dans un coin - une éponge flottant dedans. Posant ses lunettes de côté, il plongea ses deux mains dedans avant de les ramener à son visage. Le ventilation de la pièce n’était pas suffisante, et avec toute la sueur on s’y sentait constamment sale. Le jeune homme avait également besoin de se rafraîchir un coup. Une fois cela fait, il plongea l’éponge dans le seau pour la gorger d’eau, avant de remonter sur le ring. Les gouttes d’eau tombaient de sa main, mais il n’y prêtait pas attention. Le sol mouillé pouvait être dangereux mais, en tout franchise, à cette heure-là de la journée il était déjà trempé à cause de la condensation de toute façon. Jacopo se dirigea vers son dernier adversaire, toujours à terre - sa respiration s'était stabilisée. S’agenouillant, il lui frotta l’éponge sur le visage.

“T’as peut-être fait des progrès depuis la dernière fois, mais vas falloir que t’apprennes à te relever mec.”

L’homme à terre soupira fortement à ces mots, puis s’empara de l’éponge sans prononcer un autre mot afin de finir se rafraîchir. Jacopo n’était pas vraiment un régulier de cette salle, il ne venait que lorsqu’il était particulièrement de bonne humeur. Pour lui, c’était l’une de ces occasions où il pouvait se lancer dans un combat sans trop s’emporter, ou essayer en tout cas - il avait quand même fini ce match en lançant son ennemi à terre depuis par-dessus sa tête. Pas très étonnant qu’il lui fallait du temps avant de se relever. Le barman se trouvait être en congé depuis presque une semaine, il croisait donc moins de gens, et se trouvait de plutôt bonne humeur par rapport à la moyenne. Ainsi, il fréquentait donc la salle un peu plus régulièrement ces temps-ci, et certains de ses anciens adversaires en profitaient pour tenter d’avoir leur revanche.

Le vaincu accepta finalement l’aide de Jacopo pour se relever, et se dirigea vers l’extérieur du ring sans avoir besoin d’aide. De son côté, le barman parcourra la salle du regard - depuis qu’il revenait s'échauffer régulièrement, il avait pris pour habitude d’avoir plusieurs challengers par jour et se sentait encore suffisamment en forme pour le suivant.

“Quelqu’un d’autre a-t-il besoin d’une excuse pour partir tôt ? Je retourne me défouler sur un punching-ball sinon.”

15/08/2021

Un, deux, trois. Un, deux, trois.

Inspiration. Expiration.

Un, deux, trois. Un, deux, trois.

Les impacts réguliers rythmaient le silence de l’esprit de Trisha. Elle fermait les yeux, replaçant régulièrement l’imposant sac de sable d’un geste habitué de la main. L’odeur d’humidité, de sueur, de sel, de fer, emplissait ses narines au point de couper son odorat. Plus rien ne pouvait l’atteindre. Elle était en paix dans un monde loin des autres, des agneaux, des chiens et des loups.

Un, deux, trois.

Le sac de sable était familier. Complètement étranger pourtant mais l’usure leur donnait cette sensation universelle qui rendait les heures passées en leur compagnie si appréciables. Les mains, les coudes, les genoux de Trisha frappaient le cuir de façon répétée, dans un cycle imparfait qui leur apportait une irrégularité surprenante. Un petit sourire flottait sur son visage. Qu’elle aimait cette sensation, douce et rigide à la fois. Plus douce que le makiwara installé chez elle, plus rigide que la peau des êtres de la nuit.

Un, deux, trois.

L’arrivée à Venise ne s’était pas passée sans encombre. Nouvelle ville. Nouvelle langue. Nouveau troupeau. Nouveau berger. Trisha ne comprenait pas quelle était sa place ici. La Sainte Eglise ne l’accueillait pas, cela ne la dérangeait pas, elle n’était pas à la hauteur pour être reconnue pour le moment. Elle devait faire ses preuves.

Ce qu’elle ne comprenait pas c’était pourquoi elle devait les faire dans un lieu si beau. Son corps, son esprit, son âme, n’était pas à la hauteur de l’importance de cette ville, et avec le Vatican à porté de main la Sainte Église avait le choix de privilégier d’autres guerriers de la sainte mission.

Un, deux, trois.

Son installation en ville avait été expéditive dans un appartement situé en plein milieu du quartier résidentiel, sur la terre ferme, loin de l'île. Elle devait avant tout participer à l’effort contre la sombre histoire sur l’île mais cette exclusion ne la dérangeait pas. Elle vivait dans un milieu beaucoup plus simple que la précieuse ville pleine d’histoire et de monuments. Ses quelques sacs avaient été déposés dans le salon sans être ouvert depuis, seul son équipement d'entraînement et quelques couverts avaient servi.

Elle avait passé le plus clair de son temps dans les rues de la belle ville, apprenant petit à petit la langue. Les mots étaient encore rugueux entre ses dents mais elle se faisait à la diction méditerranéenne. Rapidement, elle avait trouvé le chemin des ruelles les plus sombres, des recoins les plus sordides, des individus les plus oubliés de la ville. Ses pas l’avaient mené jusqu’à cette salle, perchée au premier étage d’un bâtiment mal entretenu.

Un, deux, trois.

Trisha ne trouvait pas la paix auprès des hommes. Elle n’avait rien à faire parmi le troupeau. Elle le savait. Cependant chaque troupeau à ses moutons noirs et c’est dans ce genre d’endroit qu’ils se rencontrent, se regroupent et s’épaulent. Ils étaient bien les seuls agneaux avec qui Trisha se sentait à l’aise. Des hommes et des femmes de tout âge, brisé mais fort, isolés mais ensemble, bruyants mais incapable de s’exprimer.

Elle avait beau devoir aimer toute l’humanité, elle éprouvait un attachement particulier pour ceux-là, sentiment qu’elle essayait de réfréner, sans succès. La première fois qu’elle avait passé les portes de la salle sous le regard perçant du propriétaire, un homme imposant et bourru, elle avait eu le droit d’utiliser le matériel basique. On ne touche pas au ring, on ne touche pas aux gens. On fait ses preuves, on montre son bon sens, puis on passe à la suite.

Un, deux, trois.

Trisha était une fille sage, elle l’avait toujours été. Elle avait trouvé un lieu reposant où elle aurait le droit de frapper des heures durant dans un sac de sable, elle ne demandait pas plus. Ses années avec Frank avaient beau avoir été formatrice, elle se devait d’admettre qu’elle avait trop relâché son attention sur son entraînement. Ce n’était pas en se négligeant qu’elle ferait ses preuves.

“Hm ?”

Ses paupières s’agitèrent, son équilibre vacilla, on l’avait bousculé, le monde vrombrissait.

“Désolé, le match promet.”

Son regard se tourna vers le sommet de la petite plateforme. Piédestale des guerriers et des parias, elle n’y aurait pas eu sa place si les projecteurs avaient été blancs, vierges de toute crasse, et que le public n’était pas là pour voir le sang et la sueur de simples âmes nues. Elle avait eu le plaisir d’y monter quelques fois. Elle s’était emportée une fois. Faite réprimander deux fois. Et avait combattu trois fois depuis son arrivée.

Qu’il était dur pour elle de jauger sa force face à un simple agneau, mais sa vie n’était pas en danger dans cette salle. Elle était en sécurité. Loin des ombres et de ses démons, loin de l’église et de ses guerriers, loin du monde et de ses dangers. Elle n’avait pas à se battre pour sa vie, pour les vies pures sacrifiées sur l’autel de la corruption. Perdre n’était pas un mal, juste une étape.

Les cris retentirent à travers la pièce, le combat entre les cordes s’était soldé d’une façon retentissante.

“Quelqu’un d’autre a-t-il besoin d’une excuse pour partir tôt ? Je retourne me défouler sur un punching-ball sinon.”

La sueur qui perlait le long de la peau de Trisha ne l'empêchait pas de désirer ce sentiment de liberté une fois de plus. Elle n’avait rien à gagner. Rien à perdre non plus. D’un mouvement rigide elle leva la main pour attirer l’attention face à la foule agitée mais tout de même intimidée par le tour de force du combattant. Abandonnant le sac de frappe, elle avança en ligne droite jusqu’au pied de l’arène. Glissant à travers les cordes, elle posa son sac de sport dans un coin avant d’enlever son haut humide pour rester en brassière sportive.

Un décision pratique qui révéla ses bras et son abdomen parsemé de fines cicatrices, symboles de ses batailles passées. Ignorant pendant encore quelques instants son futur adversaire, elle se tourna vers le responsable du jour.

“Des gants ?
- Quoi ? T’as toujours pas les tiens ?
- ...Non.
- Sa m… ok, ok ! Mais c’est la dernière fois !”

Trisha hocha la tête. Son italien venu de loin tranchait d’ores et déjà avec sa silhouette presque agréable à regarder, si l’on ignorait les signes évident de malnutrition et de vie violente. Elle n’était qu’humaine, son corps ne guérissait pas de façon surnaturelle et avait besoin d'équilibre pour s’épanouir. Qu’elle lui offrait ou non n’était pas la discussion du genre. Elle secoua la tête avant de se tourner vers l’homme blond.

“Pas tête c’est ça ?”

Porter des gants était déjà une sécurité pour son adversaire, les mains de Trisha avaient été forgées par les années, et l’interdiction de viser la tête dans cette salle l'empêchait de tirer le meilleur de son style. Mais c’était pour le mieux. Elle ne souhaitait blesser personne, gravement du moins.

“J’te connais pas. J’arrive juste. Retiens toi pas.”

14/08/2021

Une main s’éleva de l’autre côté de la foule, celle d’une femme étonnamment. C’était assez rare d’en croiser ici, mais le club avait connu une petite poignée de régulières. Celle-là semblait en revanche être nouvelle, même si elle fréquentait la salle avec assiduité ces derniers temps. Jacopo n’était pas passé tous les jours cette semaine non plus, mais il avait remarqué cette tignasse rousse à chaque fois - et s’en tenait à l’écart dans la mesure du possible. * J’aime pas les roux, cette couleur me tape sur les nerfs. * Heureusement, il était de bonne humeur aujourd’hui, alors il voyait le bon côté des choses : pas de meilleur sport que celui où on peut se défouler sur ceux qui nous énervent.

Son dernier adversaire aussi était du genre énervant, il parlait trop. Du genre à raconter comment sa journée s'était passée après avoir dit bonjour, ou à expliquer son nouveau régime d'entraînement avant le début d’un match. Le voir à bout de souffle et incapable de parler durant un match était donc devenu un moment à apprécier, dommage qu’ils ne duraient jamais bien longtemps.

