L’obscurité du confessionnal avait quelque chose de rassurant. Pour Trisha le noir était un nid de vermine, une fosse inexpugnable qui cracherait le mal jusqu’à la fin des temps. La nuit les ombres s’étendaient et les créatures du Malin trouvaient le courage de venir corrompre le jardin du Seigneur. Un élan de lacheté, jamais ils ne tentaient d’affronter la lumière du jour et le regard de Dieu pour réaliser leurs méfaits. Jamais ils n’offraient de répit aux chiens du berger, loups rachitiques avides et gourmands.

Souvent leurs mots venimeux résonnaient lors des batailles, ils moquaient la futilité de la Mission, la fragilité de la vie, l’éphémère vertu de la victoire, la cruauté des combattants de l’église, la faiblesses de ceux qui tombaient au combat. Ne s’étaient-ils jamais regardés dans un miroir ? Leur coeur creux incapable de voir la beauté du monde, ils couvraient les hommes de leur propre boue pour mieux les mépriser.

Leur existence éternelle n’était qu’une insulte au Seigneur qui les avaient maudit de solitude, leurs victoires n’étaient que d’éternelles retraites dans l’espoir de terroriser les faibles une nuit de plus, un siècle de plus, perdus dans les abysses du temps, oubliés par l’histoire ils n’étaient que des cadavres pathétiques qui s’enchainaient aux chevilles des hommes pour garder un semblant d’importance, nourrir les vestiges de leur égo disproportionnés.

L’obscurité du confessionnal avait quelque chose de rassurant, dans l’ombre de la maison de Dieu, Trisha pouvait avouer ses peines et ses rancœurs, sa haine intransigeante pour les ennemis de l’humanité. Dehors, dans le monde des hommes, elle devait rester muette afin d’épargner aux agneaux la vérité de leur propre monde le temps qu’ils soient suffisamment forts pour porter ce poids par eux-même. Ou suffisamment longtemps pour qu’elle puisse nettoyer le jardin qu’ils habitaient.

Quant aux autres agents de la Sainte Église, tout juste arrivée à Venise, elle n’avait su trouver de cœur similaire au sien. Son ressentiment pour le dogme du huitième sacrement la plaçait naturellement hors de la communauté des exécuteurs de la Sérénissime. Le Père Boréal l’avait accueilli avec une froideur qui laissait présager de la largesse de ses sentiments à son égard.

Elle savait que son père avait rencontré le responsable de la Sainte Eglise sur Venise pour plaider sa cause, que sa volonté était éclairée et qu’il avait pris cette décision en connaissance de cause. Il jugeait que la cité sur l’eau était le meilleur terreau pour faire enfin fleurir ses capacités, les révéler au monde, mener la Mission à une étape supplémentaire. Elle ne pouvait le remettre en question, elle avait une entière confiance en son jugement, elle savait que le chemin qu’il traçait pour elle était celui des justes.

Elle remerciait déjà le ciel pour ce que Venise lui avait apporté, des âmes qu’elle avait pu rencontrer. Perdues ou sur un chemin déterminé, elles brillaient toutes d’une radieuse lumière. Elle avait découvert que les hommes n’étaient pas que des agneaux, que leur force était indicible, de corps, d’esprit, de coeur, que l’Eglise les protégeait non pas pour leur faiblesse, mais pour leur fardeau.

Les agneaux n’avaient pas à s'alanguir du poids de la Mission, cette tâche revenait aux chiens qui chasseraient les loups du passé pendant que les bénis pourraient avancer vers le futur. Cette pensée la rassurait d’ores et déjà, elle avait toujours cru aux vertus de l’humanité mais ne s’était jamais inquiétée du futur, seulement du présent. Désormais elle se rendait compte qu’un poids l’entravait lorsque son esprit se tournait vers les portes du paradis et que dans un sursaut d’orgueil elle s’inquiétait du futur en son absence. Le futur de la Mission, le futur de l’humanité, le futur des siens. Des pensées futiles s’il en était et elle se trouvait rassurée.

Cependant… Tout n’était pas parfait depuis son arrivée à Venise et la culpabilité s’accumulait sur ses épaules comme un poids inamovible, qui rendait chacun de ses mouvements plus lent, qui rendait sa Mission plus dure et…

“Je vous écoute ma Fille.”

