La nuit était paisible, comme le linceul noir que l’on posait sur le visage des morts pour leur repos éternel. Les traits se fondent dans les couleurs unies et le silence règne après le dernier soupir. L’âme et l’esprit ne sont plus là, il ne reste que la foi et l’espoir. L’espoir qu’ils soient partis vers un monde meilleur.

Douce ignorance.

Trop souvent le linceul s’envole et révèle des traits déformés par la haine. Nos morts n’ont plus rien d'humain. Nos morts se relèvent. La paix de la nuit devient le havre des créatures du mal. Les ombres échappent à la lumière et le mal s'immisce dans les demeures. Un monde de corruption, soumis aux Apôtres de la Mort.

Silence bourdonnant.

Face aux ombres se dressent le dernier rempart de l’humanité, la Sainte Eglise et ses soldats, menant une Mission éternelle au nom du Seigneur. Cette nuit les rues de Venise avait été témoin de l’affrontement valeureux de l’un de ces guerriers contre l’un des nombreux suppôts du mal. C’était un membre de la paroisse de Venise, un jeune homme qui avait grandi pour défendre sa ville, ses racines et ses habitants. L’affrontement avait été court, comme souvent la victoire ou la défaite étaient décidées l’espace d’un instant.

Défaite.

Une nouvelle vie sacrifiée sur l’autel de la Mission. Une nouvelle parmi tant d’autres, il en était ainsi. Personne n’avait vu l’affrontement. Personne ne saurait conter sa vaillance. Personne ne saurait pleurer la perte d’une âme si jeune. Voilà ce qui se passait lorsqu’un Humain rejoignait la Mission. Trisha le savait. Elle ne pouvait rien y faire. Elle ne souhaitait pas s’opposer à la vaillance de si grandes âmes. Elle ne pouvait que porter le poids de leurs échecs et la culpabilité de sa propre impuissance.

Elle n’avait pas vu la scène, elle ne la découvrait que maintenant. Le corps au sol se fondait dans la pénombre mais son accoutrement trahissait sans mal son rôle dans la Mission. Immobile, inerte aux pieds de son agresseur fumant une cigarette, incapable de comprendre la gravité de ses actes de son coeur creux. Son attitude désinvolte changerait bientôt lorsqu’il apercevrait un oeil d’un bleu azuré brillant dans la pénombre.

“...prête l’oreille… -roles,”

De la silhouette qui s’approchait dans l’ombre de la ruelle s’échappaient des marmonnements encore incompréhensibles. Son apparence n’avait rien à voir avec le valeureux guerrier, son corps fin était couverts de vêtements bas de gamme, usés, salis par la vie sur cette terre imparfaite. Son visage dur était dominé par une expression à la fois accusatrice et froide, figé dans un effort de ne laissait transparaître le contenu de son cœur débordant d’une ire incandescente.

“terre… -clarations.”

Son unique œil visible était plongé droit sur sa cible de cette nuit. Dans des mouvements erratiques, irréguliers, son corps se mouvait à travers la ruelle. Doucement la machine se mettait en marche. La douleur déchirait ses sens, elle ne pouvait l’ignorer, son crâne entier était en feu, traversé d’un million d'aiguilles face au Mal qui rodait cette nuit dans Venise. Elle s’interdisait pourtant d’ôter le cache œil qui effaçait la moitié de son champ de vision et sa perception de la profondeur. Tant qu’elle n’avait pas la certitude que ce suppôt de la nuit était un danger absolu, elle ne se permettrait pas de mettre la ville cité des Hommes à feu et à sang, quoi que cela lui coûte.

“Mes instructions ruissellent... pluie bienfaisante... mes enseignements... comme la rosée...”

Que le Seigneur devait être triste de voir son jardin ainsi souillé. Qu’il ne soit point peiné, son troupeau restait bien protégé. Passant la main à sa pochette pendant à sa ceinture, Trisha tira la garde d’une clef noire qui s’étira sans mal dans une lumière argentée qui illumina légèrement le visage de l'exécutrice. Une nouvelle nuit et toujours la Mission continuait.

