Aujourd’hui est un grand jour ! Un jour d’évolution pour l’espèce humaine, et surtout un grand jour pour moi. Il y à très longtemps, les hommes ont appris à pêcher pour survivre, et aujourd’hui je leur emboîte le pas. Moi, Lize, 16 ans, m'apprête à diversifier mes compétences. Après les animaux de la forêt, ce sont ceux de la mer et des rivières qui vont apprendre à me craindre.
Voilà plusieurs longues minutes que j’observe consciencieusement l’entrée du canal. Je suis attentive aux différents passages d’animaux aquatiques qui se jettent dans la lagune. Mon esprit est concentré, renforcé par la perspective d’un repas riche et copieux. Une longue inspiration emplit mes poumons. Ma main droite serre mon arme de fortune. Un manche à balais brisé, trouvé dans des poubelles sur lequel est monté une lame grossière fabriquée en canettes coupées, le tout relié à une ficelle tressée en bande orange qui pend le longs des sacs poubelles. Mon harpon, mon corps et mon esprit sont prêts. C’est bon, c’est le moment. Je pousse sur mon bras et sur mon épaule pour envoyer mon pieux à l’entrée du canal. Le projectile s’enfonce dans l’eau. Je reprends ma respiration, attentive au résultat. Je tire sur la ficelle pour ramener le manche dans ma main. J’observe avec déception l’état de ma lame coca cola. Aucun poisson à son extrémité. C’est un échec.

Mon ventre se met à gargouiller face à mon manque de réussite, sous le regard curieux et un peu amusé des passants. Je me laisse lourdement tomber sur les fesses pour m'asseoir sur le rebord, afin de continuer mon œuvre sans trop me fatiguer.

Les minutes passent sans que mon estomac ne puisse envisager de manger un poisson bien gras. Mon harpon se plante plus de fois dans l’eau que je ne peux les compter. Ma tête est posée contre le coin d’une des maisons, mes jambes se balancent. Je continue machinalement à pêcher, perdant espoir peu à peu. Soupirant régulièrement dans mon coin.
Au bout d’une heure et aucune nourriture, j’abandonne l’endroit où je m’étais posée, jugeant qu’un autre coin serait probablement plus propice. Je sautille sur les quelques corniches avant d’atteindre la terre ferme, puis me mets en quête d’un nouveau coin.


Pêcher, échouer, recommencer, échouer, m’ennuyer, réussir à m’ennuyer, partir et tout recommencer. Tel fut le remplissage de mon après midi, esquivant habilement les représentants de l’ordre qui, visiblement, ne partagent pas mon amour pour la pêche. La faim au ventre qui grandit, la situation qui m’amusait à l’origine commence à m'agacer sévèrement. J’ai faim. Très faim. Faim de viande, et en quantité excessive. Prise d'orgueil et de gourmandise, je jette mon harpon au cœur d’une ruelle qui, à cette heure, est déserte. La veille, une gentille demoiselle m’a sauvée de la noyade. Mais là, je vois le fond, si je vais dans l’eau  je serais capable de nager. J’en suis persuadée. La pêche nécessite trop de patience et de technique. La chasse, elle, de l’instinct et de la puissance.

“Chasser dans l’eau ça doit pas être bien difficile” dis-je en laissant mes affaires tomber dans un coin.

Puis je saute, persuadée de ma réussite. Et à raison ! Mes doigts s’enfoncent presque instantanément dans la chair de deux gros poissons appétissants. Satisfaite de mon butin, j’agite les jambes pour remonter à la surface. Je les agite, encore et encore, mais je ne remonte pas. Par moments, ma bouche arrive à sortir partiellement, ne me laissant que quelques fractions de secondes pour respirer ou demander de l’aide, ce que je fais difficilement. C’est comme ça que je me rends compte, que je ne sais vraiment pas nager et que je suis en train de me noyer.