La surprise mit fin au train de pensée de l'exécutrice. Le temps avait défilé sans qu’elle ne s’en rende compte et une étrange chaleur était venue l’entourer, accompagnée par l’arrivée de cette voix féminine. Féminine ? Voilà la source de sa surprise. Evidemment qu’elle avait aperçu les lumières lorsque le drap inviolable s’était déplacé, qu’elle avait entendu les pas sur la pierre, les prières étrangères mais familières, mais elle ne s’était pas attendue à ce que son interlocuteur soit définitivement une femme.

Une Soeur. Une membre de la Sainte Eglise.

Le silence régna de longues secondes durant avant que Trisha ne se décide à répondre. A chaque fois qu’elle passait les portes d’une église elle avait l’impression de demander une faveur qu’elle ne méritait pas. A chaque fois qu’elle venait s’installer dans un confessionnal, elle avait l’impression d’ouvrir une boîte supposément inviolable.

Elle s’excusait auprès de son père, elle s’excusait auprès de sa mère, elle s’excusait auprès de sa mère, elle aurait dû être plus forte que cela, mais son coeur restait plein de doute et de faiblesse. Mais qu’ils ne craignent pas car ce n’était pas face à la Mission que son âme semblait faillir, non. C’était lorsqu’elle faisait face aux humains qu’elle était pleine de stupeur et de tremblements, que ses fautes s’accumulaient, que ses péchés s’exprimaient.

“Ma Soeur… pardonnez moi car j’ai péché…”

Son italien était aussi incertain que sa volonté mais maintenant que les mots avaient été prononcés, elle ne saurait s’arrêter. Il en allait du respect qu’elle avait pour l’âme qui acceptait d’écouter ses complaintes.

“Depuis que je suis arrivée à Venise, j’ai levé la main sur des humains, j’ai tenté d’en… d’en tuer un. Il s’était attaqué à l’un de nos frères sous le couvert de la nuit. Je n’ai pas pris le temps de réfléchir, de comprendre. Je l’ai chassé comme j’aurai chassé un apôtre. Je l’ai brutalisé, son corps porte encore les séquelles de notre affrontement. Il mettra probablement des semaines avant de récupérer complètement ses forces. Il s’appelle Tatsumi. Une fois que j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un monstre, je me suis empressé de soigner ses blessures mais le mal est fait. Pourtant… Il ne me voue aucune haine, aucun ressentiment. Il ne m’a rien demandé en retour, a refusé mes excuses, comme si je ne lui avais causé aucun mal. Je ne peux pas chasser la culpabilité de mon cœur et depuis… Je m'inquiète. Ma vie ici est rythmée par des rencontres qui ne m'avaient jamais touchées jusque là, je m’abandonnait au quotidien et à notre Mission mais ici ça semble m’être interdit. Et… j’ai peur de perdre de vue notre Mission. Que se passera-t-il si la prochaine fois je me laisse submerger par le doute et qu’un Apôtre m’échappe en se faisant passer pour un humain ? Aurais-je la force de lever la main sur ce qui pourrait être un humain ? J’ai peur de m’émousser, de me laisser tenter par la beauté de ce monde que je suis censé protéger. Je sais bien que je n’ai pas ce droit, que mon rôle n’est pas d’y prendre part, mais je sens ma volonté s’affaiblir lorsque je suis face à la bonté des hommes. Comment faire pour rester celle que je dois être ?”

Les mots qui s’échappaient de l’autre côté du confessionnal étaient doux, prononcés d’une voix chaleureuse. C’était inhabituel. C’était… nouveau. Non, ce n’était pas vrai. Ce n’était pas nouveau mais plutôt lointain, nostalgique, distant. Pendant quelques instants Trisha fut plongée dans l’incompréhension, elle ne comprenait pas de quoi parlait la sœur de l’autre côté, mais bien vite, aidée par l’utilisation de l’anglais, elle comprit que le mot “gospod” faisait probablement référence au Seigneur. Il est vrai que la sœur avait un fort accent continental lorsqu’elle s’exprimait en anglais, peut-être était-ce le terme dans sa langue natale ? Une langue qui était inconnue à l’écossaise, mais elle était reconnaissante de pouvoir s’exprimer de façon plus naturelle.