Mystic Code préparés:

L’assaut du malin était superficiel. Simpliste. Pitoyable. A l’image de ces créatures qui profitent de la nuit pour s’en prendre aux impuissants innocents. S’il pensait que sa feinte infantile parviendrait à atteindre l’arme de l’Eglise il se trompait gravement. Ses mouvements étaient lents, bien plus que les Apôtres qu’elle avait l’habitude de chasser, et s’il semblait assuré dans son approche bientôt son égo s’effondrerait face à l’imminence de sa destruction.

“Le Seigneur est un rocher protecteur.”

D’un mouvement de main la Clef Noire trancha l’air de son fil surnaturel et sur son chemin, la veste de cuir qui volait diligemment dans sa direction. L’unique œil de l'exécutrice suivait les mouvements de son adversaire. S’il avait voilé son torse, ses pieds trahissaient toujours sa position. Le voir si proche d’elle la répugnait.

Son offensive dissimulée dans les ombres se précipita vers le genou de l'exécutrice qui, emportée par son mouvement initial, pivota sur la jambe sur le point d’être percutée. Son autre jambe s’éleva en l’air dans un mouvement fulgurant.

“Il agit de manière parfaite, toutes ses décisions sont légitimes;”

Le coup en croissant de Trisha percuta le bras de son adversaire avant que celui-ci n'ait le temps de terminer son attaque. Un simple coup de pied, vierge de tout renforcement surnaturel, qui le repoussa sur quelques dizaines de centimètres. Il avait réussi à lever sa garde et à maintenir son équilibre au dernier moment. Plus habile que sa faiblesse apparente ne laissait penser.

“Toujours fidèle, jamais injuste, il est plein de droiture et de vérité.”

Trisha bondit immédiatement après l’impact. Pas de temps à perdre. Pas de répit à offrir aux impis. La Clef Noire fendit de nouveau l’air à l’endroit ou se trouvait sa cible qui bondit sur le côté pour esquiver. La pierre, les murs, le sol, le sol de la ville Venise laissa passer l’arme sacrée comme du beurre face à un couteau chauffé à blanc.

Les arcs de morts s’enchainèrent face à son adversaire désarmé. Elle ne comptait pas laisser le temps à la vermine de trouver le temps de s’échapper ou de déployer ses véritables capacités. Il semblait cacher quelque chose dans son bras, se contentant d’esquiver les coups avec des mouvements fluides qui compensaient sa lenteur. La fuite était donc tout ce qu’il connaissait ?

“Mais vous, peuple mauvais et déraisonnable,”

La Clef noire quitta sa main, fusant vers la cuisse de sa victime. L’arme de l’église n’avait jamais été le véritable danger, seulement une distraction, un outil afin de couper les ailes de la poule avant de mieux l’égorger.

“Vous avez offensé le Seigneur… Vous n’êtes plus ses enfants.”

Dans un éclair, le corps spirituel de Trisha s’illumina de son cœur jusqu’à son poing, luisant d’une rassurante lumière pâle. Son corps fragile, renforcé par sa ferveur, se changeant en acier, elle n’avait plus un bras, mais bien une épée vengeresse capable de transpercer le Mal. Le coup était direct, inéluctable. L’espace d’un instant le bras de la vermine hésita à s’interposer. Revenu sur sa décision il percuta d’un revers de main la Clef Noire qui éclata en fragments lumineux, libérant son angle mort et permettant au rat de prendre la fuite.

Impact.

Le poing de Trisha manqua sa cible, terminant son cheminement dans le vide. Le souffle, l’aspiration provoquée par le coup avait été suffisante pour déséquilibrer le fuyard alors qu’il prenait ses distances. Quelle disgrâce. Si elle l’avait touché sa main aurait traversé sa poitrine et sa souffrance aurait pris fin. Une conclusion qui lui aurait offert un semblant de rédemption en mourant des mains d’un envoyé divin.

Échec.

Malheureusement ce n’avait pas été le cas. Peu importait. La Mission continuait.

Dépense de Mana:

La Clef Noire avait volé en éclat. Le poing avait raté sa cible. Son bras droit cachait bel et bien un secret, un secret capable de contrecarrer l’énergie sacrée de l’armement de l’église. Le doute insidieux tentait de perturber Trisha, en vain. Voit l’impuissance de vos défenses face à notre puissance, disait-il, voit l’insignifiance de vos tentatives de retarder l’inévitable. Des siècles passés à se terrer dans les ombres, loin de la menace de la punition divine avait gavé l’orgueil de ces êtres pitoyables.