Venise, la sérénissime. Aujourd’hui était une journée calme qu’il avait consacrée à la tranquillité. Après tout, il n’était pas au meilleur de sa forme, son bras droit avait gagné le droit de finir dans une attelle suite à sa confrontation nocturne des plus houleuses. Le reste de son corps n’était pas au sommet de sa forme mais, rien de particulièrement visible ou d’handicapant. Ainsi donc se retrouvait-il a contempler la lagune, lunette de soleil sur le visage,, assis à la table d’une trattoria, mangeant distraitement un sandwich, une bouteille de bière ouverte. Il faisait beau et l’air n’était pas encore empli du parfum d’essence et de vase typique. A ses pieds trônait un sac de sport noir même si, à l’intérieur ne si trouvait pas des vêtements mais, plusieurs litres de glyphosate. Un matériau qui, bien exploité, avait des intérêts multiples quand il était question de bricoler. Bricoler des choses comme des explosifs par exemple.

Les gens vivaient paisiblement leur vie; quelques touristes un peu égarés s'extasiaient sur les surprises que Venise pouvait réserver tandis que d'autres passants observaient, vaguement amusés, une adolescente pêchant avec un harpon fait de déchets. Il pouvait voir au loin un bateau transportant probablement quelques individus fortunés vers une quelconque île privée. La vie suivait donc paisiblement son cours, rien ne venant la perturber que le bruit ambiant des gens allant et venant, d’un harpon de fortune être jeté à l’eau.

Un harpon de fortune jeté à l’eau...

Une adolescente tentant de pêcher avec un harpon fait de déchets…

Un instant…

Le regard de Tatsumi se pose sur la scène surréaliste qu’il lui est donnée de contempler. Vraiment? Pêcher? Dans la lagune aussi polluée? L’adolescente avait d’ailleurs plus l’air d’une gamine en fuite et, ses traits n’étaient clairement pas italien… Une scène de théâtre de rue? Il connaissait la trattoria où il était depuis environ un an et, n'avait jamais vu aussi bien cette scène qu’une autre inhabituelle avoir lieu. La situation était absurde et, prit un degré d’absurdité lorsque le centre de son attention jeta le fameux harpon par terre et bondit dans l’eau. Elle comptait attraper des poissons? Surgissant hors de l’eau il la vie brandir des poissons. Elle avait attrapé des poissons?! Dans la lagune? Elle…

Elle allait se noyer?!

Ce genre d’histoire ne faisant ni queue ni tête ne pouvait vouloir dire qu’une chose. S’il agissait il allait mettre le doigt sur une histoire qui allait encore dégénérer. C’était une règle classique de sa vie, à chaque fois qu’il se mêlait d’une histoire bizarre les choses finissaient inévitablement par escalader. Déjà que l’escalade avait commencé et, qu’il savait que tout allait inévitablement prendre de l’ampleur dans la sérénissime… Il n’avait pas particulièrement besoin de s’en mêler non? Il pouvait juste appeler les secours et finir de manger tranquillement, laissant le reste du monde paniquer cette fois non?

-Mais! Tu arrêtes... huff! De. Te. Débattre!

Sans même y penser Tatsumi était déjà à l’eau, ayant retirer T-shirt, pantalon et chaussures, comme habitué. Plongeant dans l’eau il avait ceinturé l’adolescente de son bras gauche, battant de toutes ses forces de ses jambes pour se maintenir et, la maintenir hors de l’eau. Inévitablement elle se débattait brutalement et il peinait particulièrement à rejoindre la berge, à seulement deux mètres de celle-ci pourtant. La panique lui donnait une force impressionnante, il aurait même du mal à rivaliser avec celle-ci en temps normal. Un coude atterrit dans ses côtes, la douleur lui vrillant l’esprit l’espace d’un instant. Deux côtes venaient de se briser à nouveau, il en était sûr. Ce n'était clairement pas une force normale.

-Calme toi!

Luttant de toutes ses forces, pestant et jurant à moitié, serrant les dents à moitiés, tentant de rester la tête hors de l’eau, il finit par s’échouer avec l’adolescente sur la berge, endolori et se redressant péniblement. Il fait signe au propriétaire de la trattoria.

-Sergio! Portami miei vestiti per favore... e anche tovaglioli.

Son italien n’était certes pas parfait mais, il se débrouillait plutôt bien grâce à l’aide d’une amie. Heureusement qu’il avait pris l’habitude de discuter avec le restaurateur, celui ci eu l’amabilité de bien vouloir accéder à sa demande. Il se tourna vers celle qu’il avait sauvé d’une noyade stupide… Pour constater qu’elle n’avait pas lâché ses poissons. Sérieusement.

-Tu ferais bien de faire attention gamine. Pourquoi tu vas dans l’eau si tu ne sais pas nager?

Tatsumi avait opté, dans un premier temps pour ignorer tous les éléments absurdes de la situation. Faire comme si de rien n’était ne pouvait qu’être la meilleurs idée à adopter n’est-ce pas?

De l’eau, de l’eau partout. Les secondes s’écoulent sans que je n’arrive à remonter. Les instants qui me permettaient de reprendre un souffle incertain se raréfient, jusqu’à disparaître totalement. Je m’agite, encore et encore jusqu’à ce que la force me manque. Ma vue se trouble tandis que tout le poids du monde me tire vers le fond. Et à cet instant, faisant fit de cet événement macabre et malencontreux, mon ventre se met à gargouiller. Une réaction puissante et surprenante engendrant, pendant quelques instants, la disparition de ma peur et de ma douleur, tous deux supplantés par un besoin de satiété immédiat. Une envie dévorante qui redonne de la force à mes bras et à mes jambes, sans que j’en ai spécialement conscience. Mais avant que cela ne puisse changer quoique ce soit ou que ma mort ne survienne, tout est stoppé net par de l’air qui rentre dans mes poumons et l’impression étrange d’être tirée par le haut. Succédant à cette situation où j'aurais dû sombrer dans le canal ridicule et poisseux de Venise, je me retrouve à bouger dans tout les sens, comme au début de ma noyade.

Je bouge, remue, m'agite pour m’extirper de cet endroit, tout en aidant du mieux possible le témoin courageux de ma baignade venu m’aider. Il me parle dessus, crie, mais je ne comprends pas. Il me faut de longues secondes pour comprendre que mes actions l’entravent plus que ne l’aident et que, dans ses bras, je suis en sécurité. Et après tout cela, je regagne enfin la terre ferme. Je rampe de quelques centimètres pour m’éloigner, craintive, de cette eau qui a failli tout me prendre et tente de recracher toute l’eau avalée, sans que rien ne sorte. Je m’essuie les yeux fébrilement pour en dégager le mélange visqueux de vase et déchets en me tournant vers ce maître nageur de circonstance. Trempé lui aussi, les cheveux et les yeux sombres, aux traits bien différents de ceux que j’ai pu apercevoir jusqu’ici. Ses cils sont longs. Sous le choc de ce qui viens de se passer je reste absorbée par ce détail jusqu’à ce qu’il se retourne vers moi, m’adressant une remarque pertinente, d’un ton légèrement moralisateur.

“Bah …”

Ma gorge se serre tandis que mon regard se porte sur les résultats de ma pêche. Deux poissons de taille convenable, à la tête écrasée et aux corps transpercés de mes petites mains. J’affiche une mine déçue face à l’état de mes deux prises. Je les observe quelques instants avant de les laisser tomber sur le sol, confiante dans leur capacité à ne pas se déplacer. Puis mon visage remonte vers celui de l’inconnu, prenant conscience que je ne lui ai pas répondu.

“Je pensais que ce serait facile de nager, je voulais juste manger sans embêter personne …”

Une grande et froide respiration emplit mes poumons, tandis que l’adrénaline retombe. Un frisson me remonte le long du ventre avant de venir réchauffer mes joues et de faire perler quelques larmes au coin de mes yeux. Je tente de me contenir devant cet inconnu en évitant de penser à ce que ma décision aurait pu avoir comme conséquence. Mais les petites larmes floutent de plus en plus mon regard et ma gorge est toujours comprimée.

“Chui désolée” dis-je avec difficulté, l’émotion m’empêchant d’articuler correctement.

Ma voix est tremblante. Mes efforts insuffisants pour camoufler ce contrecoup de cette mésaventure. Et alors que je me tiens là, les cheveux dégoulinants, le visage sale, assise aux côtés de deux poissons, je me mets à pleurer sans retenue devant cet inconnu qui vient de me sauver la vie.

Tu peux pas t’en empêcher hein? Sauver les aberrations.

La pensée fugace fut balayée. Il avait pleinement conscience de ce problème récurrent qu’il avait, incapable de s’empêcher d’intervenir. A la fois, si lui n’intervenait pas, qui d’autre? Les faits parlaient d’eux même. Personne. Et, si l’anormalité de l’adolescente ne faisait aucun doute, sa fragilité était claire. Elle aurait pu se noyer, s’il n’était pas intervenu elle se serait probablement noyée. Pour la plupart des gens, quelqu’un qui ne savait pas nager à cet âge là semblait absurde. Pour le commun, il aurait été normal que tout cela ne soit qu’une mise en scène.

Attendant à moitié une réponse de la jeune fille, il remercia le patron de la trattoria qui eut la sympathie de lui apporter ses vêtements ainsi que des serviettes. Prenant le soin de se sécher rapidement, composant avec un bras immobilisé. Et des côtes de nouveau sérieusement abîmées. Vraiment? Normalement ses muscles auraient dû encaisser.

Donc elle pensait que nager était facile? En soit ça n’était pas forcément faux. Si l’on ne paniquait pas le corps avait une mémoire remontant à bien avant la naissance de l’individu. Sauf qu’apprendre à nager avec les mains prises par des poissons… Non. Il y avait définitivement un problème. Si attraper des poissons à mains nues pouvait ne pas être trop difficile une fois la technique comprise et un minimum maitrisée… Elle ne possédait clairement pas la capacité à le faire. Alors pourquoi avoir tenté cela? Pour manger sans embêter personne?

Non mais c’est quoi Venise? Le rassemblement des débiles qui veulent pas faire chier le monde mais sont des catastrophes ambulantes?

Une fois séché il prit le temps de se rhabiller, en profitant pour essayer de trouver une réponse correcte sans la bousculer. Elle venait d’échapper à la noyade après tout, il n’était pas nécessaire de la secouer inutilement. Déjà qu’elle ne pleurait p… Et elle pleurait. Parfait.

Vraiment? Maintenant il va falloir gérer ça. Donc c’est plus une histoire de dire quelque chose, suffit de le penser pour que ça arrive? Trop. Bien. C’est quoi la suite? Tout dégénère automatiquement? … C’est déjà le cas en fait.

Donc, il se retrouvait aux bords de la lagune, avec une gamine qui avait manqué de se noyer car elle avait décidé d’attraper des poisson à mains nues car, elle ne voulait déranger personne et, qu'apparemment elle n’arrivait pas à pêcher avec un harpon de fortune, le tout dans les eaux de Venise qui faisaient parti des plus polluées d’Europe et, donc avec très peu de poissons vivants dedans et, elle avait réussi à attraper non pas un mais deux poissons, poissons qui avaient beau être avait quand même été à moitiés broyés dans les mains d’une ado. Et elle pleurait.

Vraiment. Ce qui se passe n’a aucun sens.

Une situation pire qu’inhabituelle, il n’avait jamais vraiment eu de cas similaire. Le plus proche était cet amis à l’époque, qui quand il se battait ne pouvait pas s'empêcher de pleurer en même temps. Ce qui était différent de ce cas. Et les filles de cet âge qu’il avait connu? Difficile de dire que les sukebans étaient normales. Comment sa grand-mère faisait pour le consoler quand il était coupable.

Prenant une serviette inutilisée il se pencha et commença tout simplement à sécher les cheveux de l’adolescente. Tentant de se rappeler l’état dans lequel il était le jour ou Touko lui avait sauvé la vie.

-C’est pas grave, t’es toujours en vie et tout le monde va bien. Il omettrait son état à lui, aggraver la situation n’était pas nécessaire. Puis tu m'embêtes pas non plus.

Dire qu’elle ne l'embêtait pas était peut-être exagéré. Il était en vérité surtout intrigué par un nombre absurde de détail. Et d’une certaine manière, il se demandait ce qu’elle avait vécu. Tout comme, bien qu’une partie se concentrait à ignorer les détails anormaux, une autre était intriguée. Et si elle était ignorante de la réalité du mystère? Et si comme lui elle était une forme d’anomalie potentielle? Ignorant sa nature? Si elle tombait sur les mauvaise personnes il se rapprocherait de n’avoir rien fait.

-Enfin bon, finis de te sécher et vient t’assoir. Je te paie à manger et t’as pas le droit de refuser.

Tatsumi n’avait pas de temps à perdre, que ce soit par principe ou par politesse, les gens qui initialement refusaient de l’aide commençaient à le fatiguer. S’il s’était exprimé avec douceur, il tentait de faire preuve d’un minimum d’autorité.

En s’asseyant il commanda au propriétaire de la trattoria des sandwichs ainsi qu’une limonade pour l’adolescente. Puis il en profita pour s’allumer une cigarette, semblant imperturbable, ignorant allègrement les regards des badauds curieux de la scène qui se déroulait sous leurs yeux.

De longues secondes passent sans que je n’arrive à reprendre ma respiration, saccadée par mes larmes. Je pleure, posée au centre d’une flaque poisseuse et odorante, consciente du spectacle que je montre aux passants ainsi qu’à celui qui vient de me sauver. Je tente de ravaler mes larmes plusieurs fois, et j’y parviens petit à petit. C’était presque la première fois où j'arrivais dans une situation pareille. Une situation où j'étais en danger de mort, surtout après une action aussi bête. Ces derniers mois ont fait de moi la reine du monde. Les bêtes sauvages, les racailles dans les squats, rien ne me faisait peur lorsque j’ai pris cette décision, après tout j’ai grandi. J’ai mûri et gagné en expérience, mais au final, pas autant que je le pensais.

C’est grâce à l’aide de l’homme qui vient de me sauver que je parviens à m’arrêter de pleurer. Je me sens rassurée par ses mots, par sa présence. Une sorte de présence chaleureuse et presque fraternelle qui m’aide à prendre une ultime respiration avant de me calmer. J’attrape ensuite doucement la serviette qui à déjà commencé à éponger toute l’eau qui ruisselle sur mes épaules tremblantes. Je lève doucement les yeux vers lui, il ne semble pas énervé, du moins je crois. Ce constat me rassure, alors, lorsqu’il me propose à manger, j’hoche vivement la tête et m’essuie le plus rapidement possible. Pour une ville où sévit un tueur en série, je suis heureuse d’y voir autant de personnes au cœur empli de bonnes intentions. Un sourire se dessine sur mon visage, légèrement masqué par les quelques mèches encore humides dont je me sert pour dissimuler ma peau qui rougit face à cet acte de charité, ainsi qu'à la honte que je ressens, qui succède sans mal à la peur que j’ai ressenti.

Au bout de quelques minutes, j'accourt vers lui en hissant mon sac sur mon dos, bien plus propre que je ne l’étais il y à quelques instants, mais ne respirant pas la fraîcheur non plus. Devant moi, un grand sandwich au poulet et une bonne limonade. Je me retiens de verser une nouvelle larme devant cet amas de sucre que j’aime tant, par peur de mettre mal à l’aise le jeune homme.

Je croque. Mon estomac se remplit enfin, après de longues heures de dur labeur. Je mâchouille quelques silencieuses secondes avant d’avaler une bouchée et me tourner vers le type à la cigarette, visiblement très calme et stoïque, malgré ses aventures d’il y à quelques instants.

“Merci beaucoup de m’avoir sauvée Monsieur… et je suis vraiment désolée de vous avoir mis dans cette situation.”

Même si je n’aime pas trop m’excuser, il faut le faire, c’est important. Mes yeux sont baissés vers mon repas entamé. Néanmoins, plutôt que de maintenir cette ambiance gênante qui s’installe, je décide de changer de sujet afin d’assouvir ma curiosité grandissante à l’insu de cet homme.

“Je m’appelle Lize ! Et je viens d’arriver en ville il y à peu, c’est pour ça que je maîtrise encore mal les coins de pêches. La prochaine fois je chercherais à chasser les pigeons c’est moins dangereux” dis-je en rigolant.

“Et vous ? Oh ! Et je suis sûre que vous êtes soit un policier en civil, soit un pompier en civil ou un agent de la CIA en civil.” continue-je en comptant sur mes doigts, énumérant les différentes et probables possibilités de métier que pratiquait cet homme stoïque et héroïque.

Puis je m’approche de lui, doucement, abaissant le niveau de ma voix.

“Si vous êtes un agent de la CIA, vous pouvez me donner un faux prénom, je vous en voudrais pas. Et pas besoin de m'effacer la mémoire, je suis bonne pour garder les secrets”

Puis je me redresse pour manger mon sandwich, dégustant dans une joie visible et immense, chaque ingrédient de ce met exquis.

L’homme devant moi semble perturbé par mes paroles, probablement par leur justesse d’ailleurs. Bien qu’ayant frolée la mort il y a quelques minutes, mon esprit reste aiguisé, je ne me trompe que rarement. Dès lors que cette conclusion est claire dans mon esprit, je garde le sourire. Rien n’est plus amusant que d’être dans la confidence de quelque chose d’important après tout !

Notre discussion n’est qu’un ensemble de sous entendus que je ne comprends pas, mais dont je reconnais la présence. “Tu veux du sel ?” Probablement une proposition pour rejoindre son organisation. “Tu n’as pas froid ?” Une possible menace ou mieux ! Il me demande d’être prudente, ect ect.

Quoiqu’il en soit, tout ce jeu mental s’effondre un peu a mesure que la fatigue et que la dégustation prennent le dessus dans mon cerveau. Le premier sandwich était vraiment bon, le second bien meilleur.

Merci beaucoup en tout cas, j’avais vraiment faim lui dis-je avec le sourire

Pendant toute notre entrevue, l’homme est resté là, me posant quelques questions et s’assurant de mon confort et de ma sécurité. Il me nourrit comme Trisha le fait et s’enquiert des raisons de ma présence ici. Cet homme est doux, rassurant et je me sens plutot en sécurité avec lui. Pas que je me sente d’une quelconque manière en danger en dehors de l’eau, mais c’est quelque chose de plus … subtil ?

Les minutes passent, mes cheveux et mes vêtements sèchent comme les siens, je digère mon repas durement acquis. Notre discussion arrive doucement à son terme, manque de questions pertinentes de ma part. Après tout, si c'est un agent secret, ce serait mal vu de trop le questionner ? Ça pourrait le mettre en danger ? Je pense que je l’ai suffisamment fait aujourd’hui, mon quota est épuisé.

Tant pis me dis-je.

Je suis contente de cette rencontre éphémère que je m'empresserai de raconter à Trisha … En retirant les moments ou j’ai failli mourir bien sur. Trisha est adorable, protectrice et vraiment très agréable à côtoyer, je n’ai pas envie de l’alerter pour quelque chose qui s’est bien fini.

Après s’être longuement enquis de mon état et m’avoir demandé plusieurs fois si je souhaitais aller voir un médecin, je me suis relevée et suis partie avec le sourire. J’ignore si cette rencontre aura des répercussions à l’avenir ou si au contraire elle appartient à l’éphémère, mais je suis heureuse qu’elle ait eu lieu. Déjà car je ne me suis pas noyée, mais surtout car j’aime que mes journées soient différentes, surtout si ça implique un bel homme. Le ventre plein et les jambes fatiguées, je pars en route d’un toit confortable afin d’effectuer une bonne sieste pour pouvoir finir ma journée en forme.