Bienvenue dans la gueule du lion.

L’idée lui avait, semblé être bonne. Après tout, il ne pourrait agir éternellement dans l’ombre à Venise. Il était même probable qu’il ait déjà été repéré. Il ne pouvait jamais compter sur l’effet de surprise, rester dépendant de ce dernier n'était pas une bonne chose. Déjà, il était évident que si l’église n’était pas encore au courant de sa présence au sein de la sérénissime cela ne saurait tarder. Trisha ne penserait pas forcément à informer le saint siège mais, l’autre exécuteur qu’il avait assommé ferait forcément un rapport. La machine était lancé, l’horloge tournait.

Oui, l’idée lui avait semblé être excellente. Avec les yeux inquisiteurs de l’église qui pouvaient à tout instant se poser sur lui, approcher les familles lui étant liées aurait été contre productif. Plutôt miser sur l’inattendu et la surprise en tentant de s’approcher de la famille liée à l’association non? Encore mieux, le scepticisme de la tour de l’horloge au sujet des Cagliostro lui permettait de gagner un peu de temps. Alors lorsqu’il avait appris que la Villa Circeo ouvrait ses portes…

Peu importait la qualité de l’idée si on ne se donnait pas les moyens de la mettre en application. Il avait donc revêtu son meilleurs costume, complet et sur-mesure, la tenue était sobre avec pour unique détail inhabituel une chemise noire. L’avantage lorsque votre véritable métier s’apparentait à celui de tueur à gage était la paie. Tatsumi n’étant pas un homme vivant dans l'exubérance, pour chaque objet ayant une fonction déterminée il ne lésinait pas à l’investissement. Les chaussures n'étaient pas en reste non plus et, pouvaient même être considérées comme la pièce maîtresse. Loin des chaussures de smoking typique, il avait opté pour des mocassins noirs mélangeant classicisme et modernité. Il y avait un détail cependant à cet ensemble. Il était taillé et chaussé sur mesure avec un concept simple, être élégant mais pouvoir se mouvoir pleinement.

Une idée de fort bonne facture mais qui n’était pas sans risque il devait être honnête. Le voilà qui marchait dans l’antre du lion. Allure sereine, il laissait transparaître dans sa posture une légère fierté, sa démarche était pleine d’assurance. Pour autant il ne semblait manifester aucun orgueil, juste le calme serein de quelqu’un pleinement conscient de qui il était et, qui n’était pas un individu quelconque. Il avait poussé le vice en portant des lentilles de contact, ses yeux gris dissimulés sous un vert qui bien que naturel n’en avait pas moins des reflets émeraudes. Seul détail qui le faisait sortir véritablement de l’ordinaire était son bras droit, encore dans son attelle. Bien que son corps soit presque remis, il n’était encore pas au meilleur de sa forme, pas entièrement remis.

C’était donc une idée de qualité à condition qu’il ne soit pas décidé à semer le chaos. Et heureusement aussi bien pour la villa Circeo que pour lui, la n’était pas son intention. Adieu les explosifs, adieu les projets de guerre, adieu les pulsions de violence. Il était là pour tenter de se faire de nouveaux amis, pas pour gagner de nouveaux ennemis.

-Excusez moi mais, pourriez vous annoncer aux propriétaires des lieux que, l’apprenti de Touko Aozaki se tient à leur disposition.

Une bonne idée s’accompagne toujours d’un bon mensonge. Ou plutôt d’un bon arrangement de la vérité. Si Touko avait sans le moindre doute été sa mentor et que l’on pouvait le considérer comme ayant été son élève… il ne l’avait certainement pas été comme magus, ce que ses paroles sous-entendaient. Mais si se présenter comme étant Watanabe Tatsumi aurait été une surprise de “qualité”, il aurait aussi pu alerter inutilement les Cagliostro. Il ne désirait en aucun cas poser problème à la famille dans l’immédiat, n’ayant un avis ni positif ni négatif sur ces magi. Il étaient des magi, il n’avaient rien de personnel contre eux et, ne détestait pas les magi par défaut. Puis après tout, sa véritable identité lorsqu’elle serait révélée aurait de quoi les surprendre non?