“Vraiment ? C’est tout ?”

Quelle impudence.

“Peuple abruti, peuple insensé, peut-on se conduire ainsi envers lui ?”

Le vers traversa les dents serrées de Trisha avec difficulté alors qu’elle bondissait de nouveau à l’attaque. La main gauche glissant pour aller chercher une nouvelle clef noire. Ce bras semblait être la seule menace, peut-être se sentait-il en sécurité derrière, telle une forteresse impénétrable, mais il ne se doutait pas de la folie insensée de l’homme et des armes qu’il crée pour se défendre.

Sa stratégie était d’une simplicité telle qu’elle en était insultante. Se débarrasser de lui ne serait qu’une question de temps. Un temps précieux perdu pour une vermine, mais si c’était là le seul sacrifice que l'exécutrice devait faire ce soir pour venger la vie tombée plus tôt, c’était un bien maigre prix.

“N’est-il pas votre père, votre créateur, celui qui a fait de vous son peuple ?”

La lame tranchante comme le souffle même de la mort dessina une ligne en direction de la jambe gauche de l’être. Elle ne toucha pas sa cible mais força le fuyard à faire ce qu’il savait faire de mieux, laissant derrière elle une empreinte propre dans la pierre. La clef noir fusa de nouveau, et encore une fois, et encore, dans un flot continu et ininterrompu se déversant uniquement vers cette jambe, menaçant de rompre l’équilibre et la mobilité du fuyard à tout instant.

Ininterrompu oui, peut-être aurait-il pu la briser de nouveau d’un simple revers de main et pourtant il en était incapable en cet instant. Forcé dans une posture défensive, les mètres défilant dans ses manœuvres d’esquives successives. La plus grande différence qui sépare un combattant armé d’un combattant à main nue était la portée de son allonge. La seconde la gravité des blessures qu’il était capable d’infliger.

Si la clef noire trouvait le chemin de sa chair, il pouvait dire adieu à sa vie. Mais pour se débarrasser de cette menace il devait risquer d’être cueilli tel un fruit mûr par l’exécutrice de la Sainte Eglise. En visant le membre opposé à la seule menace de son arme elle s’assurait une ouverture béante dans la garde de sa proie s’il essayait de détruire de nouveau cette arme sacrée et pendant ce temps les coupures commençaient à apparaître sur sa peau alors que la lame bénie trouvait le chemin de sa chaire putride.

“Yechouroun, bien repu, s’est révolté;”

Dans un mouvement précipité le fuyard prit d’assaut la clef noire, enfin la frustration de se trouver acculé le poussait à l’erreur. L’arme sacrée échappa des mains de l'exécutrice avant d’éclater mystérieusement au contact du bras. Trop tard. Le pied de Trisha s’était déjà lourdement planté sur le sien pour le tenir en place et son coude vint percuter le menton de sa victime dans un choc terrible. Rapidement suivi d’un coup de genou au creux du plexus solaire qui l’envoya rouler sur le sol.

“Devenu gras et bouffi, il a délaissé Dieu, son créateur, il a déshonoré son protecteur et sauveur.”

Elle n’avait pas eu recours à la pleine puissance de ses sacrements, s’assurant simplement  que les blessures de la créature de la nuit ne guérissent pas. Le combat serait bientôt fini et après celui-ci, un autre viendrait. La Mission continuait.

Dépense de Mana:

Spoiler:

Quelques grains dans le sablier. Quelques secondes de battement. Le fuyard était de nouveau debout. L’impact n’avait pas été suffisant pour l’achever mais la décision avait été calculée. Trisha n’avait pas pris le risque de voir un nouvel assaut nullifier. Contrairement aux apôtres de la mort, elle était une lame capable de s’émousser, de s’édenter par le temps et l’effort. Bien que ses coups soient capables de laisser une trace douloureuse sur l’enveloppe des vampires, ils n’étaient pas soumis aux mêmes limites qu’elle.

Elle le savait. Cela leur donnait une chance de survivre une nuit de plus.

Il était blessé, capable de réagir avec froideur à la douleur, comme habitué à cette sensation. Bien peu nombreux étaient les êtres de la nuit capable de comprendre ce ressenti nouveau pour eux. Les informations devaient se bousculer dans son esprit, la réalisation que le corps de son adversaire était sanctifié, la menace du moindre coup, la dangerosité de celui qu’il s’était donné la peine d’esquiver. L'éventualité de la mort.