Jacopo était encore à chaud de son dernier combat, alors il ne s’attarda pas à faire quelques échauffements avant d’attendre sa nouvelle adversaire au centre du ring. Puisqu’il évitait d’avoir à la regarder lorsqu’elle était ici, il ne savait rien de son niveau, ou de son style. Le barman décida qu’il allait devoir faire particulièrement preuve de self-control dès le début, c’était une parfaite inconnue et n’était pas particulièrement large non plus. Le fait qu’elle était une femme n’aida pas le jugement de l’italien, mais cela relevait plus de l’anecdote qu’autre chose. Si elle traînait dans ce club, c’est qu’elle savait ce qu’elle faisait, et personne n’objectait à sa montée sur le ring non plus.

L’inconnue n'eut d'ailleurs aucune honte à retirer son haut pour se mettre à l’aise, révélant un corps musclé plein de cicatrices. * Attends… elle est borgne ? * Le barman ne releva que maintenant le cache-oeil que portait la femme. * Elle a donc des problèmes pour les distances. Pas mon genre d’utiliser trop de feintes, alors ça sera son problème. Et puis, elle a l’air d’avoir de l’expérience au moins. * Jacopo releva un peu la barre dans sa tête ; il comptait toujours se retenir, évidemment, mais pas au point d’en être insultant. Il lui fallait rester prudent face à des inconnus, surtout si c’était des nouveaux, mais trop d’efforts pour se retenir… ça lui tapait sur le système un peu aussi. La fille ne semblait pas particulièrement appréciée des responsables non plus - n’ayant apparemment jamais apporté ses propres gants avant de venir ici.

* Entraînes-toi avec des gants et basta. J’en ai rien à cirer de ton avis, t’abîmes juste le matos… Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des traces de ███ et de pus dessus après. *

Elle avait un accent à couper au couteau, et son Italien était sommaire. Les touristes étaient particulièrement rares dans cet endroit, et Jacopo se demandait si son adversaire était la première “femme touriste” à y avoir mis les pieds. C’était donc un adversaire Ultra Rare, aujourd’hui était véritablement une bonne journée pour Jacopo - dommage qu’elle soit rousse.

“Pas tête c’est ça ?”

Jacopo se contenta d’acquiescer à la question avant de se mettre en garde. Comme il venait de le confirmer, viser la tête était déconseillé, mais cela n’empêcha pas le barman de protéger la sienne avec ses bras. Recevoir des coups ne le gênait pas, il avait une approche plus agressive que défensive de toute manière. Cependant les coups à la tête, intentionnels ou non, étaient gênants. Les lunettes qu’il portait actuellement n'étaient peut-être pas très chères, mais ça serait dommage d’avoir à les remplacer pour rien. Mais, ce que Jacopo voulait vraiment éviter, c’était de se mordre la langue ou la joue, ou saigner du nez. Son adversaire venait de lui demander de ne pas se retenir, mais c’était la principale raison pour laquelle il venait ici : réussir à se retenir.

“Fait ce qui te chantes, alors laisse moi faire ce que je veux.” répliqua-t-il sèchement.

Le responsable annonça le début du match en claquant des bouts de bois ensemble. Jacopo n’aimait pas tourner autour du pot à observer ses adversaires, alors il prit immédiatement la décision de raccourcir les distances entre eux deux. Son intention n’était pas de surprendre, simplement de couper court aux “présentations”. Il approchait sa cible d’un pas rapide, mais pas précipité, focalisant son attention principalement sur le jeu de jambes de cette dernière. Le torse et les épaules étaient plus appropriés pour éviter de recevoir des coups, mais il était prêt à en encaisser quelques-uns si besoin.

Si elle tentait de garder ses distances, il la rattraperait avec un sprint soudain. Il frapperait le ventre d’abord, ne serait-ce que le temps de voir ce qu’elle valait - c’était une des habitudes qu'il avait pris ici. Si elle visait le bas du corps, il lui fallait parer l’attaque avec un coup brusque, puis contre-attaquer vers le ventre, ou un croche-patte en fonction des distances. Si elle visait les côtes où le plexus, il devrait se protéger un minimum pour ne pas perdre son momentum - mais il ne comptait pas faire grand-chose pour le ventre ou les bras. Pour Jacopo, la manière la plus simple de jauger un nouveau était d’encaisser le coup reçu, se saisir du membre, et projeter son adversaire de l’autre côté du ring.

C’était le genre d’expérience qui faisait plus de peur que de mal, et ceux qui n’avaient pas les foies abandonneraient rapidement ensuite. C’était la solution la plus simple. Mais Jacopo préférait quand ils se relevaient rapidement même après ça, sans trembler des jambes.

15/08/2021

“Fait ce qui te change, alors laisse moi faire ce que je veux.”

Le ton est dur, agressif. Trisha connaissait ces intonations, trop souvent elles avaient été siennes. Mécaniquement elle s’était mise en garde, les avant bras bien trop haut pour une salle qui réprimandait les coups à la tête. L’expérience, l’habitude, s’exprimait naturellement dans ses mouvements. Sa respiration était lourde, monter sur un ring face à un être humain était toujours un moment compliqué, elle savait qu’elle appréciait ça, qu’elle ne devait pas, que c’était mal, qu’elle devait chasser ce sentiment de culpabilité, qu’elle avait le droit.

Sa poitrine lui pesait terriblement et elle déglutissait péniblement les premières secondes. Son air blafard accompagnait à merveille son corps négligé. Heureusement ce jour-là son adversaire ne lui laissa pas le temps de s’enfoncer dans ses pensées coupables, la grande silhouette blonde projeta bien vite sur elle une ombre menaçante. Surprise, Trisha esquissa un mouvement en arrière avant que sa mémoire musculaire n’ancre solidement ses pieds dans le sol.

Elle n’avait aucune raison de reculer. Son propre style favorisait largement le corps à corps sordide et la différence de taille entre les deux combattant aurait donné un avantage indéniable à son adversaire s’il avait décidé de rester à distance. Une question d’allonge qu’il fallait bien souvent couper à la racine pour s’éviter bien des douleurs. La seconde surprise était de ne pas subir un assaut immédiat suite à l’approche. Trisha s’attendait à devoir encaisser un flot de coups ou tout du moins une offensive mais rien ne venait.

Les secondes s’égrainaient à un rythme atrocement lent mais la rousse réfléchissait soudainement à vive allure. Loin de la vie et de la ville, le combat était un environnement qui lui allait bien mieux. Elle n’était pas là pour rester immobile. Elle n’était pas là pour attendre. Elle n’était pas là pour être autre chose que ████-████.

Inspiration. Expiration.

Sa posture rigide se fluidifia légèrement. Son corps immobile commença à s'agiter en rythme.

Un, deux, trois.

Les légères impulsions de ses pieds donnaient à son jeu de jambe un air aérien qui étaient rarement aperçu dans un ring. Les appuis sont des alliés solides pour les sportifs. L’immobilité est une promesse de mort pour les guerriers. Réfléchir à ses coups. Où frapper ? La question ne se posait pas. La question importante était de savoir comment frapper. Elle ne voulait pas blesser outre mesure son adversaire. Trop fort. Pas assez fort.

L’espace d’un instant ses pensées furent confuses. Emplie d’image du blond à lunettes sur le sol. Le corps ensanglanté. Inerte. Faire taire le doute. Faire parler le contrôle. Ce corps était la seule chose qu’elle avait, il répondrait à ses ordres. Doucement. Non. Frapper.

Le coup était hésitant. La force était présente mais la trajectoire manquait de précision, de panache. Le ventre était sa cible, découvert mais pourtant dangereux, tel un piège à miel qui attendait sa prochaine victime. Elle ne le savait pas. Peut être s’en doutait-elle ? Le sentiment de frapper droit dans une zone contrôlée par son adversaire ne lui était pas inconnue mais dans son état elle n’y avait probablement pas pensé.

L’impact était puissant. Peut être plus que de nécessaire. La présence des gants rendait la sensation difficile à évaluer pour Trisha. Cela n'empêcha pas les crocs de son adversaire de se refermer sur elle alors qu’il encaissait le coup, le souffle perturbé mais le regard acéré. Ses mains se refermèrent tel deux étaux sur le poignet de la rouquine avant que par une simple démonstration de force brute il tenta de l’envoyer voler à travers le ring.

La sensation de gravité disparut pour Trisha alors que ses pieds quittèrent définitivement le sol et que son équilibre se volatilisa. Son champ de vision incomplet, violemment secoué, lui faisait comprendre que la situation n’était pas à son avantage. Mais même si son esprit n’était pas capable de suivre son corps restait une machine prête à renverser la balance.

Sa seconde main vient se ficher par dessus celle de son adversaire. Si elle perdait ses appuis sur le sol, elle ne le quitterait pas lui. Forçant sur ses bras et son dos elle se créa un semblant d’inertie afin de projeter son corps dans une position à partir de laquelle elle pu refermer ses jambes autour du bras du blond.

Son poids, couplé à l’ampleur du mouvement, les envoya tous les deux au sol pendant qu’elle reprenait subitement ses esprits. Elle n’avait plus à se questionner, elle devait seulement tenir sa prise, retenir ce bras. Ne pas le casser. Ne pas déboiter son épaule. Le maintenir au sol. Ne…

Alors que la foule autour s'enflamme face à cette surprenante démonstration de force des deux côtés, Trisha fut prise d’un frisson. Ce n’était pas un bras qu’elle tentait de retenir mais un véritable tronc d’arbre capable de se mouvoir par lui-même.

14/08/2021

Son jeu de jambes s’emballa, c’était le signal : la combattante allait ouvrir les hostilités. En un instant, elle avait comblé la distance nécessaire pour pouvoir porter un coup - son adversaire n’avait pas profité de sa plus grande allonge pour l’en empêcher. Jacopo se prépara à encaisser le coup, synchronisant sa respiration avec le poing qui se dirigeait vers son abdomen. L’impact retentit. La frappe était puissante, bien plus que ce à quoi on pouvait s’attendre d’une femme. C’était pour ça qu’il ne fallait pas sous-estimer celles qui pointaient leur nez par-ici. Celle-ci semblait particulièrement culottée d’ailleurs. Une garde haute qui couvrait son visage, et une première attaque qui visait le ventre. Les deux adversaires avaient ouvert le jeu exactement de la même manière.