“Vous…”

Bien vite ses mots s’éteignèrent. Elle s’apprêtait à remettre en question la sœur qui se trouvait de l’autre côté de la grille. Surprise d’entendre des paroles pleines de compassion alors qu’elle s’attendait à recevoir des conseils froids, puisés à la source des lèvres d’un représentant du Huitième Sacrement, elle avait failli manquer de respect à celle qui était là pour lui offrir la sagesse du Seigneur. Elle avait failli repousser ces mots qui avaient apporté à son cœur un chaleur rassurante. Avait-elle eu peur ? Ou avait-elle été définitivement marquée par la pensée de l’assemblée du Huitième Sacrement ?

“Vous avez raison ma soeur et je sais quelle est ma place, mon rôle. Cela fait des années que j’ai quitté mon… que j’ai commencé à chasser les créatures de la nuit, que j’ai commencé à vivre parmi les humains, mais c’est seulement aujourd’hui que je me rends compte que je dévie de la voie qui m’est tracée. Est-ce vraiment le Seigneur qui me montre le véritable chemin à suivre ? Ou moi qui ne suis pas assez forte pour suivre l’épreuve qui m’a été donnée à l’origine ? Et s’Il est celui qui me guide dans ces moments de doute, est-ce que ça veut dire que…”

Un sursaut soudain coupa Trisha dans sa tirade, suivi d’un déglutissement difficile. Une nausée terrible venait de la secouer et des vertiges venaient assaillir son esprit. Une pensée interdite venait de traverser son esprit. Si le Seigneur lui indiquait le chemin à emprunter, si après ses années passées auprès des humains elle tentait de retourner sur une mauvaise voie et qu’il la mettait ainsi en garde… cela voulait-il dire que son chemin initial était mauvais ?

La main tremblante, elle chuchota quelques mots réconfortants, une prière de nostalgie, une leçon qui lui rappelait son rôle dans la Mission menée par la Sainte Eglise. Doucement, difficilement, son souffle retrouva un rythme paisible bien que son être semblait tirer un boulet de malaise qui ne souhaitait pas la quitter.

“Non. Je dois trouver la force de lutter contre le doute et la tentation. Ce monde est beau, peuplées d’âmes aussi belles. J’en suis bien consciente. Mais ma place n’est pas dans le jardin, je n’ai jamais eu ce droit, je ne l’ai jamais voulu. Peut-être serai-je heureuse de côtoyer la douceur du cœur des hommes mais ce n’est qu’éphémère, égoïste. Cela vous semble-t-il étrange ? Ne partagez-vous pas ce vœu de voir enfin le monde pur de la corruption des créatures de la nuit ?”

C’était cela, cette impression nostalgique dans la voix de la sœur. Elle lui rappelait les sermons qu’elle avait entendu lors de ces premiers mois en ce monde. Ces conseils offert par un prêtre inconscient de la dangerosité du monde qui l’entourait à celle qu’il pensait n’être qu’un agneau. Elle avait peut être attiré sa pitié par sa faiblesse, par son âge, par son sexe, mais elle ne faiblirait pas. Ou peut-être ne montait-elle ses défenses ainsi pour se protéger d’une lumière trop éblouissante pour ses yeux fatigués ?

L'ignorance est une bénédiction disait-on. Après tout, comment redouter ce que l'on ne connait pas ?

L'ignorance est une malédiction pensait-on. Après tout, comment se protéger de ce que l'on ne connait pas ?

L'ignorance.

Voilà le péché de Soeur Rumena. Un péché qui gangrenait les efforts de la Sainte Eglise dans sa guerre contre les créatures de la nuit, au même titre que l'Egocentrisme et la Malveillance. Certains agents de l'église s'arrogeaient les droits du Huitième Sacrement à des fin personnelles, se pensaient au dessus des lois des hommes et de Dieu. Certains agents tourmentaient les agneaux du Seigneur dans une forme perverse de pouvoir, tirant un plaisir malsain dans leur tâche si dure qu'ils en perdaient l'humanité. Et enfin, certains agents questionnaient le bien fondé de la Mission. Les graines de douceur, d'espoir et d'amour plantées dans leur âme grandissaient sur les champs du doute et commençaient à étendre leurs racines non plus seulement aux justes que leurs pères et les pères de leurs pères avant eux avaient juré de protéger, mais aussi aux créatures qui les tourmentaient.

La bonté pouvait être une tare.