“有難う”

Trisha ne s’était pas lancée à sa poursuite, elle n’avait pas maintenu l’assaut. Une décision loin d’être motivée par le respect des blessés mais plutôt par la prudence face aux effusions de pouvoir et de violence de ces créatures une fois dos au mur. Alors qu’il se mettait de nouveau en garde, d’un calme surprenant mais annonçant qu’elle avait bien fait de retenir son initiative, elle fit de même sans pour autant tirer de Clef Noire supplémentaire. Elle en avait déjà dépensé deux, pas la peine d’en user de nouvelles pour un adversaire blessé.

“...Dieu, son créateur, il a déshonoré son protecteur et sauveur.”

Les murmures de Trisha se crispèrent lorsqu’il s’élança dans son assaut. Quelle idiotie, il aurait mieux fait d’abandonner sa vie ou de fuir. Il était blessé, surpassé en force, vitesse, il ne méritait même pas son attention. Qu’il tente de s’affubler d’un concept aussi humain que l'honneur ou la détermination était une insulte au troupeau du Seigneur. Son crâne palpitait de douleur à cette pensée alors que poser son regard sur la vermine devenait de plus en plus difficile.

“... excitaient la colè---”

Douce ironie que le péché d’orgueil pour celle qui n’était qu’une arme. Trop confiante dans le tranchant de son fil elle s’était laissée surprendre par les mouvements de son adversaire. Son être tout entier semblait avoir gagné en qualité sans qu’elle n’en voit la cause. En l’espace de quelques instants la voilà déséquilibrée en train de s’écraser vers le sol pavé de Venise. L'imminence de l’impact n’était pas suffisante pour détourner l'exécutrice de sa mission et déjà ses poings fusaient avec véhémence.

Une fois, deux fois elle heurta ses côtes avant de percuter la pierre.

La douleur parcourait son corps, ce n’était pas qu’une simple chute, la projection avait été aussi violente que soudaine et elle n’avait rien fait pour amoindrir les dégâts. Les dents serrées, elle se débattait contre son adversaire qui parvint tout de même à s’installer en califourchon sur ses jambes, bloquant la moitié inférieure de son corps.

La réussite de sa manœuvre ne lui accorda pourtant pas de temps de repos. Le souffle saccadé, les muscles endoloris, Trisha se débattait comme un diable : elle s’agitait, secouait son agresseur pour se libérer de son emprise, décrochait des coups dans un torrent chaotique ininterrompu. Elle s’épuisait bien plus vite que le malin mais les blessures qu’il avait subi devaient déchirer ses entrailles face à tant de violence.

“Par des pratiques abominables...“

Il n’était pourtant plus uniquement sur la défensive, parvenant à plusieurs reprises à trouver l’opportunité de frapper. Lèvre, épaule, flanc. Trisha n’était pas en reste. Estomac, cuisse, menton. Ce dernier coup arracha un rictus douloureux à son adversaire déjà blessé qui redoubla d’effort sur sa contre-attaque.

“Ils offraient… des sacrifices… à des…”

Joue. Elle manqua de se mordre à sang.

“... qui n’étaient… même pas… des dieux…”

Abdomen. L’air cessa un instant d’envahir ses poumons.

“...qu’ils… qu’il n’avaient… jamais--”

Oeil gauche. Plein angle mort.

Dans ce chaos de corps et de coups, il est bien dur de garder en place des choses aussi mineurs que les accessoires et petit à petit le cache oeil de l'exécutrice s’était dénoué dans la mêlée. Un dernier coups et il s’apprêtait à choir sur la pierre rejoindre les éclats de sang qui tapissait le sol. Soudainement, le monde devint plus clair, il gagna en profondeur, en largeur. La scène semblait bien plus évidente à celle qui se débattait sans faillir. Elle ne s’était pas rendu compte que le mal était déjà fait.

Ensuite seulement vint la douleur et la lumière.

Ses prunelles azurée s’illuminèrent vivement alors que par deux fois elles se posaient sur le mal à punir. Cet être hantait les nuits des honêtes agneaux du troupeau, il s’en était pris à l’un des soldats du Seigneur, le jugement qui l’attendait était irrévocable.