* Alors comme ça, tu te crois au-dessus de tout, c’est ça ? *

Probablement avec raison. Encore une fois, il était extrêmement rare pour des touristes étrangers de débarquer dans cette salle - et un touriste qui perdait son temps à chercher ce genre d’endroit était forcément une mauvaise nouvelle. Mais peu-importe ce qu’elle pensait d’elle-même.

* Tss, ça m'énerve… T’aurais mieux fait de frapper ailleurs si tu voulais un résultat quelconque. * S’excusa Jacopo, refusant de s’admettre que ce qui l’énervait ; c’était le fait que lui et elle avaient ouvert le match de la même manière.

L’italien réagit immédiatement, ignorant l’impact, ignorant la douleur. Sa respiration fut momentanément interrompue, mais rien de bien inattendu. Ses mains s’agrippèrent au bras de son adversaire comme les serres d’un aigle sur sa proie, empêchant tout échappatoire. Le pied gauche de l’homme frappa fortement le ring alors qu’il le remplaçait pour s’en servir de pivot. Puis, exhalant fortement, il fit pivoter son torse. Tirant la jeune femme, il la souleva du sol sans problèmes, avant de relâcher sa prise sur elle dans le but de la projeter au loin. Mais cette dernière était restée agrippée à son bras.

“?”

Jacopo n’eut même pas le temps de réaliser ce qui lui arrivait. Le poids supplémentaire que portait son bras gauche aurait dû le quitter, mais il était encore là. L’étrangère était restée accrochée à son bras alors qu’il l’avait lâchée. Ça n'était pas prévu. Incapable de réagir à cette évolution, le jeune homme fut rapidement soumis aux lois de l’inertie et de la gravité - la salle pivota sous ses yeux alors que son dos frappa bruyamment le sol. Le public rugis devant le spectacle alors même que Jacopo essayait encore de comprendre la situation dans laquelle il se trouvait. Cela lui prit presque une seconde avant de réaliser dans quelle position il se trouvait.

L’inconnue avait ligoté son bras gauche, faisant pression avec ses bras, et utilisant ses jambes comme levier - une prise de soumission. Instinctivement, Jacopo commença à résister, forçant les muscles de son bras à opposer la pression - s'il ne faisait rien, il pourrait bien finir avec un bras cassé.

* Cazzo, c’est quoi cette meuf !? *

C’était la première fois que le vénitien s’était retrouvé dans une position aussi désavantageuse. Enfin, "la première fois" si on ignorait les attaques en traître et les agressions en surnombre. Le problème n’était même pas qu’il avait sous-estimé son adversaire, mais qu’il n’avait même pas imaginé qu’un tel adversaire puisse exister. Jacopo savait pertinemment qu’il n’était pas un expert du ring, c’était au contraire un handicap qu’il appréciait utiliser pour apprendre à se contrôler. Il ne faisait que le strict minimum lors de ses matchs au club, il n’avait aucune stratégie en tête : parer, encaisser, frapper, riposter.

Il avait pourtant rencontré de nombreux combattants qui lui avaient parfois mené la vie dure, cherchant à épuiser son endurance, cherchant à le forcer à faire des erreurs en utilisant diverses feintes, cherchant à l’handicaper en frappant à des points faibles. Mais c’était bien la première fois que quelqu’un l’amenait en position difficile sans qu’il ne puisse comprendre ce qu’il s’était passé.

* Je me demande si e̷̻͑l̵̘̋ļ̷̄e̷̫͆ ̷̡̍ä̴͕́ ̶̫̉b̴̼͑o̸̰̿n̴̢̋ ███. *

Les aboiements de la foule résonnaient dans la tête de Jacopo. Les jambes de son adversaire serraient son cou et son bras, la pression demandait un grand effort pour résister. La lumière d’un spot lui aveuglait un œil malgré ses lunettes teintées, dos au sol il regardait directement dedans après tout. Il fallait qu’il se calme, qu’il souffle un peu. C’était urgent, il était encore confus, mais son instinct lui criait que si la situation actuelle continuait, il commencerait à perdre la tête. Alors il se redressa. En position assise, fermant les paupières et se massant la tempe de sa main libre, il en profita pour respirer un bon coup.

“...”

Il avait fermé les yeux un instant, se massant le front de sa main libre. Bien, cela semblait l’aider, comme si un poids l’avait quitté. La foule s'était tu un instant, plus rien ne l’aveuglait, il pouvait remettre ses idées en ordre. Ça y est, il avait compris ce qu’il s’était passé : pourquoi sa projection n’avait pas fonctionné, et comment il s’était retrouvé dans cette position un peu plus tôt. “Hm ?” Ce ne fut qu’à cet instant que le jeune homme réalisa que le poids qui l’avait quitté était plus littéral qu’abstrait ; son bras gauche était à nouveau libre. Il s’était redressé sans y penser, mais son adversaire étant en train de le retenir au sol avec une clef de bras - elle avait sûrement pris ses distances dès lorsque l’italien avait commencé à soulever son poids entier, rendant la soumission inefficace.

“Va falloir prendre du gras si tu veux que ce genre de prise soit utile.” Annonça Jacopo d’un sourire narquois en retournant son visage vers la rousse un peu plus loin.

Il se releva ensuite, ajustant ses lunettes sur son nez après qu’elles aient été dérangées par sa chute. Puis il reprit la parole, lentement, pour que l’étrangère puisse le comprendre. Il ne parlait pas trois mots d’Anglais, alors c’était tout ce qu’il pouvait faire dans un effort pour se faire comprendre.

“On reprend ? Sérieusement pour nous deux cette fois.”

15/08/2021

La clef de bras n’était pas parfaite. Elle ne voulait pas l’étouffer. Elle ne voulait pas lui briser un membre. Il n’y a pas d’arbitre. Pas de décompte pour la mise à terre. Elle n’était pas surprise. La discipline sportive qu’elle pratiquait ne prônait après tout qu’une seule règle : la victoire. Les prises comme celle qu’elle utilisait en cet instant était loin d’être proche d’une quelconque pratique du Lethwei, elle faisait plutôt appel à ses lointaines bases du Systema pour maintenir tant bien que mal cet étranger en place.

En vain.

Le bras bougeait. Le buste bougeait. Elle ne pouvait pas le retenir. Impossible. Elle avait affronté des créatures bien plus puissantes que des humains et connaissait bien cette réalité : face à plus fort que soit il est inutile de chercher la victoire en confrontation de force pure. Elle était épatée qu’un individu si fort se trouvait parmi les agneaux, mais les moutons noirs sont bien souvent bien étranges. Une différence qu’elle ne pouvait qu’aimer.

Il se relevait petit à petit malgré la position complètement désavantageuse dans laquelle il se trouvait. La situation était incontrôlable pour Trisha tant et si bien qu’elle lâcha sa prise, roula sur le sol pour se relever dans un mouvement fluide et se remettre en garde. L’oeil fixement posé sur son adversaire. Il n’avait pas l’air particulièrement porté sur la technique, l’art du combat ou la stratégie. Sa tactique était simple, reposant uniquement sur cette force qui l’habitait.

Ce torrent de pensée déferlait dans l’esprit de Trisha, épanchant ses doutes et ses incertitudes. Elle en oubliait son rôle, la nature de son adversaire. Elle ne se concentrait plus que sur le combat. Sur la victoire. Une victoire douce, placée sous le signe de la compétition et non pas de la vie ou de la mort.

Il s’était relevé mécaniquement et n’avait semblé retrouver “conscience” qu’une fois complètement debout. Peut-être était-il de ceux qui se retrouvaient dans un état second lorsqu’il se retrouvaient plongés dans l’ire du combat ? Cela pouvait expliquer sa force surprenante.

“Va falloir prendre du gras si tu veux que ce genre de prise soit utile.”

Non. Oui. Il ne savait pas jauger l’étendue de sa propre force. Les prises de soumissions avaient cet avantage de profiter de la faiblesse de chaque humain pour faire leur effet. Certes la force permettait de les renforcer, mais les arts martiaux entièrement tournés vers ces disciplines ne demandaient pas de force particulière pour être efficace. Trisha ne put s'empêcher d’avoir un petit sourire, quelle incroyable découverte, les humains étaient incroyables.

“On reprend ? Sérieusement pour nous deux cette fois.”

Un sentiment bien étranger se frayait lentement un chemin jusqu’au cœur de Trisha : la curiosité. Elle avait soudainement une envie profonde de cerner les limites de cet homme. Il reprit une garde similaire à la sienne, les deux combattant protégeant une partie du corps inutile dans cette arène. Les échanges allaient reprendre à tout moment.

Inspiration, expiration.

Ne pas s’emballer. Ne pas forcer de trop sur le corps d’un agneau, aussi fort soit-il s’il n’est pas conscient de ses capacités.

Un, deux, trois.

Les mouvements se dessinaient dans l’esprit de Trisha avant que l’assaut ne commence. Elle se retrouvait dans la salle de sport crasseuse qu’elle fréquentait à Paris, où elle avait rencontré ce sport qui lui avait appris à canaliser ses pulsions. La violence n’était peut-être la seule chose que le reste du monde y voyait, mais elle lui savait une vertu qu’aucun autre art du combat n’avait su lui offrir : la liberté.

Inspiration, expiration.

Son jeu de jambe recommença à s’agiter, signe évident qu’elle s’apprêtait à ouvrir de nouveau la danse et elle ne comptait pas changer de partenaire. Le ventre serait toujours sa cible. Comme une invitation, le premier coup se trouvait être le même. Un crochet étouffé par le peu de distance qui les séparait. Un crochet bien plus réfléchi que le précédent, bien plus assuré.

Comme une partition que l’on répète, la poigne de fer de son adversaire se referma sur son poignet mais avant qu’il ne puisse l’envoyer voler de nouveau, son coude vint percuter ses côtes flottantes. L'impact était sec, profond, bien plus douloureux que le coup de poing. Profitant du moment de flottement dans la réaction de son adversaire, Trisha passa son bras libre de l’abdomen du blond à son épaule pour s’y accrocher et faire décoller son pied du sol pour mieux percuter sa hanche d’un coup de genou fulgurant.