Pour Trisha qui avait vécu des années durant en affrontant les créatures de la nuit, en étant témoins de leurs méfaits, de leur cruauté, en voyant les innocents tomber entre leurs griffes putrides l'idée que des agents de l'Eglise soient capable d'imaginer leur offrir le pardon insufflait en elle un colère profonde. Cette femme, dont elle ne connaissait pas le nom, avait probablement vécu loin de tout cela. Loin de la nuit. Loin des faux apôtres. Loin de la malédiction de la non-vie et de sa corruption. Loin de la violence et de la douleur. De son confort ignorant elle observait des créatures aux traits humains perdre la vie des mains de ses frères et sœur et elle se demandait surement : "Pourquoi ? Pourquoi notre premier reflexe est-il de les exterminer ?". Une question stupide. Les vampires n'avaient d'humains que les traits. Le soleil, le regard du Seigneur, les repoussait... eux et leurs soif perverse de sang qui ne faisait qu'inonder les champs de leur haine pour l'humanité qui les avait vu naître.

"A quinze ans j'ai quitté l'Eden. Cela faisait dix ans déjà que j'apprenais, que j'entrainais mon corps et mon âme pour lutter contre les créatures de la nuit. Mon père était un exécuteur, ma mère un simple sœur. Tous deux étaient bénis. Lorsque j'ai quitté mon père, ma mère et ma sœur, je savais que j'étais prête car à travers eux Il avait jugé que le temps était venu pour moi de rejoindre le combat. Savez vous ce que j'ai trouvé hors de l'Eden ma sœur ? Pouvez vous l'imaginer ?"

La pause est trop courte pour laisser place à une réponse. Trisha n'en attend pas. Elle n'attend que l'attention de celle qui ne sait rien. De celle que n'a jamais rien vu.

"J'ai découvert un magnifique jardin, j'ai découvert des belles âmes, j'ai découvert l'humanité. Les humains ne sont peut-être pas parfait mais c'est dans l'adversité de leur vie qu'ils parviennent à créer chaque jour un monde plus beau. Certains se laissent peut-être aller aux vices et à la faiblesse, mais je suis persuadée que ce n'est que partie remise, qu'au fond de leur âme ils se languissent d'un jour meilleur ou ils se lèveront pour observer leurs passé, leur présent et leur futur en se disait "Cela est bien ainsi.". J'ai découvert la générosité, l'amour du prochain, j'ai découvert la passion, les arts, les sports, la littérature. J'ai découvert les villes, les écoles, les pays et les théâtres. Je n'ai découvert qu'une infime partie de ce qu'ils ont réussi à construire, ensemble. C'est cela que je souhaite protéger. Je ne suis peut-être pas capable de poser une pierre sur la fondation de l'humanité, mais je suis capable de comprendre l'importance de chaque acte qui constitue l'existence d'une âme sur cette terre."

Sa voix tremblait d'émotion. Elle n'était pas capable de contenir le sentiment de grandeur qu'elle ressentait face à la simple existence de l'humanité et à ses accomplissements. Ce monde. Ces âmes. Elles étaient si belles. Que fallait-il à tout ses frères et sœurs pour comprendre ce simple fait ?

"Maintenant, ma soeur, j'ai une question pour vous. Avez vous déjà vu un Apôtre de la Mort ? Avez vous déjà rencontré un Vampire ? Avez vous déjà vu leur corps décharné se mouvoir dans une parodie de la vie, leur peau pâle, leurs yeux ensanglantés, l'odeur de mort qui les entoure. Avez vous déjà entendu leur discours, leur égo dévorant, leur haine insatiable pour l'humanité, leur passion perverse pour la souffrance. Êtes vous déjà arrivé dans une maison de Dieu tapissée de sang, les fidèles et les serviteurs du Seigneur massacrés, leurs corps disposés sur les bancs de prière dans une parodie de cérémonie... La seule survivante ? Une adolescente, déguisée en mariée, des larmes roulant sur ses joues, du sang dégoulinant de son cou, terrorisé par la scène dont elle est à la fois le centre et la victime. Le monstre qui lui a causé tout ces torts, qui a pris la vie de ses amis, de ses proches, qui lui a volé son futur, se trouve face à elle, ravi de sa trouvaille. Enfin, enfin il a trouvé celle qui l'accompagnerait dans son existence maudite. Mais il n'y a pas d'amour. Ce n'est pas la première, et les corps de ses "compagnes" s'accumulent alors qu'elles sont incapable de survivre au poids de la malédiction qu'il leur impose. Dites moi ma sœur. Une auriez vous épargné cette chose ? Face à cette scène auriez vous tenté de le comprendre ? Lui auriez vous offert votre compassion ?"

Les mots de la bonne sœur invitaient à la paix. Elle avait compris son erreur et souhaitait immédiatement se repentir. Elle avait dépassé les bornes et le savait. Trisha ne lui en voulait pas. Elle n'était pas fautive. Le système de la Sainte Eglise était à blâmer, nourrissant une philosophie infame et contradictoire. Considérant les Apôtres comme des créations de Dieu que les hommes ne pouvaient juger ils leur donner une fond d'humanité là ou ne se trouvait qu'une lie nauséabonde. Trisha méprisait ces dogmes de la Sainte Eglise. Elle commençait même à regretter d'être venue dans cette église ce soir, peut-être aurait-elle dû se contenter de prier silencieusement, seule, comme elle avait l'habitude de le faire.

Ou peut-être avait-elle eu raison de venir ? Les mots de la bonne sœur, bien qu'ignorants et naïfs étaient emplis de cette bonté que l'on ne trouvait habituellement que chez les frères et sœurs des ordres réguliers, tenus éloignés des affres de la nuit. Trisha ignorait que Venise abritait des agents de la Sainte Eglise encore si intègres. Peut-être n'était-ce qu'une façade mais l'exécutrice en doutait. Son silence coupable après qu'elle eut écouté le témoignage sanglant témoignait d'une véritable empathie et considération. Cette rencontre était peut-être providentielle ? Preuve mise sur le chemin de la lame de l'église pour lui montrer que cette cité était peut-être différente, qu'elle ne devait pas approcher ses gardiens avec l'ire dont elle faisait habituellement preuve.

Peut-être, mais elle ne pouvait en être sûr et, malheureusement, la confiance dans les agents de la Sainte Eglise lui avait déjà couté cher.

Sortant du confessionnal elle trouva face à elle la bonne sœur. Une femme plus âgée qu'elle, mais de quelques années seulement. Le teint assombri par l'empreinte quotidien du soleil, de longs cheveux noirs qui descendaient loin par delà ses épaules. Elle ne semblait pas venir d'ici, ses traits portaient la marque de la méditerranée mais de façon plus intense que les habitants de Venise. Sur son visage, Trisha retrouvait la même douceur que celle portée par ses mots. Un visage apaisant. Etrangement humain.

Triste.

Une tristesse éphémère, comme un reflet sur l'eau. Peut-être les mots de Trisha l'avaient elle touché plus profondément qu'elle ne le pensait ? Peut-être, du moins c'est ce que l'exécutrice imaginait. Ignorant que le miroir qu'était Rumena ne faisait que refléter ce qu'elle voyait en Trisha. Au final, laquelle des deux était celle qui ne pouvait voir le monde tel qu'il était réellement ? Probablement aucune des deux. Probablement Trisha.

"Mon nom est Rumena. J'aimerais que nous puissions nous revoir à l'avenir, ma sœur. Mais pour le moment, permettez-moi au moins de vous raccompagner jusqu'à la sortie."

Un nom dont Trisha se souviendrait. Au moins un temps.

"Merci... ma soeur..."

Il ne lui venait pas à l'esprit de répondre par son nom. Son esprit était quelque peu embrumé par des questionnement qui lentement sortaient de l'eau aux sons des canaux hors de l'église.

"Je pense, que moi aussi."

Leurs pas les guidèrent jusqu'aux deux imposants battants de bois. Solides portes marquant la fin de Son domaine. Alors qu'elle s'apprêtait à sortir, Trisha su enfin mettre le doigt sur l'une des interrogations qui émergeait dans son esprit.

"Soeur Rumena, le troupeau du Seigneur n'accueille pas les membres de notre Eglise. C'est là le serment que nous sommes obligés de porter, qu'on le veuille ou non, ce huitième sacrement qui éloigne vos âmes du monde des hommes. Je n'ai jamais vécu parmi eux, je crois comprendre que vous avez eu cette chance, alors dites moi ? Lorsque vous me regardez, que vous avez devant vous une enfant miraculée, forgée pour mener à bien la guerre contre les démons qui se terrent dans les ombres du jardin, voyez vous une brebis ?"

Les deux femmes restèrent immobile un temps et, dans le creux de la nuit balbutiante, Rumena offrit une réponse à Trisha. Une réponse engloutie dans le bruit de l'eau, avant que l'exécutrice ne tourne les talons, son seul œil visible miroitant tel la surface de la lagune.