Pour celle qui portait sur ses épaules le poids de la sentence, ce n’était qu’un petit sacrifice pour purifier un peu plus le jardin du Seigneur. Pourtant en sentant ses yeux brûler des flammes des enfers qui attendaient cette pauvre âme corrompue elle ne put s'empêcher d’hésiter. Tout allait trop vite et quelques dixièmes de secondes après que le jugement ne commence, elle ferma les yeux.

Mais les flammes étaient là.

Dans un mouvement de recul instinctif elle sentit son agresseur bondir en arrière alors que la chaleur dévorante et l’odeur de souffre avaient envahit l’air. Il se débattait contre les flammes qui devait dévorer sa chaire ou ses possessions. Elles avaient eut le temps de prendre racine, bien que peu profondément, s’il parvenait à éviter le jugement qui l’attendait il serait déjà chanceux.

La respiration vive et irrégulière de l'exécutrice se calmait difficilement. Elle tentait tant bien que mal de reprendre son souffle tout en cherchant, une main sur l’oeil, le cache oeil qui lui éviterait de mettre la ville à feu et à sang pendant la chasse. Ses doigts engourdis enfin refermés sur la lanière de cuir, elle commença à se redresser, ignorant la douleur. Des blessures superficielles. Rien de plus que de la fatigue qui pesait sur un corps habitué à la lutte.

“Oui… tu oublies ton protecteur. Celui qui t’as mis au monde, tu négliges le Dieu qui t’a donné la vie…”

Dépense de Mana:

Il est commun de trouver des depictions de la justice comme une femme aux deux yeux bandés… La justice est aveugle disait le proverbe. Triste ironie, vraiment, que de constater que même les deux yeux grands ouverts l’on pouvait être bien plus aveugle aux péchés qu’avec les yeux fermés. Le cache œil de cuir était de retour sur son visage, son champ de vision divisé, la profondeur disparue et pourtant la voilà qui était bien moins aveuglée par la douleur de poser les yeux sur celui qu’elle considérait comme de la vermine.

“Lorsque le Seigneur a vu comment ses enfants se moquaient de lui… il a été rempli de mépris.”

C’en était trop. Cette mascarade avait duré bien trop longtemps. Elle avait accordé trop de crédit à cet adversaire. Elle n’aurait pas dû. Elle aurait dû l'exécuter lorsqu’il était au sol. Elle n’aurait jamais dû lui laisser reprendre son souffle. Sa main aurait dû se saisir de son cœur il y a bien des minutes. Le voilà qui jouait prestidigitateur, s’armant des flammes du Seigneur grâce au tissu qui se trouvait consommé à chaque seconde qui s’écoulait.

D’ici quelques minutes son bras serait réduit à l’état de charbon, croire que l’immortalité impie de la nuit le protégerait n’était qu’une sombre idiotie de plus à ajouter à son palmarès.

“Ni victoire ni défaites. Mille fois milles victoires.”

Le voilà qui s’arrogeait une nouvelle fois la détermination des humains. La langue de l'exécutrice claqua contre ses dents alors qu’elle se mettait de nouveau en garde, bien consciente que l’assaut serait imminent. Le prochain échange serait le dernier. Les deux adversaires le savaient. Trisha attendait, immobile, son corps entier tendu comme une corde d’arbalète, prête à relâcher un carreau mortel.

Son adversaire ne fuirait pas ? Il continuerait à attaquer malgré sa faiblesse ? Elle se ferait un plaisir de lui apprendre la force de cœur et de corps des serviteurs de la Sainte Eglise.

“Alors il a déclaré…”

Le mouvement s’enclencha comme une goutte d’eau prête à se perdre dans l’océan. Les secondes fatidiques qui la séparaient de sa fin inéluctable s’écoulaient dans une lenteur insupportable. La garde haute de l'exécutrice était prête à encaisser n’importe quel assaut, mais ce n’est pas le coup qui vint la cueillir en plein cœur, c’est la surprise. Le corps de son adversaire chutait, comme une marionnette dont on venait de couper les fils, s’écroulant devant elle.

La surprise fut bien vite remplacée par des sens d’autant plus aiguisés. N’était-ce qu’une projection depuis le début ? Un simple aperçu de la véritable menace ? Les secondes ne défilaient que par dixièmes mais déjà son attention s’était perdue dans le décor qui les entourait. Grossière erreur.