Elle avait bien veillé à ne pas percuter le foie pour éviter de causer des dégâts internes trop graves mais l'enchaînement devait l’avoir bien secoué. Voilà un peu de seri---

14/08/2021

Le coup-de-poing frappa durement. C’était une déclaration d’intention, exprimée dans la seule langue que les deux combattants partageaient. L’étrangère avait visé le même endroit que la dernière fois, mais l’impact avait bien plus de poids derrière - bien plus de sincérité. L’italien répétait également les mêmes actions, se saisissant fermement du bras qui l’avait frappé. Lorsqu’une douleur sourde résonna violemment dans son côté droit. La rousse retira rapidement le coude qu’elle venait de planter entre les côtes de son adversaire pour lui agripper l’épaule, utilisant l’appui pour mieux propulser son genou en direction des hanches.

Jacopo avait à peine eu le temps de réagir. Son adversaire était bien plus douée que lui, bien plus douée que n’importe quel autre combattant qu’il n’avait jamais affronté sur ce ring. En à peine une poignée de secondes, elle le lui avait prouvé. Il n’avait jamais affronté un adversaire avec un style de combat aussi rapproché, utilisant les genoux et les coudes, avec autant de vitesse et précision - elle frappait bien plus fort que son corps pouvait laisser croire. Il ne faisait aucun doute qu’elle aurait pu lui briser une côte si elle l’avait voulu.

“He. Hehe.”

C’était une sensation étrange que ressentit Jacopo, bien qu’il n’eut pas vraiment encore le temps de le réaliser. Quelque chose d’inhabituel qu’il ne ressentait que trop rarement au milieu d’un affrontement : de l’indifférence. Il venait d’encaisser plusieurs attaques sans pouvoir rien faire, il avait mal - des choses qui auraient dû l'ennuyer, le frustrer. Mais rien de tout cela n’arrivait, il se contentait de suivre le mouvement, de rester dans l’action.

Sa main droite n’avait pas lâché prise malgré les coups, tenant toujours fermement le poignet de son adversaire. Lorsque cette dernière avait utilisé son épaule comme point d’appui, même lui avait été en mesure d’anticiper la prochaine attaque - bien qu’il n’ait pas eu la vitesse suffisante pour l’empêcher d’arriver. Son bras gauche se glissa sous la cuisse de l’attaquante et bloqua le genou contre sa hanche.

* Elle n’a plus qu’un, non, deux points d’appui : son pied gauche, et sa main gauche. En espérant qu’elle ne me griffe pas. *

Jacopo passa son poids sur sa jambe gauche, ignorant sa hanche lancinante qui protestait contre ce mouvement. Il tira d’un coup sec le bras qu’il tenait encore fermement pour déséquilibrer son adversaire, avant de tacler son adversaire. Tacler était un bien grand mot, l’italien donnait en vérité un coup de pied bien trop haut pour une balayette - mais frappait avec tant de brutalité qu’il serait quand même difficile de ne pas se faire faucher. En même temps, il tira sur le bras qu’il avait saisi, et souleva la jambe qu’il agrippait afin de complètement renverser son opposant à l’horizontale. Dans le même mouvement, il utilisa son coude pour dégager la main sur son épaule - pas question de la laisser reproduire sa dernière acrobatie.

La rousse était une nouvelle fois à la merci de la gravité, retenue uniquement par le bon vouloir de Jacopo. Il ne comptait pas laisser le temps à son adversaire de réagir, abaissant ses bras comme des marteaux avant de lâcher sa prise, envoyant la jeune femme s’écraser lourdement au sol. Il n’avait pas accompagné le mouvement jusqu’au bout, la chute ne devrait pas être particulièrement douloureuse, mais le choc devrait lui offrir un instant de répit. Après avoir jeté son adversaire, le combattant blond prit immédiatement ses distances en quelques enjambées. Il avait encore mal aux côtes, et aurait probablement une hématose à la hanche à la fin de ce combat. Il pouvait encore faire comme si de rien était, mais encore quelques coups comme ceux-là, et il commencerait vraiment à devoir combattre la douleur. Cela demandait un changement de plan : il ne devait pas permettre à l'étrangère de l’approcher de trop près, garder ses distances. Plutôt que de riposter, il devrait se mettre à attaquer, toujours la garder en dehors de sa zone de confort.

“Sacrés coups que t’as là... Bien content que ce soit toi qui sois montée sur le ring.”

15/08/2021

La gravité avait disparu de nouveau dans une prise bien plus complète que la première fois. Il ne comptait pas la lancer dans l’instant pour, à première vue cela semblait plus proche d’une grossière prise de judo ou même de “catch”. Évidemment Trisha tentait de se débattre, profitant de ses quelques articulations encore libres pour gêner le plus possible les mouvements de son adversaire. Inutile. Elle s’en doutait, sa condition physique était d’un tout autre niveau et sans appuis pour s’en défendre, il lui était impossible de lutter sans lui briser définitivement la main.

“Tch.”

La chute était aussi inévitable qu’impressionnante. L’impact contre le sol fut étourdissant, le sol lisse du ring lui épargna les multiples écorchures d’un véritable champ de bataille mais elle mit tout de même de longues secondes avant de retrouver son équilibre. Son corps forgé par l’effort se releva comme une marionnette, désarticulé. Le regard planté vers le plafond, fixant la lumière jaune, Trisha s’arrêta de bouger.

Dans son esprit se bousculaient de nombreuses émotions, de sensations et autant de questions.

“Sacrés coups que t’as là… bien content que ce soit toi qui sois montée sur le ring.”

La voix de son adversaire la fit redescendre sur terre, elle planta immédiatement ses yeux dans les siens avant de se remettre en garde. L’ombre d’un sourire flottant sur le visage. Ne perdant pas une seconde, ses pieds firent siffler le sol lorsqu’elle se précipita dans sa direction. Buste largement en avant, prête à décrocher un nouveau coup. Sa course précipitée fut stoppée par le mouvement brutal d’une jambe fouettant le vide qu’elle s'apprêtait à franchir.

“Hehe.”

Le coup n’était ni précis, ni méthodique, il n’avait que l’idée crue mais c’était déjà largement suffisant. Changeant rapidement sa trajectoire, elle fit une nouvelle approche, s’enfonçant par la gauche. Pour autant son assaut fut avorté par un l’impact lourd d’un poing sur ses avant bras qui la fit vaciller avant que sa respiration ne soit coupée par un tibia dans son abdomen.

Dans un cri muet elle roula sur le sol. L’air incapable de sortir de ses poumon, un simple filet de bave s’écoulait de sa bouche. Le souffle court, la douleur se répandant comme un liquide brûlant sous sa peau. Ses lèvres muettes se crispaient dans des mouvements familiers et dans son esprit les mots du Saint Livre commençaient à se former. Pourtant ses épaules étaient légères.

Elle n’était face à une créature de la nuit, un mage noir ou une engeance du mal. Elle n’avait pas à craindre pour ce corps qui menait avec elle la Mission. Elle ne voulait pas prendre la vie de ce qui lui faisait face. Mais si elle ne déployait plus d’efforts, elle finirait au sol, vaincue par celui qui lui faisait face.

C’était la première fois que cette situation se présentait à elle. La première fois qu’elle pouvait être celle qu’elle était les soirs de traque avec un agneau du troupeau.

Difficilement elle se redressa, encore engourdie par le coup. Pendant quelques secondes elle scruta le blond qui l’affrontait depuis plusieurs minutes déjà. Elle ne connaissait pas son histoire. Elle ne savait même pas son nom. Elle voulait lui poser ces questions mais plus que tout, elle voulait se laisser aller au ring, à l’effervescence de l’adrénaline, à la douleur qui donnait un sens à ce corps malmené depuis si longtemps.

“Hey.”

Sa garde disparaît, Trisha n’est plus dans un ring mais dans un no man’s land à la frontière entre le monde des hommes et celui des créatures de la nuit.

“Je vais serieuse. Tombe pas vite.”

Son visage semblait fermé, pourtant détendu. Elle ne souriait pas, mais si elle savait le faire, cela serait probablement le cas. Ses lèvres fredonnaient silencieusement des mots interdits pendant que son corps restait figé dans une position droite. Après quelque temps le public commença à se plaindre, à huer les deux combattants qui ne s’étaient pas blessés depuis plusieurs dizaines de secondes.

Trisha était à fleur de peau, la chaire de poule donnait à son corps une impression d’être plongé dans un bain glacé qui n’était pas désagréable. Déliant ses articulations douloureuses, elle fit entendre un désagréable bruit de craquement qui résonna à travers le ring.

“Ah…”

A peine un soupir, plein de légèreté. Elle était fin prête. Chez elle, loin du regard de la Sainte Eglise, personne ne viendrait la condamner pour l’écart qu’elle s'apprêtait à commettre. Son adversaire n’avait pas bougé ou profité de l'immobilité de la rouquine pour attaquer. Respect ou instinct, elle le remerciait. Le mécontentement de la foule avait disparu, son seul oeil était comme verrouillé sur la silhouette du grand blond.

Inspiration, expiration.

Murmures silencieux.

Un pas en avant. Puis un second.

Son corps s’élance. Une ligne droite couverte en moins d’une seconde. Un pied fouette l’air. Elle recule. Se décale d’une simple torsion de la cheville. Continue sa progression. Arrive face à lui. Son poing fuse. Intercepté par la garde solide de l’italien qui recule légèrement avant de répliquer. L’impact est lourd. Moins que prévu. En se laissant tomber sur le coup elle parvient à amortir les dégâts. Douleur intense mais supportable. Son genou fuse vers la cuisse droite. Saisie par les épaules, elle se retrouve de nouveau au sol quelques mètres à travers le ring.
Inspiration, expiration.

Murmures crispés.

Un pas en avant. Puis un second.

Son corps s’élance de nouveau. Le pied ne vient pas la chercher. La jambe douloureuse doit le lancer. Hors de porté des poings, c’est elle qui balance sa jambe vers la cuisse touchée plus tôt. Deux coups. Les représailles sont sévères. Incapable de se défendre ou de saisir la vive jambe, l’italien s’est rapproché. Un pas, deux pas. Le poing enfoncé dans l’estomac de la rouquine. Pourtant elle réplique. Immédiat, son coude percute l’avant bras. Son bras se déplie autour de celui de son adversaire. Sa jamb---

Sans comprendre comment, la voilà qui était de retour au point de départ.

Son dos, sa hanche, brûlait d’un feu intense. La chute avait été dure.

Inspiration, expiration.

Murmures jubilatoires.

Elle ne voulait pas s’arrêter. Échouer n’était pas un problème. Elle recommencerait autant de fois que nécessaire.

14/08/2021

Elle se releva. Plantant son regard dans le sien, elle lui fit comprendre que ça n’était pas encore terminé. L’affrontement était reparti de plus belle. Cette fois-là, Jacopo ne la laissa pas passer sous sa garde, l’envoyant rouler au sol d’un coup de pied bien placé après quelques échanges. Il ne s’était pas particulièrement retenu avec cette attaque, le match allait probablement prendre fin. L’étrangère avait déjà pris quelques secondes avant de se relever de sa dernière chute, et il ne faisait aucun doute que son style de combat devait brûler énormément d’énergie ; elle n’allait pas tarder à être à sec.

Elle se releva. Avec difficulté, la jeune femme parvint à se remettre sur ses jambes. Elle semblait encore être en train de récupérer son souffle, mais elle prit la parole. Ça y est, elle allait jeter l’éponge comme prévu.

“Hey.”

Un frisson parcouru l’échine de Jacopo.

“Je vais sérieuse. Tombe pas vite.”

Quelque chose venait de changer chez la femme aux cheveux ardents. Quelque chose d’invisible, mais qui perturbait l’Italien au plus profond de son être. Elle avait pourtant complètement relâché sa garde, elle semblait même un peu étourdie ; ses lèvres balbutiaient des sons imperceptibles par qui que ce soit. Elle semblait sans défense, mais Jacopo était incapable de l’approcher.

* Elle va me ███. *

Une sensation inexplicable s’empara du jeune homme. La jeune femme debout devant lui, se contentant de le regarder sans rien faire, était peut-être la chose la plus ██████ qu’il n’ait jamais vu. Il avait l’impression que des épines glacées grandissaient lentement à l’intérieur de son corps, figeant petit à petit les membres de son corps.

* Elle va me ███ ! Je dois ███. *

* Bouges ! *

Sa respiration s'accélérait, sa vision s’obscurcissait - il commençait à perdre de vue tout ce qui était en dehors du ring. * Bouges. Bouges. Bouges. Bouges. Bordel avances !* * ███. ███. ███. ███. Elle va me ███ ! * Il avait mal à la tête. Son front devait être brûlant, comme s'il était subitement fiévreux. Comme si son corps tentait de combattre les épines de glace inexistantes qui se propageaient dans son corps. Il entendait à peine la foule qui avait commencé à les huer, ou plutôt il l’ignorait.

Et puis elle se mit à bouger. Un simple pas suffi pour confirmer à l’inconscient de l’Ogre qu’il n’avait plus affaire à une combattante, mais bien à une chasseuse. Puis un second pas obligea à la conscience de Jacopo à faire un choix.

Elle va me tuer, je dois fuir.

Bouges. Bouges de ton propre chef, et pas par instinct.

* Je vois. Ça fait bizarre parce que, pour une fois, j’ai vraiment envie d’abandonner et partir en courant loin. Ça m'a pris par surprise, mais... * La rousse s’élança à l’instant même où le barman avait remis de l’ordre dans ses esprits. Il réagit au quart de tour, envoyant un coup de pied cinglant dans l’air en face de lui. * … mais c’est rien comparé à d’habitude. Je ne suis même pas de mauvaise humeur, il faudra bien plus qu’un simple mauvais pressentiment ! *

La jeune femme avait quasiment ignoré le coup de pied, l’ayant contournée en ayant à peine freiné sa course. Quelques coups furent échangés, mais le grand blond fut incapable de placer une bonne attaque, alors qu’il avait reçu un coup de genou en plein dans la cuisse. Elle ne l’avait pas raté, mais s’était forcée dans une position désavantageuse afin de pouvoir porter ce coup, et Jacopo profita de l’opportunité pour la projeter une nouvelle fois au sol. Lui qui pensait qu’elle devait être en train de puiser dans ses dernières réserves d’énergie, elle n’avait pas perdu sa force d’impact pour autant. Pire encore, le coup qu’elle venait de lui donner était peut-être encore plus fort que celui qu’elle lui avait déjà donné à la hanche !

Elle se releva. Ce n'était pas normal. Jacopo prit une grande bouffée d’air. L’air de cette pièce était lourd, chaud et humide, rien de bien agréable. Mais cela lui suffit pour dompter à nouveau cette peur irrationnelle ; qui tentait de refaire surface au fond de ses entrailles à la vue de la borgne endiablée qui se précipitait une nouvelle fois sur lui.

Il était incapable de lire son jeu de jambes, de prédire ses mouvements. Il pouvait simplement y réagir. Contournant ses tentatives de défense, elle pilonna sa cuisse droite à plusieurs reprises à coup de pied. La rousse visait le même endroit, encore et encore, mais il était incapable de l’en empêcher. Elle cherchait à handicaper sa jambe droite pour le forcer à se rendre ; et s'il continuait à se faire enchaîner de cette manière, même lui allait finir par flancher ! Il lui fallait juste un peu de temps pour récupérer, il n’arrivait pas à gérer la pression que cette femme lui imposait une fois au corps-à-corps.

Finalement, il parvint enfin à passer sous la garde de son adversaire. Coup de poing. Coup de coude. Croc en jambes. La jeune femme tomba lourdement sur le côté. Jacopo prit ses distances. Son corps transpirait abondamment, mais il était incapable de dire si c’était à cause de l’effort ou des sueurs froides. À chaque fois que son regard croisait l’unique œil de son adversaire, il avait des frissons. S’il la regardait se chuchoter à elle-même, comme si en transe, son crâne bouillonnait.

Elle se releva.
Une nouvelle fois.

Comme une artiste pour un encore.
Comme un revenant après sa mort.

“Tch… C’est quoi ton problème à la fin ?”

À chaque fois, elle mettait un peu plus de temps à se relever. Tout ce temps en plus, c’était du temps que Jacopo gagnait à retrouver son souffle, du temps pour que sa douleur commence à s’estomper. Mais l’étrangère semblait juste dans un pire état à chaque nouvel engagement. De plus en plus désespérée dans ses attaques. Comme si elle se fichait de ce qui pouvait lui arriver, tant que cela lui donnait l’opportunité d’amocher un peu plus son adversaire.

Un pas en avant. Puis un second.

Elle s’approchait à nouveau. Comme une histoire sans fin dont aucun des deux personnages n’était capable de sortir. Le public criait haut la gorge à chaque fois que la jeune femme se remettait sur ses jambes, seul Jacopo semblait avoir remarqué le changement qui avait eu lieu au milieu du combat. Il aurait dû être extatique de faire face à une telle adversaire ; mais plus le duel se prolongeait, moins il avait l’impression de combattre. La rousse était devenue une sorte de machine avec comme instruction unique de le mettre à terre, quitte à y laisser quelques vis et boulons.

* Ok, changement de plan. Ce qui compte maintenant, c’est de l’empêcher de se relever. *

Finit la sécurité. S'il se plantait, il allait se faire ruer de coups et finir au sol. Il espérait juste garder la tête assez froide pour être capable d’abandonner ensuite, avant qu’il ne soit trop tard. Jacopo frappa du pied sur le sol, manquant de glisser, il s’élança à toute allure. Il ne pouvait pas attendre que son adversaire se rapproche. Son plan était simple : tacler son adversaire au sol, puis utiliser son poids pour l’immobiliser. Il ne connaissait pas de prises de soumissions, comme la clef de bras qu’elle lui avait faite, mais il avait l’avantage physique. Tant qu’il arrivait à lui bloquer les bras et le torse, il devrait réussir à la forcer à abdiquer…. Peut-être.

15/08/2021

Un pas en avant. Puis un second.

Le cœur de Trisha palpitait d’émotions inconnues, l’adrénaline inondait ses veines, la douleur lui faisait l’effet d’un seau glacé. Chaque coup subit était une nouvelle raison de se relever. Chaque coup porté était une raison de laisser fleurir sa fierté. Elle ne gagnait pas cet affrontement, loin de là d’ailleurs. Chaque échange voyait sa silhouette s’écouler le sol. Chaque attaque marquait son corps d’une teinte rouge qui ne tarderait pas à virer au violacé. Son souffle était court, son corps incapable de suivre son esprit embrasé.

Mais elle se sentait bien.

Son corps tout entier semblait léger. La fatigue, la douleur, tout ça n’avait que peu d’importance. Elle sentait chaque fibre de ses muscles répondre à son appel, ses mouvements étaient limpides dans son esprit. Ils n’étaient pas parfaits. Ils n'étaient pas aussi efficaces que les soirs de traque. S’ils l’avaient été, son adversaire pris au dépourvu serait probablement mort. Mais contrairement à ces soirs ou la Mission primait sur le reste, elle ne se laissait pas aller à la froideur mécanique pour laquelle elle a été élevée.

Elle était elle-même et celle qui vivait chaque minute passée loin de la Mission.

Après plusieurs échanges passés sur la défensive, le grand italien passait à l’offensive. Sa force était indéniable, sa technique primitive. Il devait être lion parmi les agneaux et pourtant il restait un membre du troupeau. Pour Trisha c’était une fierté de l’affronter, la force des hommes l’emplissait d’un orgueil inconditionnel, peu importe les actes néfastes des serviteurs du Malin les hommes seront toujours capable de lutter.

L’impact était imminent, elle s’était élancée avec lui, consciente que dans une confrontation de force brute elle serait perdante. Cela ne l’inquiétait pas. Perdre ? Quelle importance ? Elle était même curieuse de savoir ce que cela faisait. Perdre face à un humain ? Elle n’imaginait pas de meilleure façon de terminer son histoire. Mais elle n’était pas là pour entacher la vertu de cet homme, jamais elle ne blesserait sa valeur en lui offrant une victoire aisée.

De toute manière, elle ne savait pas perdre. Peut-être apprendrait-elle ce soir ?

Sous le regard du public, le dernier échange se déroula dans une violence rare. Face au tacle inévitable de son adversaire, Trisha avait décidé de prendre l’initiative, comme l’aurait fait face à un Apôtre de la Mort. Levant sa garde au dernier moment elle amortit le choc tout en s’assurant d’avoir les bras libre. Alors que leurs deux corps chutaient vers le sol lumineux elle encercla la nuque du blond, il ne se redresserait pas facilement.

Son dos heurta le sol dans un fracas incontrôlé. Elle ignorait la douleur, simple promesse pour un lendemain qu’elle ne considérait pas. Elle pouvait entendre son adversaire grogner, saisit pour quelques secondes seulement, elle devait saisir cette opportunité. Accrochée comme un animal sauvage au buste de Jacopo, elle leva son coude avant de l’abattre violemment dans son dos, une fois, deux fois.

L’omoplate crissait à chaque impact et le troisième arracha un cri contenu de douleur au blond qui se libéra dans un geste violent. Tout son poids, toute sa force reposait sur Trisha mais son équilibre était précaire. Ne lui laissant pas le temps de rétablir ses sens, elle enfonça son second coude dans sa cuisse endolorie, un appuis fragile, pieds d’argile qu’elle avait effrité par ses coups précédents.

La chevauchée du blond pratiquement brisée Trisha n’eut qu’à renverser les forces en présence. Un crochet du droit sous les côtes flottantes déjà abîmées, le coup atteint le foie en plus de résonner à travers les os meurtris. Son poids s’allège face au déluge de coup. Dans un mouvement violent du bassin elle le force à s’élever un peu plus et se glisse à moitié hors de sa position de califourchon.

Les deux visages à quelques centimètres l’un de l'autre, tous deux marqués par la douleur, lancinante ou foudroyante, expriment pourtant une extase particulière qui n’est connue que de ceux qui n’ont jamais pu atteindre leur limites. Le visage de Trisha s’éloigne, comme Ulysse c’est un voyageur plein de promesses de retour et tel le vent il finit par revenir. Le front rougit par l’effort de la rouquine vint percuter celui du blond.

Un mouvement interdit par les règles de la maison qui aurait pu lui valoir une pénalité s’il y avait un arbitre. Un mouvement bien propre au Lethwei, parmi les sports il était bien le seul qui prônait la victoire sur tout le reste. Toujours au sol, Trisha observait de sa paupière vacillante son adversaire tituber, quelques gouttes d’un liquide écarlate coulant le long de son visage. Il ne perdait pas l’équilibre, à chaque seconde qui passait sa posture se rassérénait.

Il ne tomberait pas, il ne faiblirait pas.

Trisha était exténuée, ses muscles brûlants étaient petit à petit submergés par une chape de plomb. Ses émotions avaient pris le dessus et la fatigue s’était accumulée sur ses épaules bien plus vites qu’elle ne le pensait. Quelle honte pour une exécutrice de l’église de tomber face à un simple humain.

Peut-être aurait-elle dû penser ça ?

Mais non, plutôt que de s'apitoyer sur son sort elle se contentait de fixer le visage ombragé de son adversaire nimbé de cette lumière jaunie. Qu’il était beau de faire face à la défaite le sourire au lèvre. Vaincue, la rousse se laissa tomber sur le dos, les bras en étoiles avant de laisser échapper un rire rugueux, de ceux qui avaient attendus trop longtemps pour voir le jour.

“J’ai perdu !”

14/08/2021

Un éclair rouge frappa. Quelque chose se brisa lors de l’impact. Jacopo avait entendu comme un craquement, mais était incapable d’en déceler l’origine. Il voyait des étoiles filer devant ses yeux, elles étaient rouges. Ses oreilles sifflaient, il ne pouvait rien entendre d’autres. Sa balance avait disparu, il avait l’impression que quelqu’un le tirait par les épaules - mais il arrivait à peine à faire suivre le mouvement avec ses pieds, manquant de trébucher à chaque pas. L’espace d’un instant, il avait peut-être même perdu connaissance.

Le sifflement continuait, mais après quelques secondes le combattant était parvenu à refaire sens de ce qui passait dans sa vision. La lumière de la salle, normalement plutôt jaunie et tamisée, l’éblouissait - elle était également rouge. La douleur le rattrapa subitement, toute sa boîte crânienne souffrait.

* Snif, snif... *

L’Italien porta une main à son visage, se demandant s’il ne s’était pas fait casser le nez. La paume de sa main arriva sur son visage, et du bout de ses doigts il examina son arête nasale de bas en haut. Rien n’était cassé, mais il manquait quelque chose. Ses doigts continuèrent de monter sur son visage, avant de rencontrer un liquide chaud et poisseux qui s’écoulait de son front. Il savait déjà ce dont il s’agissait, bien que cela n’était pas bien difficile à deviner de toute manière.

* Cazzo ! *

Dans la lutte, son adversaire lui avait asséné un coup de tête d’une violence rare. Elle avait sûrement rompu une arcade sourcilière, et il saignait maintenant abondamment.

Il voyait rouge.

Instinctivement, il utilisa sa main pour essuyer le sang qui s’écoulait sur son œil gauche avant de fermer la paupière. Il n’aimait pas le rouge. Les lunettes qu’il avait portées durant le match étaient à terre, brisées en deux et un verre s’en était délogé - heureusement qu’elles étaient en plastique. De toute façon, elles ne lui serviraient à rien si son visage dégoulinait de sang.

Elles ne coûtaient peut-être pas cher, mais ça n’était pas une raison pour les casser. Et puis bordel, ce genre de coups étaient dangereux - personne de sain d’esprit ne l’utiliserait dans ce genre de matchs. Et elle avait bien dit “Pas tête” hein ? Putain de touristes, ça sert à quoi d’apprendre l’italien si c’est pour être incapable de suivre ce qui est dit avec hein !? Déjà que j’aime pas les rousses, il fallait qu’elle m’envoie sa tête droit dans les yeux. Alors comme ça, tu veux pas rester à terre ? Ok, parfait, je ne demande rien d’autre. C’est plus simple de p̴̰̓e̶͚͋l̷̡̞͑e̷̠̓̍r̸̦̽ ̶̤̉ļ̷͙͛̍ă̶̘ ̴̹̕p̴̗͌͆ĕ̶͙͍ȧ̴̡͎u̸͕͈̍ comme ça.”

Alors qu’il reprenait peu à peu ses esprits, le visage de Jacopo se tordait. Il marmonnait ses pensées sans s’en rendre compte, même si au milieu du brouhaha qu’avait déclenché cette dernière action - il était impossible d’entendre ce qu’il disait. Mais il ignora le bruit ambiant. Son œil encore ouvert parcourait le ring ; repérer la tignasse écarlate au sol serait facile. Il se dirigea vers elle d’un pas de plus en plus rapide. Son sens de la balance lui était déjà revenu, même si sa tête tournait encore un peu. Il s’agenouilla devant elle et agrippa son épaule de sa main pleine de sang pour la soulever, préparant à la cueillir d’une droite dans le nez.

“Si tu veux pas rester à terre, je vais… te… ”

Elle était à terre, exténuée. Il venait tout juste de s’accroupir pour la tirer vers lui, le poing en l’air, prêt à la frapper. La rousse affichait un air de surprise, ou de confusion. Elle n’avait pas dû s’attendre à une contre-attaque après avoir abandonné, encore à terre. Mais l’Italien s’était vite arrêté dans son action, elle n’avait pas eu le besoin de réagir.

“Tch.” Il claqua de la langue avant de lâcher son adversaire en détournant le regard. Il n’avait pas envie de la regarder d’aussi prêt. Elle avait également des traces de sang sur son front, probablement le sien. C’était désagréable. Quelques personnes avaient commencé à monter sur le ring ; peut-être parce que Jacopo pissait le sang, ou peut-être pour l’empêcher de s’en prendre à la rousse qui avait déjà abandonné le match.

Le blond les ignora, repoussant du bras l’un des employés qui s’approchait de lui. Il n’avait aucune envie de rester plus longtemps ici ; il avait envie de quitter cet endroit au plus vite. Il était de particulièrement mauvaise humeur maintenant. L’odeur du sang était particulièrement forte. Il passa sous les cordes, se dirigeant vers le seau d’eau placé non loin, il devait se rincer le visage. Une fois ça fait, il prendrait ses affaires et s’en irait immédiatement.

Une semaine plus tard

Suite à ce combat, Jacopo ne retourna pas à la salle de sport habituelle. Il récupéra rapidement de ses blessures, qui devaient être moins graves que ce qu’il pensait - ce n’était pas ça le problème. Sur la fin du combat, il avait failli complètement perdre les pédales, il ne voulait pas que ça se reproduise. De plus, il venait de reprendre le travail, et ses soirées avaient été chargées, il n’aurait pas pu s'entraîner bien longtemps même s'il y était retourné. Cependant, l’image d’une borgne aux cheveux roux lui traînait dans la tête. La première moitié de leur combat était probablement l’un des meilleurs moment qu’il avait passé récemment. Et, avec du recul, il en était de même pour le reste du combat - jusqu’à ce coup de tête fatidique en tout cas.

L’étrangère lui avait fait ressentir un sentiment de peur primale, oui. Mais pour la première fois, il avait pu affronter quelqu’un vraiment capable de lui faire face. Capable de se relever. Peut-être même capable de l’étaler. Pour la première fois, il n’avait pas eu l’impression d’être une sorte de monstre qui jouait avec une proie.

Ce soir-là, il n’avait pas à s’occuper du bar. Alors il se décida finalement à en profiter : d’après ses contacts, la rousse qu’il avait affrontée fréquentait encore cette salle de sport régulièrement. Le barman était curieux, c’était bien la première fois qu’il voulait en savoir plus sur l’un des membres qui fréquentait cet endroit. Plus que ça, il désirait l’affronter à nouveau sur le ring - mais il ne pouvait se permettre à ce que ça dégénère une nouvelle fois. Alors, dans un premier temps, il décida qu’il valait mieux lui poser quelques questions.

Jacopo s’adossa contre un mur dans la rue, allumant une cigarette nonchalamment. Il ne travaillait peut-être pas cette nuit-là, mais il restait habillé dans son costume. Ozmo lui en avait offert en masse après qu’il ait déchiré son premier, et au final c’était devenu sa tenue habituelle. Devant lui était le tabac situé sous la salle de sport, l’entrée de cette dernière étant clairement visible. Une fois qu’il aurait fini de fumer, il y entrerait voir si cette “Trizia” était là ou non ce soir-là. Mais alors qu’il avait à peine entamé sa cigarette, une femme à la tignasse rousse s’échappa de la salle de sport. Difficile de dire avec certitude qu’il s’agissait de la personne qu’il cherchait - elle regardait ses pieds, et on ne pouvait apercevoir son visage - mais cela ne faisait aucun doute dans la tête du vénitien.

“Yo, Trizia, c’est ça ?” L’interpella Jacopo, agitant un bras en l’air.

Le blond se dégagea de du mur, traversant la rue pour s’approcher de la jeune femme. Il posa le mégot contre ses lèvres, continuant de parler en laissant s’échapper de la fumée.

“J’voudrais causer un coup. Ça te dérange de marcher avec moi un moment ?”

15/08/2021

Une semaine avait passé depuis son affrontement avec le blond. La salle de sport s’était enflammée lors de la dernière action et pourtant le combat ne s’était pas terminé par un ko. Un simple abandon, un aveu de faiblesse bienheureux face à un homme qui n’avait pas cédé sous ses coups. Elle s’était laissée emporter, c’était une certitude, et avait brisé l’une des règles de la salle dans le feu de l’action. Sa confiance en son adversaire avait dépassé son respect des règles qu’on lui imposait et pour elle, sa décision était justifiée.

Il n’était pas tombé. Certes la colère avait pu l’étreindre l’espace d’un instant mais c’est vainqueur qu’il avait quitté le ring.

Depuis cet affrontement, elle passait chaque jour une heure ou deux dans la salle afin de s'entraîner. Une partie de ses exercices se faisaient chez elle, après tout il n’y avait pas le nécessaire dans cet endroit et elle ne souhaitait pas non plus trahir le secret de sa Mission auprès des agneaux, mais elle devait bien avouer qu’être entourée dans l’effort avait quelque chose de réconfortant.

Elle observait les hommes, surtout, et les femmes, parfois, qui fréquentaient l’endroit. Chacun avait sa routine, ses habitudes, tous étaient les bienvenus. Etrangement, elle faisait partie de la masse et ne se démarquait pas du reste… à une exception près. Elle était celle qui avait mené la vie dure à “Jacopo”, le grand blond, un véritable monstre si l’on croyait les habitués. Un homme qui n’avait jamais perdu une fois sur le ring, dont la force n’avait pas d’égal parmi les combattants de la salle.

Peut-être avait-elle eu l’espoir de le revoir en venant ainsi tous les jours. Ce soir-là, sur le ring, sous les lumières jaunies et les voix grondantes de la foule, elle s’était sentie légère. Elle ne s’était pas dépassée, elle n’avait pas déployé toutes ses forces, elle n’avait pas voulu blesser grièvement son adversaire ou même le tuer. Mais pourtant elle s’était sentie vraie quelques minutes seulement.

Et plus elle y pensait, plus elle doutait qu’elle aurait pu le tuer, même en le voulant.

Malheureusement elle n’avait pas aperçu de nouveau son visage toute la semaine durant. C’est la boule au ventre qu’elle entrait chaque jour dans la salle, espérant pouvoir de nouveau ressentir ce sentiment de libération. Mais il n’était pas là. Elle avait tenté à quelques reprises de monter sur le ring pour répliquer l’expérience, mais jamais elle ne s’était approchée du même résultat.

Les agneaux égarés, loin du troupeau, partageaient cet esprit qu’elle aimait tant, mais ils n’avaient pas la force nécessaire pour lui permettre de se laisser aller de nouveau. Par quatre fois elle était montée sur le ring et par quatre fois elle en était ressortie victorieuse, marquant aisément les esprits, mais pourtant son visage était drapé d’une expression morne.

Au bout d’une semaine elle avait fini par accepter cette réalité, son adversaire était un humain qui fréquentait l’endroit de façon irrégulière. Elle avait eu de la chance cette première fois, peut-être était-ce un signe du Seigneur qui tentait de lui montrer la force qui se cachait dans le cœur des hommes, de lui offrir un havre de paix auprès de ceux qu’elle devait protéger. C’était avec une gratitude extrême qu’elle acceptait ce don et qu’elle chérirait cet endroit aussi longtemps qu’elle resterait à Venise.

“Je vois que t’as tes gants maintenant gamine. C’est bien.”

D’un hochement de tête, elle répondit au compliment du chef de l’établissement. Un homme de peu de mots, qu’elle avait appris à respecter. Pour lui, même si l’endroit pouvait sembler décrépi et dangereusement mal entretenu, ce qui importait était l’esprit. Le combat, la violence, pouvaient être des exutoires, des passions, mais pas des terreaux de haine. Dans l’extrême c’était l’esprit du sport qu’il cultivait ici, aussi étrange que ça puisse paraître.

“On te trouvera un meilleur adversaire pour la prochaine fois.”

Nouveau hochement de tête en fermant le sac dans lequel elle venait d'enfermer ses affaires couvertes de sueur. La journée était terminée pour les humains, elle rentrait chez elle, prendrait une douche, de quoi remplir son ventre, puis sa nuit commencerait. D’un geste de la main elle salua la salle et ses occupants, avant de silencieusement dévaler les escaliers quatre par quatre.

Les rues de Venise, illuminées de quelques lampadaires, avaient un air bien familier dans la nuit naissante. Vite, pas de temps à perdre…

“Yo, Trizia, c’est ça ?”

Surprise d’entendre un fragment de son prénom, la rousse se tourna vers la voix qui l’interpellait, découvrant le visage qu’elle avait vue baignée de victoire il y a sept jours de cela. Interloquée, elle resta plantée au milieu de la rue, immobile pendant qu’il se rapprochait.

“J’voudrais causer un coup. Ça te dérange de marcher avec moi un moment ?”

Bien vite elle se rasserena, ses traits tirés soudainement apaisés, son ventre libéré du poids qu’elle avait fini par accepter. Sa patience avait été récompensée et quel que soit le prix, elle était soulagée. Reposant son sac sur son épaule de façon plus confortable dnas un mouvement nerveux elle pointant la direction qu’elle s’apprêtait à emprunter.

“Je vais par là. Ça va ?”

Comme ça ne semblait pas poser de problème, elle acquiesça, commençant à marcher tranquillement à son rythme. Elle ne savait pas pourquoi il était revenue vers elle, mais cela ne devait pas l'empêcher de rendre les politesses comme il se devait.

“Jacopo, c’est ça ton nom ? On me l’a dit à la salle.”

La peur d’avoir écorché son prénom la menaçait, mais elle essayait de ne pas trop s’en appesantir.

“Désolé pour la dernière fois. J’ai cassé tes… elle chercha le mot quelques instants, lunettes. J’ai pas l’ha… l’habitude de ces règles. Ça va ta tête ?”

14/08/2021

Le vénitien grimaça.

Cela faisait une semaine, mais il fallait croire que revoir son visage suffisait encore à le crisper. Il ne savait pas trop quoi penser d’elle, mais les cheveux roux continuaient de le caresser dans le mauvais sens du poil. Son Italien restait aussi moyen que dans ses souvenirs, même si elle semblait un peu plus à l’aise avec. Et puis surtout, c’était le même visage qui lui avait ouvert le crâne lors de leur match - et elle ne manqua pas de le lui rappeler.

“Oublie les lunettes, j’en garde plusieurs à cause de ce genre d’incident.”

Jacopo ignora l’interrogation au sujet de sa tête. Un silence suffisait à suggérer qu’il n’avait rien, que ça n’était rien, qu’elle avait causé plus de peur que de mal, que le sujet ne méritait pas plus d’attention. C’était le genre de questions que l’homme évitait par habitude, y répondre amenait généralement plus de questions que de réponses. Il était plus solide que la moyenne, il préférait s’arrêter à ça.

Un silence s’installa alors que le duo procédait à travers les rues. Le blond suivait la rousse quelques pas derrière elle, le regard porté vers le ciel pour éviter d’avoir à la regarder - préférant admirer le vent porter la fumée de sa cigarette que la tignasse irritante. * Le plan était d’abord de parler de notre match, mais en fait le sujet m’énerve. Tant pis, autant rentrer dans le sujet directement. *

“On devrait se faire un second match.”

Le barman grinça des dents ; ça n’était pas du tout le sujet qu’il avait prévu d’aborder - mais son instinct et ses désirs avaient souvent autorité sur ses actions. Il savait pertinemment qu’il risquait à nouveau de perdre le contrôle s'il affrontait Trisha. Mais il désirait revivre cette adrénaline, affronter sa technique, admirer son endurance, et tirer parti de ça pour affirmer son contrôle de soi. Au fond de lui, il se savait incapable de se refuser ce second match.

“Mais avant ça… je voudrais savoir ce qui t'amène à Venise, Trizia.”

Baissant finalement les yeux pour toiser son interlocutrice, Jacopo exhala un nuage de fumée comme pour faire écran entre eux deux. Le ton de sa voix était soudainement devenu sec. Là était la vraie raison qui avait amené l’Ogre de Venise à se forcer de revoir Trisha - la seule personne qui lui avait fait ressentir la peur de la mort par un simple regard.

* Toujours impossible de décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Elle allait me tuer, c’est ce que ████ me criait. Je n’ai aucune idée de ce que ça pouvait être, mais mon instinct me dit qu’elle n’apporte que des mauvaises nouvelles. C’est quoi ? Une assassine envoyée par un pays ennemi ? Je dois être en train de me faire des histoires, mais je ne peux pas supporter ce mauvais pressentiment. *

Il était impossible pour l’ogre de comprendre la répulsion instinctive qu’il ressentait envers une exécutrice de l’Église. Durant leur match, elle avait simplement déclenché un instinct de survie en lui, quelque chose qu’il était incapable de comprendre. Tout ce dont il était certain, était que la rousse était bien plus dangereuse que les apparences suggéraient - au-delà de ce qu’elle avait déjà démontré sur le ring. Venise était déjà assez mouvementée en temps normal - alors si des individus risquaient de perturber sa ville, Jacopo préférait se tenir prêt à intervenir.

15/08/2021

La situation n’était pas des plus agréables. Ni pour la rousse, ni pour le blond. Elle était muette, le cœur serré par des émotions qu’elle n’était pas censé ressentir et que sa morale tentait d’étouffer de tout son possible. Lui était agacé, par le comportement de la jeune femme, ses mots, leur précédente interraction ou simplement par nature. L’atmosphère n’était était sirupeuse, dense, elle s’était mise en route en l’invitant à le suivre, lui avait trois pas de retard pour bien marquer le monde qui les séparait. Tout ça, Trisha n’était pas capable de le comprendre, du moins pas dans son intégralité.

Elle sentait bien la frustration de son interlocuteur et toute la félicité qu’elle avait pu ressentir était désormais un linceul de honte. Elle s’était réjouie d’’évènement qui étaient pour lui étaient semblable à la matière des souvenirs que l’on souhaite oublier. La honte était comme un poids qui voulait l’enchainer aux profondeurs de la Sérénissime et elle s’était plongée dans un profond mutisme, le regard baissé, incertaine de comment réagir à la situation.

Devait-elle s’excuser ? Devait-elle attendre une sentence ? Devait-elle payer sa peine sans attendre ? Mais dans ce cas là, que faire pour laver ses fautes ?

“On devrait se faire un second match.”

Trisha s’arrêta, pleine de surprise, et toujours couverte de honte chercha une réponse à ses questions en direction de Jacopo. Ses mots étaient concis et sans équivoque, sa volonté porté par un sens unique qu’il n’était pas possible de mésinterpréter. Il souhaitait mesurer une nouvelle fois sa force face à elle, il était réapparu après une semaine de silence lancinant dans le seul but de lui demander cela.

Il n’était pas possible de décrire le sentiment qui envahissait le cœur de Trisha après ce terrible moment de doute. Était-ce de la joie ? Une fierté étouffante ? De la gratitude envers cet humain qui trouvait en elle la joie qu’elle avait trouvé en lui ? Envers Dieu pour lui accorder cette rencontre providentielle ? Un plaisir débordant en anticipation de cette revanche emplie d’adrénaline ?

Elle se trouvait là, au milieu d’une rue de Venise, face à la réalisation qu’un humain voyait sans faux semblant de la valeur en sa nature. Lui même si exceptionnel qu’il pouvait tenir face à une exécutrice de la Sainte Église avait jeté son dévolu sur elle, simple chien de berger. Et comme un chien face à un maître aimant, elle ne pouvait qu’être comblée.

“Mais avant ça… je voudrais savoir ce qui t’amène à Venise, Trizia.”

Instant de silence.

Quelques tremblements parcourant le bout des doigts de la rousse qui sentait son bonheur lui échapper des doigts aussi soudainement qu’il s’était révelé. Jamais elle ne pourrait trahir sa Mission et jamais elle n’accepterait d’en parler à un agneau du troupeau. C’était pour lui qu’elle se battait chaque nuit et il n’avait pas à porter les péchés de son existence ou la vérité de la corruption qui rôde dans les ombres. Mais il était un humain, pur et grand, elle n’accepterait pas non plus de lui mentir car seules les êtres de la nuit et ses pairs avaient le droit à sa perfidie.

Elle ne pouvait qu'espérer que la vérité silencieuse parviendrait à le satisfaire.

“Je… Je suis désolé. Je ne peux pas… non, je ne peux pas répondre à cette question.”

La tête bien basse, son seul œil céruléen planté vers le sol, elle s’inclinait en signe d’un respect coupable. Non pas coupable qui venait d’être prononcé, mais de ceux qui s’apprêtaient à l’être.

“Mais je veux faire ce second match. Rien ne me rendrait plus heureuse.”

Ce jour même, le lendemain, la semaine suivante, la simple possibilité d’avoir le droit à un nouvel affrontement contre Jacopo la comblait, mais elle n’avait malheureusement pas de réponse à lui apporter. Un honnêteté incomplète qui n’avait pourtant rien de trompeur, une supplique à la clémence de Jacopo.

14/08/2021

Un écran de fumée les séparait. Visibles l’un de l’autre, ils restaient flous - des silhouettes. Jacopo expira un nouveau nuage de fumée, camouflant les odeurs. Trisha refusa de lui répondre, s’abstenant de révéler ses couleurs. Mais malgré cette barricade, ils étaient capables de se reconnaître ; de s’identifier. De la même manière que le vénitien n’avait pas pu se retenir de demander un nouveau match, l’étrangère ne pouvait s’empêcher de l’accepter - même après que Jacopo ait manifesté ses soupçons.

Ça n’était pas ce qu’il souhaitait entendre, mais le grand blond ne put s'empêcher de sourire. Trisha était étrange, inquiétante, dangereuse, capable de le ███. Elle n’était pas faible, capable de se relever, capable de le ███ - inestimable. * Dommage que son faciès m’énerve… *

* Tch. Donc je dois assumer que t’es vraiment une mauvaise nouvelle pour Venise. *

Jusqu’à preuve du contraire, l’Italien allait assumer le pire. Ça n’était pas la première fois que la salle de sport qu’ils fréquentaient avait accueilli des fauteurs de troubles, et Trisha cochait toutes les cases. Elle pouvait être une sorte de détective privée, ou un mercenaire, venu ici pour une mission de longue durée. Personne ne se rendait compte de rien, mais il arrivait souvent un “accident” quelque part avant qu’ils ne disparaissent de la ville.

* Et par deux fois, je me suis retrouvé à la station pour interrogation. Et j’ai failli me retrouver enfermé la première fois, sans aucune preuve ! C’est toujours comme ça dès qu’il y a un problème sans véritable suspect ici… *

L’Ogre de Venise était une source régulière de problèmes dans la ville. Et plus l'événement était inhabituel, plus étaient ses chances de se faire interroger - habituellement à raison. Mais il était las des accusations sans fondement ; c’était déjà assez difficile pour lui de vivre une vie ordinaire comme ça, il préférait désamorcer les autres ennuis quand il le pouvait. Si il l’effrayait assez, peut-être qu’elle décamperait ?

“Tant pis. J'essaierai de passer plus souvent à la salle du coup, j’arrangerai pour qu’on se fasse une revanche.” Raté pour l’intimidation.

Jacopo emboîta le pas à Trisha, il l’avait assez vue, il n’avait plus rien à dire - ou plutôt il était incapable de le dire. Peu importe ses frustrations, il ne pouvait relâcher cet adversaire Ultra Rare. Peut-être… peut-être après le prochain match. Peut-être serait-il satisfait ensuite. Mais qui serait capable de se relever si elle partait ?

"Évite juste de faire des conneries dans le coin, ok ? T’es p't'être douée, mais à la fin c’est toujours les vénitiens qui trinquent. Les étrangers passent leur temps à foutre la merde ici, et tu pues bien plus que ça.”

L’Italien se gratta le crâne. Il racontait n’importe quoi. Trisha puait la ████ humaine autant que n’importe quelle personne, mais elle l’effrayait. À chaque fois qu’il se rappelait d’elle, psalmodiant dans sa barbe sur le ring, il ressentait des sueurs froides - inestimable.

“Désolé, j’ai juste eu un mauvais présage.” Le blond écrasa la fin de son mégot sur un mur. “Rien de grave donc, on se revoit demain si t’es là.” Annonça-t-il avant de changer de route. Il n’avait peut-être rien appris des questions qu’il voulait poser. Il voyait toujours Trisha comme une silhouette embrumée. Mais en lui faisant face à nouveau, il s’était rendu à l’évidence : les craintes et la peur qu’il ressentait n’étaient rien face à ce qu’il avait vécu sur le ring la semaine dernière.

Son prédateur naturel se montrait miséricordieux. Il devait en profiter pour apprendre à lui survivre. Apprendre à la ███.

15/08/2021

“Tant pis. J’essaierai de passer plus souvent à la salle du coup, j’arrangerai pour qu’on se fasse une revanche.”

Les yeux toujours pointés vers le sol, c’est un soupir de soulagement qui traversait discrètement ses lèvres. Un poids gigantesque venait de quitter ses épaules et son souffle semblait si léger pour seulement quelques mots. Il ne l’avait peut être pas pardonné, il ne la considérait peut être pas avec bienveillance, il n’était peut être pas satisfait de son mutisme secret qui l'empêchait d’aller au bout des choses et de s’assurer du bien fondée de la présence de celle qui était un danger pour les âmes moins dotés qu’eux. Mais il l’avait accepté. Toléré. Elle avait eut le droit à la justesse de sa mansuétude et la douceur de son jugement. La place qu’elle désirait si ardemment malgré les interdits de son existence, ce face à face avec l’un des rares humains capable de l’éveiller, lui était accordé.

"Évite juste de faire des conneries dans le coin, ok ? T’es p’t’être douée, mais à la fin c’est toujours les vénitiens qui trinquent. Les étrangers passent leur temps à foutre la merde ici, et tu pues bien plus que ça.”

Il avait raison. Elle n’était pas porteuse de bonnes augures tout autant que sa Mission était de protéger l’humanité, sa présence ne présageait que de la présence d’un mal plus grand. Venise était sur le point de connaître une période de terreur et elle le savait. Son père était un homme sage, il savait que quelque chose se passait s’il l’avait poussé à rejoindre cet endroit et il remettait entre les mains de sa fille la responsabilité de mener à bien la Mission. Mais tant que cela ne serait pas fait, elle resterait le symbole du mal qui ronge les eaux de la Sérénissime. Lui qui acceptait de lui offrir son temps et son corps pour ces échanges sauvages et violents sur le ring méritait qu’elle redouble d'efforts pour protéger les habitants de cette ville.

Une nouvelle rencontre, un nouveau signe du Seigneur pour lui rappeler à quel point les agneaux de son troupeau son précieux.

“Désolé, j’ai juste un mauvais présage. Rien de grave donc, on se revoit demain si t’es là.”

Trisha se redresse pour faire face au dos de Jacopo en train de tracer sa propre route.

“Je serai là.”

Trisha n’est pas une humaine, sa parole n’a pas le même poids que celle, pure, des enfants du Seigneur. Mais pendant un instant, pour trois mots seulement et sans qu’elle ne s’en rende compte sa voix était celle d’une humaine. Pleine d’espoir et d’émotion, légèrement nouée par la peine de voir une lumière si brillante s’éloigner pour la laisser de nouveau dans les ombres, plus claire qu’à son habitude et plus chaude aussi. La voix d’une jeune femme qui s’échappe miraculeusement de sa prison de chaire et de sang pour effleurer du doigt l’idée d’avoir trouvé quelqu’un qui trouve à sa vie une valeur qu’elle même porte dans son coeur.

Je sais que ce sont des mots qui ont été répétés et répétés mais comprenez bien qu’une fois Jacopo disparue les ombres étaient de retour, la prison se refermait bruyamment et pourtant sa voix restait muette. A vrai dire Trisha n’avait pas compris qu’elle avait eu l’occasion de changer, que le destin lui avait ouvert une porte et qu’elle l’avait laissé se refermer. Elle ne se posait pas la question. Elle était juste heureuse d’avoir été regardée, droit dans les yeux par l’un de ces “humains” qu’elle idolatrait.

Peut-être un jour se rend-elle compte qu’elle n’était pas si différente d’eux et que lui, malgré un héritage qu’il n’avait pas demandé, non plus. En attendant, elle tournait de nouveau les talons, en direction de cet appartement miteux qui lui servait de tour d’ivoire, prête à saigner cette nuit pour les habitants de Venise, pleine d’un sentiment béat que demain serait l’occasion de vivre de nouveau cette liberté qu’elle avait sentie sous la lumière jaunie des néons de la salle de sport.

We made plans
and god laughed

Contexte

Changement de design et reprise

Fight Club [Trisha] | Flashback

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