La valeur de l’idée, tenait dans son association au mot qui circulait quand à l’ouverture des portes de la villa. Surprise. Il explorait les lieux sereinement, profitant de la finesse et de l’élégance, remerciant Carmina de lui avoir appris à apprécier et estimer le luxe. Profitant au passage pour faire une carte mentale de la demeure, conscient qu’il ne s’agissait là que de ce que l’on voulait bien montrer au public. Impossible de trouver le moindre véritable secret. Mais excellent pour estimer les points de faiblesse structurelle et, étudier la psychée de ceux qui habitaient un tel lieu.

Malgré la qualité de l'idée, il ne pouvait empêcher la tension de monter petit à petit. Restant calme, prenant le temps de réguler sa respiration pour éloigner la dite tension, il profita d’une terrasse discrète pour prendre l’air. Et surtout pour fumer, ayant repéré un cendrier en verre qu’il supposait de Murano. Plutôt que de sortir une cigarette, ce fut cette fois un fin cigare cubain qu’il sortit, prenant soin après l’avoir coupé de l’allumer à l’allumette et non au briquet. Se débrouillant honorablement malgré un bras en attelle. L’endroit était calme et presque paisible.

Non. Vraiment une idée de merde.

La partie venait de commencer, l’heure n’était plus au doute, à remettre en question l’initiative qu’il avait prise. S’il décidait de s’en aller à présent que quelqu’un avait entamé la discussion, il attirerait inutilement sur lui les regards. En partant maintenant il agirait comme un voleur. Mais à présent tout allait bien mieux, il n’était plus seul à contempler s’il avait fait le bon choix. Il avait quelqu’un avec qui échanger, un premier contact. Impossible de dire de qui il s’agissait, Tatsumi n’avait pas la moindre idée de qui il pouvait être. Probablement un mage ou affilié.

Si on devait se reposer uniquement sur nos styles vestimentaires actuels, je serais le profil parfait pour faire son petit fils.


La partie était lancée, Tatsumi ne pouvant dissimuler un sourire amusé à la mention de “jeune blessé”. Il aurait été tellement facile de tuer cet homme. Même si son bras n’était pas encore remis, il aurait pu user de son bras droit malgré tout. En étant suffisemment rapide, même en considérant que des yeux invisibles l’observait, il aurait pu ensuite fuir. Mais il n’était pas là pour tuer, il était là pour pratiquer un autre jeu qu’il tendait à trouver bien plus complexe. La sociabilité.

Heureusement qu’on connait le principe des persona et qu’on a appris à l’utiliser.

-Il n’y a jamais d’âge pour s’intéresser à ce qui fait la beauté et la culture de Venise ne pensez vous pas? De plus, ces occasions sont bien trop rares pour un voyageur. La manquer eût été criminel.

Comme pour répondre au rire gras de l’homme, Tatsumi répondit d’un ton léger et enjoué, à l’image de quelqu’un profitant d’une de ces fameuses occasions que l’on ne saurait louper. Il n’avait strictement rien à foutre de ce jardin à vrai dire. Plus exactement, le jardin en tant que tel ne l'intéressait pas, à l’inverse de la structure du lieu, de ce qu’il permettait réellement… Oui, le lieu était beau. Et alors? Ca lui faisait une belle jambe. Par contre, n’était-il pas curieux d’avoir une asymétrie sur une haie? Alors que l’architecture des jardins à l’italienne reposait au contraire sur la symétrie?

Ce genre de détail était ce qui l’intéressait, mais il n’était pas question de repousser l’homme qui lui faisait face. Tatsumi n’était pas pressé et, n’était pas particulièrement inquiet. Aujourd’hui n’était clairement pas un piège ou, tout du moins clairement pas un piège lui étant destiné personnellement.

-A vrai dire, les jardins en eux même ont eu raison de ma curiosité. Ils ne sont pas les seuls mais, je les trouve particulièrement intéressants. Le style typique hérité des jardins florentin prend dans une ville telle que Venise une ampleur insoupçonnée.  Fini les espaces vides sans véritable autre sens que l’esthétique. Ici l’espace est pleinement développé et utilisé.
-Tiens donc, il est rare de voir un tel intérêt pour les arts floraux chez les jeunes gens de nos jours!

Intéret intéret… Heureusement pour lui, Tatsumi savait se servir d’internet et, n'hésitaiy pas à en user. Évidemment qu’il avait fait ses devoir et s'était renseigné. Sinon qu’aurait-il pu comprendre à tout ça? Le seul art floral qu’il comprenait vaguement était l’ikebana… Chose qu’il avait appris en traînant au sein du club d’ikebana de son lycée à l’époque, dans l’espoir de sortir avec une des membres du club qui lui avait tapé dans l'œil. Alors la pratique et l’agencement des jardins européens… s’il ne s’était pas renseigné une heure avant d’y mettre les pieds… il n’aurait strictement rien compris. Ayant une connaissance vague de la thaumaturgie pratiquée par les Cagliostro, il était compliqué de ne pas s’intéresser à un minimum à tout ce qui était botanique.

Vraiment aller rencontrer des putains de botanistes magiques dans un jardin, quelle idée à la con.

-Intéressé est un bien grand, un peu de curiosité et, le respect nécessaire à l’égard de ceux qui me permettent de profiter de ce lieu, me forcent à avoir des connaissances basiques.

Continuant à échanger les banalités, le jeune homme et son homologue avaient l’air de deux patriciens devisant sereinement, le jeune apprenant de l’ancien. L’un fumant une cigarette et l’autre fumant un cigare. Tous deux échangeant autour du jardin, sans véritablement aborder la véritable raison de leur probable présence à l’un et l’autre en ces lieux. Le jeu était simple, et une fois passé l’étape initiale Tatsumi y trouvait une certaine ludicité. Échanger, en dire le plus possible et le moins possible à la fois. Ne pas aborder le véritable sujet de la discussion mais en vérité en discuter. Par moment, la mentalité des mages pouvait être amusante.

-Quel endroit alors, parmi ceux que vous avez pu voir pour l’instant, avez vous le plus apprécié d’ailleurs?
-Sans le moindre doute le labyrinthe. En toute honnêteté, jamais je ne me serais attendu à voir un labyrinthe végétal en plein Venise. Je suis assez admiratif d’ailleurs du travail effectué pour tromper l'œil grâce aux jeus de perspective.
-Oh ! Dans ce cas, seriez vous intéressé par un petit défi?
-Dites toujours, rien ne vaut une petite compétition amicale.
-Très bien, que dites vous de cela alors. Nous pénétrons tous les deux par une des entrées opposées. Le premier à arriver au cœur du labyrinthe gagne.
-Avec plaisir! Le premier arrivé gagnant par son accession au savoir.
-Bien évidemment, ne nous inquiétons pas quand au prix que le perdant se doit de donner au gagnant.
-Non, nous pourrons nous en préoccuper après coup.

Tous les deux ayant fini de fumer, la cigarette écrasée et le cigare leur servirent à sceller figurativement le défi passé. Si ce petit jeu aurait pu sembler léger, il n’était pas question de le prendre à la légère. Si l’homme lui faisant face était autre chose qu’un simple humain, il y aurait sans le moindre doute un prix à payer pour le perdant.

Alors qu’il s’engageait dans le labyrinthe, il se consolait à devoir prendre un risque tel que celui-ci en se disant que c’était un moyen d’attirer l’attention. Jusqu’à présent, il n’avait aperçu personne oser s’aventurer dans ce labyrinthe végétal. Il ne tarda pas à comprendre pourquoi, l’atmosphère dans l’endroit se faisant plus lourde. Il avait l’impression d’être constamment observé, comme s’il était suivi par une présence invisible.

Vu de l'extérieur, le labyrinthe ne semblait guère grand mais, ses doutes s'étaient avérés vrais. Aussi limitée était la surface du lieu de perdition, ceux qui l’avaient construit étaient des magiciens. L’endroit une fois à l’intérieur semblait immense, véritable dédale végétal ou il risquait de se perdre. Il avait presque l’impression que les plantes changeaient de place, comme pour brouiller les pistes, l'empêchant de retourner sur ses pas. Ce n’était peut-être pas qu’une impression et, il s’enfonça plus profondément; ignorant les méthodes traditionnelles permettant de ne pas se perdre dans un labyrinthe, gardant son calme et ne se précipitant pas.

N’oublies pas l’histoire du tigre d’Amur...

Marcher, encore et encore. Le labyrinthe méritait son nom et, il devait se rendre à l’évidence, il était perdu. Définitivement. L’envie de simplement passer au travers du dédale végétal était forte mais, il résistait à cette tentation. Que se passerait-il s’il agissait ainsi? Dans le meilleurs des cas, ses hôtes n’apprécieraient pas son attitude et le mettraient dehors. Dans le pire… le labyrinthe lui-même pourrait devenir un ennemi impitoyable. Surtout qu’il n’était pas équipé pour faire face à une telle situation. Pas d’explosif ou de source de feu suffisamment puissante pour se tailler un chemin à travers plantes et fleurs. La question de rester discret ne se posait même pas, il n’avait pas les outils nécessaire aux actions flamboyantes.

Puis c’est pas comme si on cherchait à pas faire trop de vagues visible hein...

Si son instinct ne pouvait pas l’aider, il n’avait plus qu’une option. Prendre la situation avec amusement. Tatsumi se laissa alors guider au hasard, ignorant l’inquiétude légère qui l’envahissait. S’il était perdu, autant profiter de l’instant. S’imprégnant de l’atmosphère particulière de l'endroit, il marcha, encore et encore, admirant les végétaux, ne cherchant aucune logique particulière. Plutôt que de chercher à trouver le centre du dédale ou la sortie, autant profiter de l’instant présent. Après tout, il ne prétendait pas être sage ou, être capable de trouver la sagesse. Il n’en avait pas besoin et, la victoire de ce concour ne lui importait pas. Si l’homme était bel et bien magus, il aurait juste un service à rendre.

Et les dettes avaient l'avantage que, le bénéficiaire avait généralement peu d'intérêt à se débarrasser du débiteur. Au contraire. Et avoir des dettes ne le dérangeait pas. Le peu de fiabilité que les magi avaient tenait avant tout dans leur orgueil et le décorum qu’ils respectaient.

Quelle surprise. On est sorti.

Même s’il était sûr que le chemin qu’il avait emprunté n’aurait pas dû le ramener à la sortie malgré les tours et détours… une fois sortit il n’était pas question de rentrer de nouveau. Il avait assez perdu de temps, s’était vaguement diverti, jouant au jeu des masques avec un illustre inconnu. Encore plus lorsqu’un attroupement semblait se faire près d’une fontaine. Si quelque chose de potentiellement intéressant devait  se dérouler, ce serait probablement ici.

Une inspiration. Un soupir résigné. Puisqu’il fallait se mêler aux activités mondaines, il n’avait pas le choix. Il avait du travail, le plaisir de l’errance végétale avait au moins eu l’effet de mettre ses sens en éveil. Mais à présent il allait devoir s’occuper d’un adversaire profondément exaspérant. La vanité de ceux s’estimant puissants. Si cela pouvait être un outil efficace sur certaines cibles… la vanité de ceux qu’ils ne ciblait pas avait le don d’être fatiguant et gênant. Il savait que les gens pouvaient se montrer profondément stupides lorsque l’ego pouvait entrer en jeu. Lui-même, il le savait, n'était pas protégé contre ce type d’errance.

Aller, quand faut s’y mettre.

Espérant sincèrement que les Cagliostro s'avéreraient plus intéressants que les magi typiques, il se jette dans l’action. S’enfonçant sans la moindre hésitation à travers la horde sauvage, créatures avides et aveugles à toute autre chose que la satisfaction de leurs désir, il parvient au centre du conflit. L’envie de fumer le démange mais, résistant à la tentation c’est avec une indifférence manifeste qu’il s’empare d’une pâtisserie fine.

Vraiment, une fois sortit du labyrinthe c’est l’enfer, ces gens ont de quoi donner des pulsions de meurtre.

Éclats de discours vains, satisfaction d'égos puériles… A l’image d’un prince, il se fraie un chemin à travers les masses ignorantes. Forcé d’avouer que lui-même est curieux, espérant pouvoir rencontrer au moins une des trois lionnes, il ne se débarrasse pas d’un manteau d’indifférence subtil. Comme si la plupart de ces individus ne valaient pas la moitié de ce qu’il valait, comme si une telle différence ne méritait même pas de mépris. Il avait conscience de l’écart qui le séparait de tous ces individus. Mais le mur qui le mettait à part n’était pas celui de la valeur. Aucun d’entre eux n’appartenait à son monde. Il n’avait sa place nulle part. Rien de plus

Alors, n’ayant ni place à tenir ni règles auxquelles obéir, il allait là où le menait son désir.

Et ce putain de désir m’emmène vers les emmerdes et les gens exaspérants actuellement.

-Quel ennui.

Les mots sortent de sa bouche malgré lui, soupir imperceptible. Si quelqu’un l'entend, le sort en est jeté.