L’impact au creux de son plexus lui coupa la respiration, son corps voulait reculer sous le coup, chuter sous l’inertie, mais la fuite n’était plus possible, la voilà qui était prisonnière de sa poigne déterminée. Son corps prêt à rugir de toute sa colère ne pouvait pas être assez rapide. Elle n’était qu’une mortelle, la machine était déjà en route.
Le coup est d’une violence rare, raffiné à travers une technique venue de terres lointaines. Le temps s’arrête alors que le poing s’enfonce dans sa maigre chair. Rien ne se déchire, rien ne verse le sang, mais les dégâts se répandent à travers son corps et avec eux vient la douleur.

Ses pieds quittent quelques instants le sol. Un hoquet ensanglanté quitte ses lèvres. Les doigts sont toujours serrés sur ses vêtements. La chaleur de ses propres flammes est presque rassurante.

Un coup merveilleux, qui aurait pu venir à bout de nombreux chasseurs de l’église. Malheureusement pour celui qui lui faisait face, elle n’était pas une chasseuse, simplement une arme. Qu’elle soit émoussée, ébréchée ou même brisée, une arme restait une arme, capable d’abattre ses ennemis.

Dans un mouvement lent alors que sa silhouette semble presque désarticulée son bras se lève bien au-dessus de leurs visages.

“Je vais cesser de les protéger et je verrai bien ce qui leur arrivera.”

Le poing fermé s’abattit telle une véritable guillotine sur la silhouette affaiblie du combattant, percutant sa clavicule dans un bruit ignoble avant de déformer la chaire autour. Si ce bras était son arme alors elle lui retirerait. Alors que la douleur l'envahissait, il n'aurait pas le temps de pleurer sa défaite car de l’autre côté le coude de l'exécutrice s’écrasa sur sa tempe.

Le sang coulait doucement de son crâne blessé.

Il avait perdu connaissance avant de toucher le sol.

Il n’avait pas lâché sa prise.

D’un revers de la main elle se débarrassa de sa poigne, laissant son corps s’écraser lourdement sur le sol. Sans perdre une seconde elle vint le saisir à la gorge, levant le poing, prête à fracasser son crâne, à purifier un peu plus le jardin du Seigneur.

“Oui, ma colère s’est enflam---”

Son poing brillant par l’activité de ses circuits magique cessa brutalement d’être renforcé par les miracles de l'Église. Le regard hagard, Trisha se rendit compte de l’étendue de son erreur. Sous ses doigts, la vie de cet individu coulait dans ses veines, elle pouvait le sentir. La vérité la rattrapait alors qu’elle vérifiait par des moyens de fortune cette réalité qu’elle avait décidé d’ignorer malgré tous les signes durant le combat.

Ce soir, son adversaire n’avait été qu’un humain.

Tout s’expliquait soudainement. Son comportement, sa faiblesse, sa force. Précipitamment elle débarrassa son bras du vêtement toujours en train de brûler et plaça correctement sa tête. Que faire ? L’incompréhension de la situation n’avait pas le temps d’être noyé par la vague de culpabilité qui arriverait tôt ou tard. Elle n’était pas faite pour penser. Elle ne souhaitait qu’agir. Elle se perdrait en pénitence plus tard, à l’instant son corps hurlait de corriger ses erreurs. Mais il avait tout de même attaqué un guerrier de la Sainte Eglise ? Croyais-tu que la vie d’un chien avait plus de valeur que celle d’un agneau ? Elle avait beau vouloir agir, déjà ses pensées s’agitaient dans un torrent chaotique.

Ignorant ses blessures et la douleur, elle se redressa avant de charger le corps du jeune homme sur son dos. Elle savait où aller, elle savait ou elle pourrait commencer à corriger ses erreurs, panser ses blessures et trouver conseil. Elle n’avait pas le temps d’hésiter. Sans plus attendre et en laissant le corps de l'exécuteur au milieu de la rue, elle s’élança vers le quartier de San Marco Polo.

Son visage arborait une expression grimaçante. Non, ce n’était pas la douleur. Déjà la culpabilité la rattrapait.

Elle venait de briser la Mission.

Dépense de Mana: